samedi 26 octobre 2013

La divine surprise du Notre Père

Cet article est paru dans le dernier numéro de la revue Monde et Vie
« Ne nous soumets pas à la tentation ». Cette vieille traduction de la sixième demande du Notre Père deviendra caduque le 22 novembre prochain. Elle est remplacée par une traduction plus conforme au texte originel : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

La nouvelle couvait sous le boisseau depuis des années. Et voilà que c’est officiel, les journaux, les radios, la télévision se sont fait l’écho de l’incroyable nouvelle : l’Eglise catholique change sa traduction du Notre Père. Pour que cette modification de quelques mots fasse autant de bruit, il faut que ce geste soit très important. Cette traduction, adoptée sous les auspices du cardinal Feltin durant la nuit pascale de 1966, est l’un des fruits du concile Vatican II. Elle représente une concession œcuménique des catholiques, qui décident unilatéralement d’adopter la formule en vigueur chez les réformés et de faire suivre la récitation du Pater de la closule : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne la Puissance et la gloire pour les siècles des siècles ». Elle avait été annoncée par un communiqué commun des catholiques, des protestants et des orthodoxes dès le 4 janvier précédent.

L’idée que toutes les confessions chrétiennes puissent réciter le Pater en français avec les mêmes paroles revêtait une signification spirituelle certaine. Mais, pour permettre cette avancée, on avait repris la version protestante, et, à propos de la sixième demande « Ne nous soumets pas à la tentation », cette reprise a très vite posé un problème à la conscience des catholiques : Dieu peut-il nous soumettre à la tentation, c’est-à-dire nous y faire succomber ? Lorsque l’on croit à la prédestination absolue, lorsque l’on dit comme Luther « Dieu nous damne », lorsque l’on précise comme Calvin qu’il existe une prédestination au bien mais aussi une prédestination au mal, alors on comprend bien que la traduction « N e nous soumets pas à la tentation » ne pose aucun problème de conscience. Mais si, comme les catholiques, on continue à croire dans le libre arbitre de l’être humain, alors cette traduction est spontanément inadmissible parce que trop unilatérale. C’est tout ce que l’on n’a pas voulu voir en 1966 dans l’enthousiasme œcuménique qui a suivi immédiatement le Concile.

Le fait qu’on le découvre aujourd’hui signifie-t-il que ce prurit œcuménique est passé. Il montre en tout cas que l’engagement œcuménique a changé de nature. Les «gestes forts», les abandons généreux qui étaient à la mode dans les années 60 (les drapeaux de Lépante rendus aux musulmans par Paul VI), les concessions symboliques (le même Paul VI demandant sa bénédiction au Patriarche orthodoxe Athénagoras, au mépris de sa propre primauté en tant que pape) étaient monnaie courante. Mais depuis l’intervention d’un certain cardinal Ratzinger l’œcuménisme est nettement plus doctrinal. En 1999, a été signée une déclaration commune aux luthériens et aux catholiques sur la justification par la foi (et donc sur la prédestination). Mais rien de tel n’a pu encore avoir lieu avec les réformés, qui n’ont pas bougé d’un pouce sur leur doctrine traditionnelle, tout en mettant en cause, pour les plus libéraux d’entre eux, jusqu’à… l’existence de Dieu. Bref l’œcuménisme avec les réformés, si important soit-il, est dans une impasse dont on n’est pas près de sortir. L’enjeu œcuménique de la traduction de la 6ème demande est donc moins important aujourd’hui. 

Mais encore fallait-il que l’Eglise qui est en France accepte de mettre en cause publiquement son « infaillibilité sur le terrain » et reconnaisse que l’on a fait réciter aux fidèles un texte erroné, en rendant obligatoire une traduction qui n’était pas catholique…. Ce deuxième volet de la querelle n’est pas encore passé. J’en veux pour preuve les mises au point ecclésiastiques qui se multiplient, précisant qu’il n’y aurait aucun changement dans la liturgie avant des années et que c’est uniquement une nouvelle traduction liturgique de la Bible qui sera proposée à la traditionnelle Conférence des évêques à Lourdes au début du mois de novembre prochain. Parmi d’autres, le plus autorisé, le porte parole des évêques, Mgr Bernard Podvin précise : « Rien ne change actuellement pour la prière du Notre Père, y compris à la Messe. Un changement pourra intervenir dans quelques années lorsqu’entrera en vigueur la nouvelle traduction du Missel Romain, qui est encore en chantier».

