mardi 30 décembre 2014

Popularité de François : mais où sont les pratiquants ? [par Hector]

[par Hector] Je ne sais pas si, au milieu des préparations de Noël, de vos vacances ou de votre repos bien mérité, vous vous êtes intéressés au dernier sondage sur le pape François (sondaqe Odoxa de décembre 2014 réalisé pour iTélé et Le Parisien-Aujourd'hui en France). Les articles de presse qui font état de cette enquête sont tous à l’unisson : « record de popularité », « exceptionnelle popularité », etc. Les termes sont flatteurs et quel politicien en mal de popularité ou star déchue ne rêverait pas de qualificatifs aussi élogieux?

Les éléments du sondage sont largement positifs : 89% des sondés ont une bonne image de François, et la cote de popularité semble élevée quelle que soit l’orientation politique du sondé. Les Français de gauche l’aiment à 93% et ceux de droite, à 85%. François fait donc consensus chez tous les Français politisés (au passage, quelle serait la popularité de François chez ceux qui ne veulent pas se situer ? Ils sont aussi légion…). L’homme, voire le style, car les deux semblent liés, plaît incontestablement.

Le sondage traite aussi de l’Église et se son rôle dans l’espace public. Il ne semble pas catastrophique : 55% des Français estiment que « l’Église est à sa juste place en France, ni trop interventionniste, ni trop passive dans la société » (Le Figaro). On pourrait supposer que la popularité du pape François, qui déteint sur l’Église et sa hiérarchie, rend leurs prises de position sur les questions dites de société moins clivantes. On s’en réjouira, car il est habile que le médecin sache faire avaler la pilule (sans aucun jeu de mots de notre part).

Pourtant, il y a ce détail qui change tout : dans toutes les dépêches qui font état de ce sondage, on nous indique à la fin qu’il y a 3% de pratiquants dans le lot des sondés. C’est un peu le hic de l’enquête : la popularité du pape François, c’est un peu celle du type que l’on aime bien sans que cela change quoi que ce soit à votre vie. François, on l’aime bien, soit, mais de loin. Comme nous le remarquions, c’est un peu à un public absent (des églises) que le discours new look s’adresse. Fermez le ban !

dimanche 28 décembre 2014

Soumission : le dernier Houellebecq entre mystique et politique [par l'abbé de Tanoüarn]

Le roman doit paraître le 7 janvier. Son sujet est explosif : l'avenir de l'islam en France. Un bel avenir assurément nous dit Houellebecq, un avenir fécond. Un avenir... radieux ? Même Télérama, pourtant échaudé par la célèbre sortie de l'écrivain dans Plateforme sur "l'islam la religion la plus con", a daigné trouver qu'il fallait lire ce livre, que Houellebecq était "notre contemporain capital" de substitution (après Sartre, mazette !) et que, sur l'islam, heureusement, cette fois, sa perspective n'était pas totalement critique. 

Je crois vraiment qu'il y a mille manières de lire ce livre et que c'est justement pour cela qu'il faudra l'avoir lu, que Soumission sera, mais en plus grave, notre "Bataille d'Hernani" à nous, qu'il y aura, dans la littérature et dans la Culture un avant Soumission et un après Soumission. On distinguera non seulement les pour et les contre, mais, l'ayant lu, les houellebecquiens, islamophiles guénono-nietzschéens et les houellebecquiens islamophobes identitaires et chrétiens. La Bataille d'Hernani sera une bataille interne... entre amateurs divergents... avec un enjeu bien plus grave que la manière de faire un vers selon le fameux enjambement de l'escalier... dérobé ou pas. L'enjeu de Soumission, c'est l'avenir de notre vieux pays, tout simplement. De quoi en venir aux mains comme au temps du Comte Hugo ? Sans doute pas : la plupart d'entre nous accepteront... la soumission, c'est manifestement ce que pense l'auteur de Soumission.

J'évoque l'avenir de notre vieux pays... Cela fait déjà quelques années que Houellebecq ne se montre guère optimiste à ce sujet. Dans La Carte et le territoire (2010), il envisageait la France comme un Parc d'attraction aux dimensions du monde, vivant essentiellement de la seule industrie que la mondialisation n'a pas fait périr : le tourisme. C'est l'esprit d'Amélie Poulain étendu à l'ensemble du territoire : on restaure le glorieux passé, on l'aménage pour le présent, et on se donne ainsi le droit de faire chauffer les cartes bleues des touristes de passage.

Oh ! Cette fois, il est plus optimiste pour la France Michel Houellebecq. Il la voit comme pionnière en Europe, sous la présidence d'un brillant sujet, fils d'un épicier tunisien installé dans le XVIème arrondissement, Ben Abbes, devenu président de la République à la faveur du déclin des Partis politiques traditionnels. Tonnerre dans la vie politique française : l'alternance entre centre gauche et centre droit, c'est fini. Face à Marine Le Pen, Ben Abbes se fait élire par son parti Fraternité musulmane, devenu le fer de lance d'un nouveau Front républicain incluant, comme nouveau moteur, les musulmans de France. Nous sommes en 2022. François Bayrou devient le Premier ministre du nouveau Président Ben Abbes. Houellebecq nous en fait un croquis à la Daumier.

Quand on y réfléchit, le mécanisme électoral imaginé par le romancier est tout à fait crédible. A force de manquer de programme, à force de livrer la France à une Europe qui, pour Houellebecq est "déjà morte", les partis traditionnels d'une part, le Front national involontairement, mais parce qu'il est là, d'autre part, font le jeu du changement le plus radical et de l'islamisation de la France.

Mais j'ai mauvaise grâce à ne mettre en cause que les politiques. Le livre Soumission est un roman total. Il cherche la vérité sur tous les sujets. La mort de nos sociétés qui sont encore occidentales - mais pour combien de temps ? - n'est pas seulement la faute des Politiques. En l'espèce, ces gens seraient plutôt des symptômes. Le mal est plus profond, il est... spirituel. Et puis aussi sexuel, mais c'est la même chose (nous sommes dans Houellebecq ne l'oublions pas : le sexe est chez certains de ses personnages tout ce qui reste de l'esprit ou une manière de le désigner).

Le héros autour duquel se construit le roman est un universitaire spécialiste du célèbre romancier converti au catholicisme Joris Karl Huysmans. La vie du biographe se confond parfois avec l'ombre de "son" grand écrivain. L'un et l'autre sont étonnamment houellebecquiens. Surprise, qui n'est vraiment pas houellebecquienne, elle : il y a trois pèlerinages dans ce livre, l'un, plutôt involontaire chez notre héros, dans la ville d'un très vieux Charles, qui est encore aujourd'hui le village de Martel, le second, dans la foulée, à Notre Dame de Rocamadour, le dernier au monastère de Ligugé (où a vécu Huysmans, devenu oblat bénédictin). Mais alors, sommes-nous dans un roman catholique ? Plutôt dans l'autopsie de ce qu'il fut. Houellebecq ici se fait critique littéraire (ce n'est pas la première fois, il a consacré tout un livre à Lovecraft). Il se montre d'une étonnante pénétration. Il s'agit de comprendre pourquoi cette culture catholique, si belle qu'elle ait été, ne pénètre plus, pourquoi elle ne trouve qu'un jeune public "humanitaire et asexué", et pourquoi elle n'entame pas l'athéisme déclaré du Professeur de Lettres, pourtant spécialiste de Huysmans.

Ce point est certainement l'un des plus obscures du livre. Il me semble que c'est le point obscure qui explique (je n'ose pas dire : qui éclaire) tout. Michel Houellebecq pense de Huysmans ce qu'il pense aussi de Péguy (dont il cite pourtant, avec une admiration manifeste plusieurs quatrains lyriques sur "ceux qui sont morts pour la terre charnelle") : ni l'un ni l'autre ne sont en état de comprendre la statue de Notre Dame de Rocamadour, dans son austérité et sa majesté muette. Que cherchent-ils en définitive ? Dieu ? Pas sûr finalement. Une culture plutôt, une culture charnelle qui les mettait en accord avec eux-mêmes, mais qui a fait son temps, parce que c'était celle de leur temps. A Ligugé, c'est avant tout un apaisement qu'a trouvé Huysmans. La foi ? C'est la grande muette. D'ailleurs, assis une demi heure devant la Vierge de Rocamadour, notre universitaire, décidément, ne l'a pas trouvée. A la fin du livre, avant ou après sa conversion, il ne la trouvera pas davantage dans l'islam. Il annonce que pour lui, la récitation solennelle de la Chaada signifie aussi la fin de toute recherche intellectuelle. Ce qu'il trouve dans l'islam, c'est ce qu'a trouvé Huysmans à Ligugé, ce qui met fin à l'irritant désir de savoir comme à toutes les aventures sexuelles incontrôlées : l'apaisement.

Et d'abord l'apaisement des sens. Dans le plus pur style houellebecquien, nous avons droit, dans les dernières pages du livre, à une apologie de la polygamie, à travers la curieuse idée de la sélection des mâles les plus aptes. Apologie dérisoire bien sûr, même si, j'en suis sûr, certains lecteurs ne manqueront pas de la prendre au premier degré, comme ils prendront sans doute au premier degré les longues défenses et démonstrations de la vérité de l'islam et bien d'autres considérations de ce livre, le plus étrange, le plus profond qu'ait écrit Michel Houellebecq, le plus difficile à décrypter.

Cet éloge de la polygamie est très important dans l'économie de la critique houellebecquienne pour trois raisons, au moins :

On y retrouve le thème cher à l'auteur d'une rationalisation de l'énergie sexuelle à travers la loi de l'offre et de la demande. Le sexe n'est rien d'autre ici qu'un produit commercial. Il est soumis à une seule loi : celle du Marché. Et l'islam, avec sa claire distinction des rôles masculin et féminin, est compatible avec cette optimisation des échanges sexuels dans une consommation "ordonnée". Au contraire, "du fait de leur narcissisme exacerbé, les Occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble..." (Bernard Maris, Houellebecq économiste p. 123). Comme disait Lacan, précurseur, "il n'y a pas de relation sexuelle". Le sexe occidental, expression de l'amour, est trop cher pour être consommable autrement qu'à travers les succédanés de la pornographie et de l'amour tarifé. [Attention : Houellebecq n'approuve pas, il décrit et il décrit non pas la vie de tous les couples, mais une tendance lourde].

Deuxième raison : dans le livre, il est très peu question d'immigration et d'immigrés. L'Occident semble s'islamiser de l'intérieur. Les agents de l'islam sont souvent des convertis, comme ce M. Rediger qui dirige la Sorbonne islamique après une thèse sur Guénon nietzschéen. Ce que dénonce Houellebecq, c'est la conversion (la soumission) de l'Occident. Il évoque également une forme de "collaboration" des élites intellectuelles, en laissant son héros susurrer que cette collaboration-là est bien naturelle. Quel rapport avec la polygamie, direz-vous ? L'un des instruments de la conversion des mâles (c'est ce qu'explique notre héros sans gêne apparente) est ce retour sécurisant des vieux schémas sur le mâle et la femelle, sur la supériorité du mâle et la pluralité des femelles. Ce sont aussi ces schémas "essentialistes" que l'on trouve dans la Métaphysique des sexes de Julius Evola, où l'homme est le soleil et la femme la lune, qui emprunte sa lumière au soleil. Dans le Coran, vous le savez, l'image est celle du champ et de la charrue. Aussi élémentaire. Comment disait Houellebecq déjà ?