Où l’on voit qu’au-delà de ce qui est vrai et de ce qui est faux, la pilule a tout de même du mal à passer !
Les raisons du changement
Il faut remonter aux travaux très précis de l’exégète Jean Carmignac, avec ses Recherches sur le Notre Père (1969) pour comprendre la volte face de l’épiscopat français à propos de la traduction du Et ne nos inducas in tentationem…Si l’on se contente du latin (et du grec) on a : « Et ne nous induisez pas en tentation… ». Le « Ne nous soumettez pas à la tentation » aggrave un peu les choses, en laissant entendre qu’un Dieu peut nous soumettre à la tentation c’est-à-dire nous prédestiner au mal. Mais le principe est le même. Le Père Carmignac soutient lui que l’original de cette prière ne peut être que dans la langue liturgique de l’époque : l’hébreu. Et en hébreu, dit-il, cela correspond à un mode factitif ou causatif : « Faites que nous n’entrions pas en tentation ». On rejoint ainsi d’une certaine manière l’ancienne traduction française : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation». 

Le problème de cette ancienne traduction, c’est qu’elle prend en compte avant tout l’issue de la tentation, alors que manifestement, d’après le sens du inducere latin et de son équivalent grec, il s’agit d’entrer ou de ne pas entrer dans cette zone dangereuse qu’est la tentation. Mais cette nuance est minime et ne met pas en cause l’orthodoxie de celui qui demande que Dieu « ne le laisse pas succomber» à la tentation.

La traduction actuelle, tenant compte de cette nuance, paraît bien a plus exacte : « Ne nous laisse pas entrer en tentation… » On aurait pu dire aussi : « Ne nous soumettez pas à l’épreuve…»

mercredi 23 octobre 2013

Sionisme et antisionisme

Une salle pleine ce soir au CSP pour écouter la critique d'Alain Wagner sur Alain Soral. Le Conseil de rédaction de Monde et Vie ayant été déplacé du mercredi au mardi, je n'ai pas pu assister à la conférence et me suis contenté de proposer un petit prélude sur le sionisme et l'antisionisme. En rentrant, ce soir, je trouve dans ma boîte "Trois remarques" de mon ami G. sur "mon avant propos" de ce soir. Elles sont stimulantes, comme toujours, elles méprisent toute correctness, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si, sur ce point, je crains que nous restions en désaccord.

Quant à Alain Soral, objet de notre propos de ce soir, dont on appréciait la vis polemica (voir son Jusqu'où va-t-on descendre ?), je dirais qu'il considère l'antisionisme comme la clé universelle - le passe partout - qui explique tous les sujets, que ce soit le sort de la Planète ou l'horreur pédophile. Cette obsession entraîne évidemment une sorte de strabisme, qui finit par transformer l'horizon en un point. Un point c'est tout. Cette simplification peut faire passer les auditeurs de l'antisionisme à l'antisémitisme - c'est-à-dire à la détestation ponctuelle de la culture ou de la race juive.

L'antisionisme ? Je n'ai vu que deux sens à ce mot tout à l'heure. G. m'en propose un troisième. Il a raison.

Le premier c'est "l'opposition au projet sioniste d'établissement d'un projet national juif en Palestine" (merci Wikipedia).
Pour moi, ce premier antisionisme est absurde puisque les juifs ont créé "un foyer national" en Israël depuis 1947. Il y a 8 millions de citoyens israéliens aujourd'hui dont 6, 5 millions de juifs. On ne peut pas revenir sur ce fait. Il ne s'agit pas "d'idolâtrie du fait", il s'agit simplement de reconnaître qu'en politique, comme dit Aristote, "les faits sont principes" (et non les idées). G. me dit : "La Révolution est un fait, la colonisation a été un fait".

Je crois que ces deux exemples sont parfaitement bien choisis. Je passe sur la colonisation mais j'entends encore le président Bongo refuser la création d'un Lycée français à Libreville en disant : "Tous les lycées de Libreville sont des lycées français". Il ne maniait pas vraiment la langue de bois, le vieux ! Mais le fait est ! On ne peut pas, quand on exerce le pouvoir, s'écrier comme Jean-Jacques : "Ecartons tous les faits". La colonisation française a été un fait. Elle demeure dans ses conséquences culturelles, linguistiques d'abord. Même pour un membre du CRAN !

Pareillement, on ne fait pas de la politique française de la même façon avant et après la Révolution., même et surtout quand on est contre-révolutionnaire. Les démocrates chrétiens et autres MRPistes ont voulu croire que la République n'existait pas vraiment avec son passé passif, que la démocratie seule triomphait, que la Révolution était une parenthèse que l'on pouvait refermer. Leur pacifisme politique ne convainc personne ni à droite ni à gauche. Ils me font penser à ces chrétiens (qui furent très attirés par le pape Benoît) et qui voulait faire comme si le concile Vatican II n'avait pas eu lieu. Comme si on pouvait vivre dans l'Eglise sans avoir à prendre son parti de cet événement. Le pape François, arrivé au Souverain pontificat, a démenti tout cela en cinq sec. Je ne dis pas que François est mieux que Benoît, mais je dis simplement qu'il faudra bien s'atteler à Vatican II et que les propos du Pontife régnant sur la liberté de conscience (voir notre article Une critique cinglante) ont eu l'avantage de reprendre Vatican II dans tout ce qu'il a de plus contestable. Plus question de tout planquer sous les tapis du Vatican !

Eh bien ! Israël est un fait. Peut-on être contre ? Ni pour, ni contre... Il faut simplement trouver des solutions au conflit israélo-palestinien en tenant compte de ce fait.

Deuxième définition : l'antisionisme est l'opposition à certaines positions politiques d'Israël et à son extension, qui va jusqu'à l'opposition à l'existence même d'Israël. La deuxième définition (toujours prise de Wikipedia) tend à rejoindre la première, tant les passions que déclenche ce sujet sont vives.

La question de l'extension d'Israël est extrêmement sensible. Je ne crois pas que ce soit de l'antisionisme de dire, avec ce sioniste spirituel que fut Yeshayaou Leibowitz que le triomphe israélien lors de la Guerre des Six jours, qui entraîna une exaltation nationaliste juive, fut "une catastrophe pour l'Humanité et pour l'Etat d'Israël". D'ailleurs, lorsque en 1974, Israël accepte la résolution 242 des Nations Unies sur le retour aux limites de 1967, Israël n'est pas... antisioniste. On est très loin aujourd'hui de cette ligne et même l'évacuation de la Bande de Gaza en septembre 2005 peut être considérée comme un prélude à la Guerre de 2009. Il est clair que la volonté de paix est difficile à trouver ailleurs que dans quelques individus héroïques de part et d'autre. Pour les Israéliens, peut-on faire la paix avec des gens qui, durant les prêches du vendredi, ne cachent pas (je parle des islamistes de plus en plus nombreux) qu'il faut "anéantir Israël" (Je l'ai entendu une fois de la part d'un Taxidriver parisien barbu... Ca calme !)... Pour les Arabes, musulmans et chrétiens, peut-on supporter les humiliations quotidiennes des check-points et la paralysie qu'ils engendrent ? Et puis... "18 000 maisons palestiniennes détruites, 750 000 Palestiniens arrêtés à un moment ou à un autre depuis 1967, 11 000 détenus pour l'heure, 600 barrages en Cisjordanie, "lieux de vexation ou de brutalité gratuite". C'est Régis Debray qui donne ces chiffres et qui s'indigne (cf. A un ami israélien, avec la réponse d'Elie Barnavi, Flammarion 2010).