Troisième raison, apparentée à la précédente, mais que l'on ne trouve pas dans Houellebecq : ce qui est en question ce sont les personnes et les relations personnelles. Trop compliquées ? On peut dire que la polygamie permet d'en faire l'économie, en ramenant la sexualité à un modèle consumériste, ordonné finalement à la satisfaction des deux parties. Ce modèle apparaît comme l'inverse de l'amour à l'Occidental, reposant dans la durée, chacun le sait, sur l'insatisfaction acceptée ou provoquée des deux parties et sur la recherche d'un au-delà de la satisfaction qui s'appelle l'amour. 2000 ans de christianisme, c'est ce qui a permis ce rapport personnel égalitaire et différencié que j'avais appelé du nom un peu pompeux d'unidualité dans mon Histoire du mal et d'ailleurs aussi sur ce Blog. Si l'on fait abstraction de cette dimension personnaliste de l'amour, au motif qu'elle serait trop compliquée à vivre, il n'y a plus qu'à faire avec les vieux schémas essentialistes de l'homme principe actif et de la femme pôle passif (comme dit à peu près Evola). Et alors là : malheur à qui dépasse du moule.

Note en marge : si vous voulez des exemples de ce "malheur", allez vite voir cet extraordinaire film qui s'appelle Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, sur l'application de la charia à des populations noires musulmanes qui ne la connaissent pas, par des mercenaires arabes ou occidentaux (français entre autres) qui imposent leur ordre (matrimonial par exemple), juchés sur des 4X4 flambant neufs et armés jusqu'aux dents. Il n'est pas question de charia dans le livre de Houellebecq, mais seulement de conversion. La charia est la deuxième étape. Ce qui rend ce film fascinant et unique, ce sont aussi les "paysages urbains" typique de la Mauritanie, les ocres de cette ville de Oualata, posée comme une complexe pièce montée dans le sable du désert.

vendredi 19 décembre 2014

Ce que serait le Troisième secret... [par l'abbé de Tanoüarn]

Je vous ai parlé du lien que le cardinal Ratzinger faisait lui-même entre le troisième secret de Fatima et le secret d'Akita au Japon qu'était venu lui porter Mgr Ito de la part de la voyante. La dernière apparition de la Vierge a eu lieu un 13 octobre 1973, le jour anniversaire du 13 octobre 1917 où eu lieu la terrible danse du soleil à Fatima. 

Voici ce que dit la Vierge à la voyante en 1973 : « L’action du diable s’infiltrera même dans l’Église, de sorte qu’on verra des cardinaux s’opposer à des cardinaux et des évêques se dresser contre d’autres évêques. Les prêtres qui me vénèrent seront méprisés et combattus par leurs confrères. Les églises et les autels seront saccagés. L’Église sera pleine de ceux qui acceptent les compromis. Le démon poussera beaucoup de prêtres et de consacrés à quitter le service du Seigneur. Il s’acharnera spécialement contre les âmes consacrées à Dieu. La perspective de la perte de nombreuses âmes me rend triste. Déjà la coupe déborde; si les péchés croissent en nombre et en gravité, bientôt il n’y aura plus de pardon pour ceux-ci. » Vous pouvez vous reporter au très beau et très audacieux post d'Yves Daoudal sur son site... 

Si le message d'Akita représente, "dans ses mots mêmes" comme a dit le cardinal Ratzinger à Mgr Ito, des ressemblances frappantes avec le Troisième secret de Fatima, on comprend bien les raisons qui ont poussé le cardinal à ne pas diffuser plus que la vision du troisième secret et à "oublier" le commentaire qui a dû en être fait par la Vierge elle-même, comme cela s'était passé pour les deux autres secrets. Et on entrevoit la raison pour laquelle le secret devait être diffusé "avant 1960", alors que le grand chambardement remonte à cette période, qui est celle qui prépare et qui accomplit dans l'Eglise la Révolution culturelle de Mai 68.

A noter : le film de Pierre Barnérias reste discret sur la teneur de ces secrets, que ce soit celui de Fatima ou celui d'Akita. Cela rend l'enquête du journaliste d'autant plus crédible qu'il ne s'aventure jamais sur un terrain théologique ou justiciable de la théologie.

samedi 13 décembre 2014

Le Troisième secret au Cinéma [par l'abbé de Tanoüarn]

Lorsque j'ai appris cela, j'ai cru que c'était un gag. Mais voilà que Marc, mon vieil ami, genre cathophile agnostique, me téléphone : "As-tu entendu, vu, que penses-tu de M ou le troisième secret de Fatima ?". Cette fois pas de doute : il y a un cinéaste, Pierre Barnérias, qui a osé faire ce film sur le troisième secret. Ce n'est plus radio-bigote. Ca existe en vrai. Marc est volontaire pour aller le voir une deuxième fois, parce que, me dit-il, "je t'avoue que je n'ai pas tout compris". Rendez-vous est donc pris Rue Saint-André des arts. Deux heures. On voit à peine passer le temps au cours de ce documentaire qui nous emmène aux quatre coins de la Planète, dans une enquête un peu échevelée sur... le surnaturel chrétien, et plus précisément sur le miracle catholique. Tout y passe : les images "interdites" de la messe au cours de laquelle, Mgr Decourtray officiant, l'hostie était restée dix centimètres au dessus de la nappe d'autel pendant un quart d'heure ; les icônes qui suintent de l'huile, non seulement en Syrie mais en banlieue parisienne ; la foudre qui tombe sur le Vatican au moment de la démission de Benoît XVI. Barnerias raconte. Il accumule. A vous de juger, semble-t-il nous dire. Je me tourne vers Marc, optimiste : "D'accord à 80 % - A 60 % tu veux dire". Je ne chipoterais pas : on n'est pas à 20 % près. Je dirais même : s'il n'y avait que 10 % de dur, 10 % d'irréfutable... Cela suffirait ! Je m'abstiens pour l'instant d'expliquer cela à mon voisin : le film n'est pas fini. Ca continue, un peu genre "Des racines et des ailes" me précisera Marc. C'est vrai, c'est du gros cinéma. Mais il y a des trucs... Impossibles!