On peut se demander si un accord politique est possible, ce n'est pas de l'antisionisme de poser la question. Les Accords d'Oslo ne sont plus qu'un lointain souvenir. Et alors que Bibi Netanyahu est régulièrement réélu, on cherche qui peut bien porter non pas la paix mais l'apaisement. Est-il vrai par exemple qu'Israël aujourd'hui abrite des Jihadistes en repli stratégique dans le Golan ? Quand on en vient à la négociation elle-même, le statut de Jérusalem reste une pomme de discorde. Il me semble que la politique des papes, si profondément rationnelle, si volontairement dépassionnée dans ce domaine - politique qui n'est ni sioniste ni antisioniste - pourrait être comme le retour de la colombe, un brin d'olivier dans le bec, qui annonce la fin du Déluge.

Significatif en tout cas est l'opposition fin août 2013 entre Laurent Fabius, notre ministre des Affaires étrangères et Benjamin Netanyahu, l'un disant que le conflit israélo-palestinien est "le père de tous les conflits" (au cours d'une émission chez Bourdin sur RMC) et l'autre lui répondant quelques jours plus tard de visu à la Knesset que les conflits sont dans tout le Proche Orient et refusant de voir le conflit israélo-arabe comme un conflit matriciel. Qu'il existe un tel désaccord à ce niveau entre deux juifs, l'un ministre français, l'autre premier ministre en Israël montre bien dans quelle impasse sont les politiques.

C'est sans doute pourquoi la religiosité n'est pas absente de ce conflit, même lorsqu'il s'invite dans nos Banlieues ou dans les déclarations de nos hommes politiques. Dans nos Banlieues ? Les prêches incendiaires en arabe qui tendent à fanatiser une population qui ne veut pas apprendre à vivre à l'Occidental (ou qui ne veut pas s'intégrer) et qui cherche un Bouc émissaire... A supprimer. Dans les déclarations de nos hommes politiques ? L'image de Fabius sur la paternité universelle de ce conflit est vraiment trop forte : surinterprétée. Mais que penser d'un Manuel Valls disant qu'il est "éternellement attaché à Israël" ? Eternellement ? Il y a dans cet attachement quelque chose qui n'est pas purement politique. Pas purement tactique comme serait purement tactique l'assistance à un dîner du CRIF par exemple. Le sionisme et l'antisionisme sont-ils en train de devenir des religions jusqu'en Occident ? Si l'antisionisme se fait religion, ce sera la religion du Bouc émissaire, une religion génocidaire.

Si le sionisme se fait religion... Aujourd'hui c'est le nihilisme qui gagnerait. La France, toujours paroxystique en politique, est un bon test. Ce serait la religion de la Shoah que critique âprement Imre Kertesz. Comme dit Jean-Christophe Attias, "la mémoire du génocide érigée en religion est une religion sans Dieu et sans espérance. Admettons qu'une religion puisse se passer de Dieu... Mais de l'espérance ? Une religion ne saurait tourner seulement autour de la mort" (in Les Juifs ont-ils un avenir ? avec Esther Benbassa, éd Lattès 2001 p. 113). Esther Benbassa ajoutait alors : "Je dirais aussi que cette religion est entièrement fermée sur elle-même et s'auto-alimente, et que cette sacralisation clôt le débat. Il est à souhaiter qu'il ne s'agisse là que d'un moment critique susceptible de dépassement". Quel dépassement ? Evidemment pas le révisionnisme, mais bien l'universalisation. Esther Benbassa explique : "Je ne vois de salut que dans l'universalisation. Universaliser n'est pas oublier. C'est de l'excès de paroles que découle l'oubli, la normalisation". Ce discours évoque mot pour mot les thèses défendues merveilleusement par Imre Kertesz dans toute son oeuvre romanesque mais spécialement dans La Shoah comme culture. Elles sont non pacifistes mais pacifiantes. Question ; que signifie cette universalisation à l'heure du conflit israélo-palestinien ?

Il me semble vraiment que, comme pour tout paroxysme humain, le conflit israélo-arabe n'est pas purement politique. Il porte en lui non pas je ne sais quelle religion séculière de substitution, comme serait la religion de la Shoah, mais l'incandescence religieuse de cette région et sa spécificité historique... C'est le message de paix que portent les chrétiens (ces deux pour cents de Palestiniens chrétiens restant envers et contre tous) qui devra l'emporter pour que le calme s'établisse vraiment au Proche-Orient. Plus le temps passe, plus on se rend compte qu'en Syrie, au Liban, comme en Israël, les peuples ne veulent pas la guerre. Seuls un petit nombre d'irréductibles, politiques d'un côté qui la font rentrer dans leurs calculs, jihadistes de l'autre pour qui elle est une religion, continuent à l'appeler de leurs voeux. L'échec de la Communauté internationale à imposer la guerre en Syrie (comme elle l'avait fait en Libye quelques mois auparavant) est caractéristique d'une nouvelle donne, qui donne tort aux Faucons et autres théoriciens du Chaos. L'équilibre de la terreur est précaire pour tout le monde. Il faut convertir la classe dirigeante... côté salafiste (Arabie saoudite etc.) côté israélien (où le discours faucon est dominant) et côté occidental (De BHL à Sarko, y a du bouleau ne serait-ce qu'en France). Mission impossible ? Reste à trouver des porteurs de paix, comme le fut Isaac Rabin au mépris de sa vie, après avoir été un partisan de la guerre lors de la Première Intifada.

vendredi 18 octobre 2013

Les Sages se f... de la conscience

Ca y est : le conseil des Sages, qui s'appelle aussi le Conseil constitutionnel et qui est constitué essentiellement - Debré ou Charasse - d'hommes politiques sur le retour, extrêmement attentifs à ne pas déplaire aux puissants de l'heure pour ne pas perdre ce qui leur reste du festin de la vie, vient de décréter qu'il n'y aurait pas de clause de conscience à propos du Mariage pour tous. Pitoyable ! On légifère même sur la conscience. le plus terrible des totalitarismes ne ferait pas mieux. De par la loi, il est interdit à la conscience humaine de se manifester sur le sujet.

L'événement est grave ou loufoque (ou les deux, selon que vous êtes ou non doué du sens de l'humour). La conscience humaine, en effet, n'est pas sujette de la loi écrite. On le sait depuis Antigone, enterrant son frère malgré le terrorisme de Créon, interdisant que l'on rende à Polynice l'hommage qui est dû à son humanité, la sépulture. Dans sa Rhétorique, Aristote était formel sur le sujet : "Il y a un juste et un injuste communs de par la nature et que tout le monde reconnaît par une espèce de divination, lors même qu'il n'y a aucune communication ni convention mutuelle. C'est ainsi que l'on voit l'Antigone de Sophocle déclarer qu'il est juste d'ensevelir Polynice dont l'inhumation a été interdite, alléguant  que cette inhumation est juste, comme étant conforme à la nature" (Rhétorique 1, 13). Et un peu plus loin, Aristote cite un certain Alcidamas, qui n'est pas resté à la postérité, mais dont le scoliaste nous donne - en note - la sentence : "Le Dieu a laissé libre tous les hommes et la nature n'a fait personne esclave". La liberté des personnes ne se décrète pas... La conscience des personnes ne peut pas être délimitée par la loi. Encore moins par un décret.

Faut-il rappeler au Conseil constitutionnel ce que Jacques Chirac (qui fait partie des sages par position malgré sa... fatigue) alléguait en un autre contexte : "Il ne faut pas toucher aux colonnes du Temple". Les Sages se sont permis de considérer que l'article 1 de la Loi de 1905... devait être considéré comme nul en cette affaire. Et pourtant que dit-il ? Rien que de très simple, de très ordinaire, j'allais dire rien que de la normalitude :  "La République assure la liberté de conscience". Il suffit donc qu'une conscience quelconque se manifeste, pour déclarer qu'elle ne peut pas, froidement, accomplir tel acte qu'elle estime mauvais, pour que, d'après la Loi, son droit soit reconnu. Cette déclaration est fondamentale.