Cette miraculée de Lourdes, d'abord, handicapée et réparée, qui ne croyait pas à son propre miracle et qui nous explique cela le plus naturellement du monde : "J'ai bien senti qu'il y avait quelque chose, mais je n'ai rien dit. J'ai eu trop peur qu'on se f... de moi. Divorcée, remariée, pourquoi moi ?" Ce miracle n'a d'ailleurs pas été reconnu par la Commission ad hoc, mais la miraculée est impressionnante. Jean-Pierre Mocky aurait dû avoir l'honnêteté de rencontrer des gens comme cela avant de faire son film idiot.

Dans l'architecture foisonnante du film, cette femme n'est d'ailleurs qu'un exemple, une illustration devrais-je dire. Le journaliste qu'est Barnerias enquête sur le miracle de l'huile à L'Haÿ-les-roses. Ca, si j'ose dire, je connais déjà. J'ai vu, nous avons visionné il y a quelques années au Centre Saint Paul la cassette de mon ami Nicolas. Un tel miracle était arrivé dans sa famille près d'Alep. On sait ce que ce pays est devenu depuis. La Vierge demande à ces gens de ne pas avoir peur. Barnérias, huissiers à la clé, authentifie le caractère inexplicable de ce fait.

C'est alors que notre cinéaste sans peur et sans reproche s'intéresse à Fatima. Il nous raconte la danse du soleil, devant 60.000 personnes, croyantes et incroyantes, qui ont laissé des témoignages. En fait, c'est le troisième secret qui l'intéresse : officiellement d'après le cardinal Ratzinger, à l'époque préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ce secret consiste en la vision par les petits voyants d'un homme en blanc tué à coups de fusil. La vision est aujourd'hui publiée. Elle concerne l'attentat d'Ali Agça contre le pape Jean-Paul II en 1980, souligne le cardinal. Bref, la prophétie a eu lieu : circulez rien à voir. Barnerias ne se satisfait pas de cette explication. Il remarque d'ailleurs que lors de sa dernière visite à Fatima (visite à l'occasion de laquelle le secret avait été dévoilé), alors que le cardinal Ratzinger avait donné cette explication sensée rassurante, Jean-Paul II, lui, sur la grande esplanade du Sanctuaire, avait fait un sermon apocalyptique... Comme s'il voulait se faire l'écho, par là, du véritable message de Notre Dame.

Qu'en est-il ?

L'enquête devient intense. Barnérias part à Kito au Japon où le visage d'une statue de la Vierge a été marquée de taches de sang. Le Japon, nous l'avions vu au début du film, c'est le pays de Notre Dame de la bombe, cette statue mystérieusement épargnée par l'apocalypse de Nagazaki, en 1945, alors qu'elle se trouvait presque à l'épicentre du rayonnement monstrueux de la charge nucléaire. Au Japon, à Akita, la Vierge se confie à une religieuse sourde, que nous voyons au cours de ce film (pas une allumée, c'est sûr)... Et elle pleure des larmes de sang. Mais cela ne suffit pas à Barnérias. C'est à Rhode qu'il aura ce que j'appellerais sa clé de l'énigme. Une convertie, Vassula Ryden, a eu l'occasion de voir Mgr Ito, évêque de cette ville d'Akita, qui est justement le lieu des apparitions japonaises. Mgr Ito sortait de chez le cardinal Ratzinger. Il lui avait confié le secret de Notre Dame d'Akita. Le Préfet l'avait gardé pendant une nuit. Il lui avait rendu le lendemain sans commentaire : "Eminence, vous voulez envoyer un enquêteur sur place pour que l'Eglise se prononce sur les apparitions - Je n'ai pas besoin d'enquêteur. Ce secret correspond parfois mot à mot au secret de Fatima". Il s'agit donc bien d'événements terribles qui vont toucher l'humanité et d'une crise de la foi qui est sans précédent.

La cause semble jugée. Le cardinal Ratzinger a cru devoir finasser à propos du secret, mais il ne croit pas lui-même à la version qu'il a rendue publique. Cette réserve permettait sans doute de ne pas effrayer les populations et de ne pas démoraliser ce qui reste de l'Eglise.

Dans son film, Barnerias ne fait pas d'explication de texte. Il montre. Et il nous laisse conclure.

Personnellement, j'avais publié dans Pacte une analyse du troisième secret tel qu'il avait été révélé par le cardinal Ratzinger. Pour moi, il est authentique. La vision est authentique. Mais "on" a enlevé le commentaire de cette vision, pour pouvoir, en toute tranquillité identifier l'homme en blanc du texte que nous possédons avec le pape Jean-Paul II en invoquant l'attentat de 1980. Oui, cette vision est probablement authentique, elle est rédigée de la main de Soeur lucie. Mais elle est incomplète. Que signifie cet homme en blanc qui défaille? Est-ce en sa vie qu'il est menacé ou dans sa fonction : il nous aurait fallu le texte. Dans les trois secrets, à chaque fois, il y a d'abord une vision, puis un commentaire. Le commentaire du dernier secret manque. Il est très probable que ce commentaire commençait par ces mots du dernier mémoire, qui ont comme échappé à Soeur Lucie : "Au Portugal se conservera le dogme de la foi". Mais ailleurs? Le dogme de la foi... Qui peut comprendre, comprenne.

jeudi 11 décembre 2014

Il est encore temps [par l'abbé de Tanoüarn]

Je voudrais vous parler de Marie Heurtin, le film de Jean-Pierre Améris avec Isabelle Carré et Ariana Rivoire. C'est l'histoire d'une aveugle sourde et muette - sorte d'enfant sauvage au début du film - qui prend conscience de son humanité et apprend à communiquer - sans peur - avec le monde grâce au dévouement sans limite et à l'ingéniosité d'une religieuse. Peut-on se projeter ? - Non direz-vous : je ne suis pas infirme. - Si : devant Dieu nous sommes tous des aveugles sourds et muets.

Il a fallu trois étapes à cette jeune Marie-Ariana (qui dans la vie est vraiment sourde de naissance) : d'abord la connaissance, que peut-on faire sans ? Elle a compris, par geste dans sa main, ce qu'était un couteau, puis une fourchette etc. C'est le dévouement et la persévérance de Soeur Marguerite (et la sagesse d'une très belle Mère sup) qui ont eu raison de l'état d'incommunicabilité où elle était plongée.

Deuxième stade : l'amour. Cette jeune fille s'éprend de la religieuse qui l'a sauvée, c'est un amour total et sans ambiguïté. Mais elle aurait pu penser que c'était elle la handicapée, qu'elle avait tous les droits et que le dévouement était à sens unique : toujours vers elle. Lorsque Soeur Marguerite tombe malade, elle sent que, toute infirme qu'elle soit et si maladroite, elle doit aider son amie : une scène à pleurer de beauté, qui nous montre que seul l'amour mutuel est l'amour.

Troisième stade : l'espérance. La jeune Marie apprend à comprendre ce qu'est la mort. Mort d'une religieuse plus âgée d'abord. Mort de son amie Marguerite ensuite. Le film se termine par une prière de l'infirme sur la tombe de Marguerite, dans le soleil. Elle a tout compris. Elle est entrée dans l'espérance comme on entre dans la danse. Je pense à ce texte magnifique de Gabriel Marcel, Homo viator : l'homme est constitué par son espérance.

L'infirme que l'on nous a présentée comme aux frontières de l'humanité, est devenue pleinement humaine: elle aime et donc elle espère - et d'abord elle espère pour celle qu'elle aime.

A la fin du film, la petite salle pleine à craquer de la Rue d'Odessa a applaudi longuement : je n'étais pas le seul à avoir les yeux rouges.

lundi 8 décembre 2014

Le signe de la femme [par l'abbé de Tanoüarn]

Les catholiques connaissent bien le texte du chapitre 3 de la Genèse, insolite tant il est catégorique : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Tu la mordras au talon, mais elle t’écrasera la tête » (Gen, 3, 15). Ce verset est connu sous le nom de « protévangile », c’est un Evangile d’avant l’Evangile ; c’est la première bonne nouvelle, immédiatement après la Chute : le Serpent n’imposera pas ses pensées serpentines, il sera écrasé. Ecrasé ? On nous parle de sa tête écrasée, sans doute pour montrer que ce sont les pensées du Serpent qui seront subjuguées par l’élan de pensées nouvelles et d’événements nouveaux obscurément aperçus au Commencement de ce Livre. Ce qui est décrit justement, naissant d’un grand collapsus (le péché originel), ce sont des pensées et des événements à venir. Ces pensées et ces événements sont comme l’horizon de l’histoire. Ils constituent la seule Révolution décisive dans le monde, la seule aussi qui dure depuis 2000 ans, la Révolution chrétienne, qui fait face au Serpent. Comme en écho au Protévangile du Livre de la Genèse, c’est, à la fin du Livre, l’Apocalypse de Jean qui nous montre cela de façon imagée : le Père, l’Agneau et l’Esprit, Trinité béatifique, font face à la Trinité négative, constituée du Serpent ou du Dragon (il en est question dans la Genèse et le revoilà dans l’Apocalypse) et des deux Bêtes de la Mer et de la Terre (cf. Apoc. 13).

Dans ce contexte de guerre à mort entre Trinité béatifique et triade maléfique, comment interpréter le signe de la Femme victorieuse du Serpent (Apoc. 12, 1 ssq.) ? Quel sens donner à « l’inimitié » posée à l’origine entre la femme et le Serpent ? Comment comprendre cette vision de Jean : « Un signe, un grand, apparut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, et la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles, et enceinte (…) Et le Dragon [« l’antique Serpent »] se tient debout en face de la Femme, celle qui est sur le point d’enfanter » (trad. Delebecque). On conçoit bien que les deux textes, au commencement et à la fin du Livre, dans la Genèse et dans l’Apocalypse, vont ensemble. Ils s’éclairent l’un par l’autre.

Il n’y a vraiment qu’une seule interprétation satisfaisante de ces deux textes pris ensemble, celle qui consiste à y voir l’annonce d’une maternité, triomphante du mal et de la mort et finissant par vaincre le Serpent. Depuis saint Irénée, le plus grand des Pères apostolique, tous les théologiens lisent ainsi le début de la Genèse, et l’appliquent à la Vierge Marie. Comment le comprendrait-on autrement ?  L’inimitié est le fait de Dieu : « Je poserai ». C’est Dieu qui établit cette contradiction primordiale entre le Mal et la Femme.

La fête de l’Immaculée conception que nous avons le bonheur de célébrer ce 8 décembre nous transporte au cœur de ce mystère de la victoire de Marie, pure conception divine, immaculée conception, créature et seulement créature, mais créature parfaite, « sainte par nature » dit Maximilien Kolbe. Marie est essentielle dans le mystère de notre salut, car elle représente à elle seule le Oui inconditionnel de la créature à son Créateur. En elle est toute la liberté de l’humanité. En elle est donc toute la perfection de l’humanité.

Contrairement à ce que l’on dit souvent, cette fête n’a rien à voir avec la virginité de Marie. Elle signifie que Marie, que l’on nomme « pleine de grâce » dans la prière du Je vous salue Marie, n’a pas été marquée par le péché originel. Alors que pour tous les humains spontanément le mal est plus facile à faire que le bien et l’égoïsme ou l’égocentrisme plus évident que l’amour du prochain, pour Marie, qui doit devenir le réceptacle du Messie, le péché n’a pas de prise sur elle. Elle est pure par nature et pas seulement par éducation ou par un effort personnel. Cette pureté du cœur vient en elle d’une familiarité particulière qu’elle a avec Dieu. Elle médite l’Ecriture, comme le montrent les nombreuses citations de son Cantique, le Magnificat, et elle est particulièrement lucide sur les exigences de la parole de Dieu. Saint Augustin explique en ce sens qu’avant d’avoir conçu Jésus dans son corps, elle l’avait conçu dans son cœur.