Saint Thomas d'Aquin, au XIIIème siècle, était déjà un fervent défenseur de la conscience, cette empêcheuse de déconner en rond, cette Antigone ou cette Alouette (o Jeanne), si bien croquées par Jean Anouilh. Dans la IaIIae Q19 a 5 (je parle de la Somme théologique) il explique que la conscience est le "dictamen rationis". Dans notre langue française, ondoyante et diverse, il n'y a pas d'équivalent (que je sache) au mot dictamen. Il faut faire appel à l'allemand. On peut traduire : le diktat de la raison. Pour Thomas, personne, ni roi ni prince, ni évêque ni pape ne peut entraver la liberté de la conscience de chaque personne lorsque elle se manifeste en dernier recours par un diktat. On peut et on doit informer les consciences défaillantes mais on ne peut pas prétendre qu'elles n'ont pas le droit de se manifester. Il n'y a rien au dessus du droit d'une conscience humaine poussée dans ses retranchement d'honnêteté et de justice. Rien, même pas Dieu, ni la loi naturelle. L'exemple que donne saint Thomas est amusant. Il pourrait d'ailleurs s'appliquer pour une part à la société actuelle. Celui, dit-il, qui pense qu'il est bien de forniquer et qui ne fornique pas commet une faute contre sa conscience - dans l'Evangile on parle de péché contre l'esprit.

Il y aurait évidemment une autre interprétation à la décision du Conseil des sages. Je pars moi du principe qu'ils ont un moment oublié la colonne du Temple, zapé la loi de 1905, gardienne de la laïcité. Mais on peut penser que cette loi (en particulier son article 1) ils le connaissent parfaitement. Simplement ils l’interpréteraient peut être autrement que nous le faisons. Comment ? Eh bien ! Au lieu de comprendre, comme nous le faisons tous que la loi s'arrête là où commence la conscience humaine, peut-être les Sages estiment-ils à l'inverse que, dans la mesure où c'est la République qui "assure la liberté de conscience", alors il leur revient à eux (ils sont un peu la République en dernier ressort) de déclarer les limites de la conscience individuelle. C'était la théorie de Hitler lorsqu'il a été élu démocratiquement chancelier et lorsqu'il est devenu chancelier du Reich : le représentant du peuple peut et doit délimiter le domaine dans lequel la conscience a droit de s'exercer. Et il lui revient, par le fait même, d'interdire à a conscience certaines zones considérées, du point de vue de la conscience, comme des zones de non-droit.

La République se sortira-t-elle un jour de on péché originel, le Rasoir national? La Cinquième aura-t-elle le courage d'admettre qu'elle est fondée sur les iniquités sanglantes de la Première? Ou est-ce que seule l'Eglise catholique devrait faire repentance ? La question est grave parce qu'elle en entraîne une autre sur le sujet qui nous occupe : peut-on être un homme digne de ce nom si l'on ne reconnaît pas le droit des consciences?

mercredi 9 octobre 2013

Comprendre la géopolitique divine

Dans l'extraordinaire rite que j'ai l'honneur de célébrer, nous pouvions fêter dimanche la solennité de Notre Dame du Rosaire, dont la fête est le 7 octobre (lundi donc). J'aime beaucoup cette fête. Pour la Vierge ? Evidemment. Pour saint Pie V, pape, qui a fomenté la croisade contre les Turcs, devenus une menace pour Rome, qui a demandé aux chrétiens de réciter le Rosaire pour un déroulement efficace de cette croisade, et qui a annoncé la victoire de Lépante, au moment où elle avait lieu, l'ayant apprise miraculeusement ? Sans doute. Ce qui me touche particulièrement, c'est l'intérêt que prend la Sainte Vierge aux choses du temps et à notre espace de vie... Même lorsque Dieu nous semble loin, elle est avec son peuple. Lépante... C’était en 1574. Les musulmans continueront la guerre de course contre les chrétiens, en faisant des prisonniers qu’ils réduiront en esclavage (comme par exemple le fameux auteur espagnol Cervantès ou comme saint Vincent de Paul) mais il n’auront plus jamais la domination navale en Méditerranée.

Le Rosaire aura été pour beaucoup dans la victoire des chrétiens et Marie aura voulu marquer qu’elle est à côté de son peuple dans les moments difficiles.

Je crois qu’encore aujourd’hui il existe une géopolitique des apparitions mariales. Marie apparaît au Caire et elle se rend visible aux musulmans comme aux chrétiens (C'était à Zeitoun en 1968 et 2009). Marie se manifeste en Syrie par des miracles qui doivent rassurer son peuple mis à rude épreuve. Elle est apparue aussi en Bosnie, à Medjugorje. Et si elle est apparue en France, à Lourdes, en demandant à sainte Bernadette de réciter le Rosaire, c’est parce que la France au XIXème siècle est le Pays le plus exposé à la destruction de sa tradition religieuse, par les ravages opérés sous couvert de laïcisme et de rationalisme. La déchristianisation (on employait déjà ce mot-là) a commencé en France dès la fin du XVIIIème siècle. Marie a voulu se manifester par des miracles éclatants, au Pays de Renan, pour bien montrer aux hommes de bonne volonté que Dieu, publiquement renié dans leur Patrie, ne les avait pas abandonné. 

Encore aujourd’hui, la Vierge Marie est avec ceux qui subissent la Guerre. Il ne faut pas avoir peur. Et la prière du Rosaire (cette répétition des Ave Maria) dans sa simplicité, est comme une rampe où nous pouvons nous accrocher pour ne pas perdre le contact avec Dieu. Marie nous ramène à Dieu. Marie est là. Elle nous attend et elle offre au Père nos coeurs bouleversés et nos esprits en déroute, comme elle lui a naguère, au Temple, offert le Premier né de toutes créatures. 

Marie est avec les chrétiens de Syrie, au milieu des attentats et des bombes. Ce qui se passe dans ce Pays  – nous avons eu l’occasion au Centre Saint Paul de visionner une image de la Vierge suintant de l’huile – doit encourager les populations chrétiennes du Proche Orient, menacées dans leur existence même. Ce soir, magnifique conférence de Jean-Claude Antakli, qui nous a parlé d'un autre miracle au Liban cette fois, la guérison de Noha, images à l'appui... A la fin il a évoqué la force morale du peuple syrien... Et en parlant avec quelques Syriens dans l'assistance, j'ai appris deux choses - à mettre bien sûr au conditionnel car je ne connais pas les sources dont on me dit néanmoins qu'elles sont sérieuses. La première : les Etats-unis aurait tiré deux missiles balistiques depuis l'Espagne, qui ont été arrêtés par les Russes (on a alors prétexté un exercice militaire avec les Israéliens). La deuxième : notre pape aurait écrit personnellement au président Poutine pour le presser de faire quelque chose... après avoir, souvenez-vous, ordonné une journée de jeûne pour la Syrie. Info ou intox ? Ces deux "conditionnels" valent bien tous les bobards de guerre. Ils nous montrent simplement que les choses sont plus compliquées que ce que prétendent les médiatiseurs avec un bel ensemble. Dieu n'a pas abandonné le peuple syrien.

Dans cette perspective, la décision du pape François, le 13 octobre prochain, de consacrer le monde au Coeur immaculé de Marie est très importante. Fatima est l'apparition dans laquelle la Vierge intervient sur le long terme. Il y a les secrets dont je pense que la question herméneutique que posent les documents dont nous disposons n'est pas close. Il manquerait peut-être (il ne faut pas désespérer Billancourt) l'explication mariale de la dernière vision que Benoît XVI a voulu révéler au monde (Mais Marie explique elle-même la vision de l'enfer. Pourquoi n'y aurait-il pas l'explication de cette dernière vision ?). 