C’est ainsi que dans le Livre de la Genèse déjà, Marie est annoncée comme la Femme qui tient tête au Serpent diabolique. « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme » dit Dieu au Serpent. Lorsque Jésus veut rappeler à Marie sa Mission, il l’appelle justement « Femme » comme dans le Livre de la Genèse : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? »  au deuxième chapitre de saint Jean. Marie est depuis toujours celle qui fait échec au Mal, non seulement en elle-même, par son Immaculée conception, mais  dans le monde.

Contempler la perfection de Marie « mère de Dieu », doit nous conduire à méditer sur notre propre imperfection. En voyant tout ce qui nous manque, nous aurons un désir plus grand de réussir notre vie, en vivant dans l’ordre voulu par Dieu, dans la beauté que Dieu donne à ceux qui l’aiment comme Il l’a donnée à Marie. Il nous faut faire de notre vie un destin qui survit à la mort, et pas seulement une suite de bonnes fortunes et d’occasions à saisir sur le moment.

samedi 6 décembre 2014

Les Sept contre Babylone - une tragédie contemporaine [par l'abbé de Tanoüarn]

Voici un article paru dans le n°900 de Monde et Vie. En l'écrivant je pensais très fort à la pièce tragique d'Eschyle Les sept contre Thèbes. 407 avant Jésus-Christ : ca ne nous rajeunit pas. 
Je placerais ici en exergue une belle déclaration d'Antigone, qui, dans cette pièce, se prépare à ensevelir son frère Polynice, malgré l'interdiction du roi Créon. Voici Antigone, son courage et sa manière de laisser parler "ses entrailles" :
Et moi pourtant, je le déclare au sénat des Cadméens : si personne ne veut m'aider à l'ensevelir, je l'ensevelirai moi seule ; j'en courrai le danger. Pour donner la sépulture à un frère, je ne rougis point de désobéir aux ordres de la cité. Elles ont une voix puissante, ces entrailles où nous avons pris la vie, enfants d'une mère infortunée, d'un père malheureux. Partage volontairement, ô mon âme ! son malheur involontaire ; vivante, gardons pour le mort des sentiments fraternels. Non, des loups au ventre affamé ne se repaîtront point de ses chairs; non, n'en croyez rien! Moi-même, faible femme, je creuserai la fosse, j'élèverai le tombeau ; moi-même, dans les plis de ma robe de lin, je porterai la terre, j'en couvrirai le cadavre. Que nul ne s'oppose à mon dessein : la ruse, l'activité, seconderont au besoin mon audace.
Le 26 novembre, on a célébré le quarantième anniversaire de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse en faisant voter une loi qui fait de l’avortement « un droit fondamental ». Un droit de l’homme et, en l’occurrence surtout, un droit de la femme, car dans les faits ce droit la rend seul juge de la vie ou de la mort du petit être qui a nidé dans son ventre. Je pense à ce futur père éploré, qui est venu me voir récemment, n’ayant pas réussi à raisonner la femme, enceinte de ses œuvres comme on dit, et qui ne souhaitait pas que « cela » vienne interrompre le cours tranquille de son existence de bourgeoise friquée, intermittente de la Fac. Oh ! Je ne suis pas un champion de la condition masculine ! Je sais bien que souvent les pressions peuvent venir de l’homme justement pour que la femme « fasse passer » le petit être qui, inconsciemment, avait fait d’elle son refuge.

Je sais aussi que le temps des aiguilles à tricoter est terminé, que maintenant, entre l’aspirateur et la simple pilule du lendemain, nous avons des moyens de plus en plus perfectionnés pour interrompre une grossesse. Je sais que l’objectif des scientifiques qui travaillent à créer des utérus artificiels, c’est de débarrasser les femmes du fardeau de leur grossesse. Viendra sans doute un temps où « on » leur interdira d’être grosses.

Dans cette affaire, c’est le cas de l’écrire, nous ne luttons pas contre la chair et le sang mais contre les puissances et les dominations de ce monde de ténèbres… Contre le Progrès majusculaire, contre la Technique qui envahit tout, même le plus intime, contre les lobbies de l’individualisme triomphant, contre le sens de l’histoire, contre la loi (celle de 1974) et maintenant contre… « le droit ».

Les députés français ont tous compris l’ampleur de la bataille. Courage fuyons ! Ce 27 novembre, ils étaient sept – sept en tout et pour tout dans l’hémicycle – qui ont refusé de faire de l’avortement un droit fondamental. Il faut citer ces sept héros du cœur et de l’esprit, sept contre Babylone : Jean-Frédéric Poisson, Jacques Bompard, Yannick Moreau, Xavier Breton, Olivier Marleix, Nicolas Dhuicq et Jean-Christophe Fromantin. On peut compter les absents, remarquer que la propagande est telle que parmi ces opposants au droit à l’avortement, il n’y a pas une seule femme  et souligner que le seul membre de la Démocratie chrétienne (UDI), parmi ces sept héros, Jean-Christophe Fromantin, s’est vu prier de démissionner par certains de ses collègues qui sont pourtant « de la même sensibilité ».

- Démissionner ? dites-vous. - C’est que l’avortement devient un droit de l’homme, un droit « fondamental ». Qui le refuse sort du jeu politique par le fait même. Une loi, on peut toujours voter contre. Mais une loi républicaine représente l’unanimité des citoyens, comme l’a très bien expliqué Jean-Jacques Rousseau : une fois votée, il est interdit de s’y opposer. Et maintenant, cette loi, après 40 ans d’expérience, devient un droit : qui s’y opposera d’une façon ou d’une autre (ne serait-ce qu’en essayant de décourager une femme qui est tentée d’avorter) risque de le payer très cher, jusqu’à être frappé d’indignité civique.

Et pourtant ce droit à l’IVG semble naturellement opposé au droit naturel le plus imprescriptible, qui est le droit à la vie de tout être vivant que l’on peut qualifier d’humain. Mais qu’importe le droit à la vie dans une culture de mort !  Celui-là d’ailleurs, si évident soit-il, n’a jamais pu être voté. Il n’aura jamais cette sacralité-là.

jeudi 4 décembre 2014

«Nous ne sommes plus dans les années 1980» - Il n'y aura pas de ‘Génération François’ (suite) [par Hector]

[par Hector]
Cette contribution d’Hector vient après un premier volet écrit par RF. On ne s’étonnera pas de trouver des idées, voir des expressions similaires, les deux textes étant issus d’une discussion préalable entre les auteurs des deux textes.
La popularité du pape François, y compris auprès de publics éloignés de l’Église, est un phénomène massif et constant. Un pape qui fait l’objet de plusieurs couvertures de journaux à portée mondiale ; un pape qui suscite l’intérêt de personnalités éloignées de l’Église; etc. Certains hurleraient, d’autres s’en réjouiraient. Mais ce n’est pas la question. Et je crains que les discussions sur le pontificat bergoglien n’oublient certaines choses, à commencer par l’état précaire du catholicisme dans un pays comme la France, qui se vérifie dans tout l’occident sécularisé (de Los Angeles à Berlin ou de Stockholm à Barcelone). On raisonne encore comme si les jeunes de France et de Navarre étaient en contact permanent avec l’Église, comme si celle-ci continuait à drainer massivement les jeunes par ses aumôneries et son catéchisme… Nous ne sommes plus dans les années 1950, on en conviendra. Mais nous ne sommes plus non plus dans les années 1980: cela, on tend à l’oublier, tant chez les catholiques dits traditionnels que chez ceux qui ne le sont pas.

Permettez-moi une petite séquence rétro. Je ne vais pas vous parler de l’état de l’Église avant le concile, ou même de celui des dernières années pacelliennes ou même du bref intermède roncallien, mais bien de la situation des années 1980. Au cours de ces années, un nombre non négligeable d’enfants allaient au catéchisme et suivaient un parcours sacramentel complet, allant du baptême à la confirmation. Évidemment, ils allaient au catéchisme qui avait, pour ainsi dire, pignon sur rue, au point de susciter la curiosité de leurs collègues. Certes, les jeunes n’allaient pas à la messe tridentine, pas plus qu’ils ne suivaient un catéchisme sous forme de questions-réponses (le manuel Pierres vivantes existait) ; mais dans ces années 1980, le catholicisme existait encore dans l’espace public. Le catéchisme des enfants était un phénomène social. Malgré toutes les controverses relatives aux méthodes catéchétiques et au contenu enseigné aux enfants, il existait encore une jeunesse touchée par l’Église. Après la bourrasque des années 1960 et 1970, il y eut une relative accalmie. Ainsi, mes camarades d’école primaire (précisons qu’il s’agit de l’école laïque) ou de colonie de vacances allaient au catéchisme. En classe de neige (CM1), les animateurs qui nous suivaient avaient même accompagné des jeunes à la messe du dimanche. De telles situations semblent impensables aujourd’hui : outre les éventuels cris d’orfraie poussés si l’on apprenait que des agents publics aident les jeunes à accomplir leur devoir dominical, il serait tout simplement inimaginable de voir des jeunes aller à la messe… Les jeunes catholiques existaient et cela se savait dans leur entourage. C’est sur cette jeunesse qu’a pu se greffer l’action de Jean-Paul II.

Aujourd’hui, la situation est toute autre. Outre le fait que de moins en moins de parents font baptiser leurs enfants (sauf pour faire plaisir aux grands-, voire aux arrière-grands-parents), il y a moins de monde au catéchisme. De même, le parcours sacramentel se limite à la portion congrue : baptême jamais suivi de première communion, encore moins d’une confirmation ou de confession.. Ah, oui, j’oubliais : il va de soi qu’il n’y a plus de catéchisme donc plus de formation religieuse, même rudimentaire. Le gamin des années 1980 pouvait encore savoir qui était Jésus, qu’il existait un Ancien et un Nouveau testament ou qu’à la messe on écoutait les paroles de consécration : je ne suis pas sûr que son camarade d’aujourd’hui sache qu’un curé est forcément un prêtre ou ce qu’est une messe… Le décrochage parasite la perception par le grand public de ce que fait l’Eglise : par exemple du débat sur la communion aux divorcés remariés. Vu de l’extérieur, communier est un simple rite social, la marque d’adhésion à une communauté, qui ne communie jamais qu’à elle-même : un peu comme on se sert la main, en d’autres groupes ou d’autres occasions. Ce malentendu n’est pas nouveau – mais la petite minorité ignorante qu’il concernait est devenue majoritaire.

Il n’y aura pas de «génération François» non parce que le pape ne le mérite pas ou parce qu’il n’en est pas digne -ce n’est pas la question- mais tout simplement parce qu’il n’existe pas, en soi, de génération. On peut dire qu’il existe des générations marquées par l’Église préconciliaire, des générations conciliaires, marquées par les réformes s’inscrivant dans le sillage de Vatican II : je crains qu’on ne puisse parler de génération franciscaine si ce n’est pour constater son inexistence. Et c’est bien le problème d’un discours papal qui s’adresse à un public en filigrane, un peu comme il existe des comédiens sans public. Je ne sais pas en quoi consistera l’exhortation post-synodale à venir, mais je crains qu’elle ne rate son coup en s’adressant à un public de vieilles dames, dont les questions matrimoniales apparaissent avec moins d’acuité…

lundi 1 décembre 2014

Ce que je pense d'Eric Zemmour [par l'abbé de Tanoüarn]

L'un d'entre vous me fait le reproche amical de n'avoir pas parlé d'Eric Zemmour sur ce Blog.. Voici ce que j'ai publié dans Monde et Vie, il y a deux mois, au moment de la sortie de l'ouvrage Le suicide français. 
Le Zemmour nouveau (Le suicide français) n’est pas seulement un événement politique et littéraire de première grandeur. C’est un symptôme de la droitisation constante des esprits et des problèmes. Ceux qui autrefois étaient passionnés d’égalité sont inquiets aujourd’hui de leur identité. Et ceux qui guettaient le grand soir semblent se résigner à la fin d’un monde… 
« Il y a une zemmourisation de la société française aujourd’hui ». Celui qui parle ainsi est un vieil habitué de la dialectique, un trotskiste qui a pris un coup de vieux, Jean-Christophe Cambadélis, actuel patron du PS. Et il intervient non pas dans un fanzine de quatrième zone, mais sur la chaîne du Parlement (LCP) Il a compris que les arguments d’Eric Zemmour étaient trop forts, trop fortement agencés, trop convergents, trop étayés pour que l’on puisse les traiter par le mépris (comme la Gauche le fait si facilement avec toute pensée de droite). Il a senti qu’il ne pouvait plus diaboliser leur inventeur en le traitant de « fâchiste ». Il a dû se rendre compte surtout que la situation de la France ne permettait plus à personne d’être honnêtement de gauche, parce que la gauche dépense l’argent gagné par la droite, parce que les Révolutions sont le fait de gosses de riches insouciants et qu’aujourd’hui même les gosses de riches ont des soucis à se faire. Le 14 juin 2014, Manuel Valls, tirant tout haut la leçon du malaise, l’avait dit lui-même devant le Conseil du PS : la gauche peut mourir. Elle peut mourir, dit Zemmour, parce qu’elle aura tout tué. Nous en sommes bien au suicide de la France. 
Le plus drôle ou le plus sinistre, c’est qu’au fond personne ne conteste cette thèse fondamentale, ni Ruth El Krief, qui trouve le livre de Zemmour « intéressant » ni même son meilleur ennemi sur I Télé, Nicolas Domenach. Si l’on veut chercher en quoi consiste la zemmourisation des esprits, elle est là : on lui donne raison d’un peu partout, parce qu’obscurément plus personne ne croit en la France. La stratégie de Zemmour est dans cette manière de surfer avec brio sur le déclinisme ambiant. Si tout est f…, comprenez-vous, rien n’est grave. Nous assistons au suicide de la France. En direct. Reste à prédire le désastre. Cassandre est célèbre jusqu’à nos jours pour l’avoir fait à Troie. Zemmour est notre Cassandre. Même quand Patrick Modiano remporte le prix Nobel de littérature, il veut absolument (voir : Ca se dispute) que ce soit la France d’hier qui l’ait emporté, pas celle d’aujourd’hui. Ce pessimisme est une posture. Ne nous y laissons pas prendre. La France est en piteux état ? Elle l’a été plusieurs fois au court de son histoire. Il suffit de quelqu’un qui sache la réveiller… Avant qu’il ne soit vraiment trop tard…
Le Zemmour tel qu’il le parle : des diagnostics

Grave : « Mai 68 aura été à la République gaullienne ce que 1789 fut à la Monarchie capétienne : le grand dissolvant »

Futile : « Aujourd’hui le public dédaigne la plupart des films français, alourdis par un politiquement correct de plomb. Mais il fait un triomphe aux rares audacieux qui exaltent les valeurs aristocratiques d’hier (Les Visiteurs), le Paris d’hier (Amélie Poulain), l’école d’hier (Les Choristes), la classe ouvrière d’hier (les Ch’tis), la solidarité d’hier (Intouchable) et l’intégration d’hier (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?). A chaque fois, la presse de gauche crie au scandale, à la ringardise, à la xénophobie, au racisme, à la France rance ; mais prêche dans le désert. A chaque fois les salles sont remplies par des spectateurs enthousiastes qui viennent voir sur pellicule une France qui n’existe plus, la France d’avant ».

Équitable : « La Droite trahit la France au nom de la mondialisation. La Gauche trahit la France au nom de la République. La Droite a abandonné l’Etat au nom du libéralisme. La Gauche a abandonné la nation au nom de l’universalisme. La Droite a trahi le peuple au nom du CAC 40. La Gauche a trahi le peuple au nom des minorités. La Droite a trahi le peuple au nom de la Liberté, cette liberté mal comprise qui opprime le faible et renforce le fort.  Cette liberté dévoyée qui contraint la laïcité à se parer de l’épithète positive pour se rendre acceptable aux yeux de tous le lobbies communautaires. La Gauche a trahi le peuple au nom de l’égalité. L’égalité entre les parents et les enfants qui tue l’éducation ; entre les professeurs et les élèves qui tue l’école ; l’égalité entre Français et Etrangers qui tue la nation ».

Sexuel :  « La rencontre entre l’homosexualité et le capitalisme est le non-dit des années 1970. Entre un mouvement gay, qui arbore un drapeau arc-en-ciel et un capitalisme qui découvre les joies et les profits de l’internationalisme, il y a un commun mépris des limites. Entre la fascination homosexuelle pour l’éphèbe et une société capitaliste qui promet la jeunesse éternelle, l’entente est parfaite. Le rejet haineux du père est sans doute le point commun entre une homosexualité narcissique qui transgresse sexuellement les lois du père et un capitalisme qui détruit toutes les limites et les contraintes érigées par le nom du père autour de la cellule familiale, pour mieux enchaîner les femmes et les enfants – et les hommes transformés à la fois en enfants et en femme – à sa machine consumériste »

Maurrassien : « Notre passion immodérée pour la Révolution nous a aveuglés et pervertis. On nous a inculqué que la France était née en 1789, alors qu’elle avait déjà plus de mille ans derrière elle. On ne cesse de nous répéter depuis 40 ans que Mai 68 fut une révolution manquée, alors qu’elle a vaincu. (…) Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France. Il nous faut maintenant conter les quarante années qui ont défait la France. Il est temps de déconstruire les déconstructeurs »