Il y a aussi, dans le Secret de Fatima, l'ordre de consacrer la Russie : "Elle se convertira ou elle répandra ses erreurs dans le monde". Jean-Paul II pape polonais a osé faire cette consécration en 1984 (en demandant à tous les évêques du monde d'être en communion spirituelle). Résultat : le Mur de Berlin tombe en 1989. Et la Russie... s'est convertie. Poutine d'ailleurs donne désormais tranquillement des leçons de christianisme au peuple américain dans la lettre qu'il a souhaité faire parvenir à chacun. 

Pour aujourd'hui, soulignons que plusieurs experts disent qu'on est très proche d'une Guerre mondiale (le dernier : Aymeric Chauprade). Dans ce contexte, le geste du pape François est courageux et nécessaire. Il faut nous y unir. 

Rappelons que Pie XII, le 31 octobre 1942, dans les circonstances que l'on sait, avait consacré le monde au Coeur Immaclée de Marie. Souvenir de Lépante ? Il s'était adressé aussi... à Notre Dame du Rosaire : "Mère du Très saint Rosaire, secours des chrétiens, refuge du genre humain, victorieuse de toutes les batailles de Dieu, nous voici prosternés suppliant aux pieds de votre trône...". 

Jean-Paul II, quant à lui, a consacré trois fois le monde au Coeur Immaculé de Marie, une première fois en 1982, un an après l'attentat du 13 mai 1981. Une deuxième fois, lors du synode des évêques, le 16 octobre 1983. Une troisième fois, le 25 mars 1984, il a consacré le monde au Coeur Immaculé de Marie, en incluant explicitement la Russie, et ce malgré tous les avis contraires des graves théologiens, expliquant que le pape n'avait pas à s'occuper de ce pays qui n'était pas sous sa juridiction puisque orthodoxe. A ce moment-là, notons-le, Jean-Paul II avait fait venir, pour cette circonstance, depuis Fatima au Portugal, la statue des apparitions. Il est remarquable que François tienne à refaire ce geste : le 13 octobre prochain, la statue de Notre Dame de Fatima sera Place Saint Pierre, venue spécialement de la petite chapelle des apparitions.

Ajoutons que lors de son voyage, en 2010, le pape Benoît avait consacré le Liban et le Proche-Orient au Coeur Immaculée de Marie... Un geste de foi qui porte ses fruits malgré tout puisque le pire semble loin en Syrie.

samedi 5 octobre 2013

François : une critique cinglante

Chers amis je voudrais vous partager sous couvert d'anonymat cette très belle lettre privée que j'ai reçue  propos de "cet incroyable pape". C'est un homonyme, Guillaume, qui me l'envoie. Je le connais depuis des années. Ai-je été surpris de sa réaction ? Non je crois qu'il dit parfaitement "ce qui cloche" dans ce long entretien  avec la Repubblica et avec son directeur Eugenio Scalfari. Voici la lettre de mon camarade et néanmoins ami G. :
Je viens de lire votre billet sur cet incroyable pape. Je vous suis pour la plus grande part, mais sur le bien et le mal, je ne comprends pas. 
- Si la conscience autonome suffirait à rendre le monde meilleur, le monde n'a pas besoin de Dieu pour devenir meilleur ?
- Quelle est la place de la transcendance et de la révélation si la conscience en est par principe affranchie ?
- A quoi servent les 10 commandements si la conscience est le juge in fine ?
- Quid de l'enseignement de l'Eglise si la mesure est la conscience individuelle, qui est incertaine et mouvante ?
- Jésus a-t-il enseigné qu'il suffisait à l'homme de suivre sa conscience? 
 L'Eglise peut-elle dire aux hommes : "fais comme tu peux, suis ta conscience, essaie de faire le bien et tout ira bien" ? Mais moi j'attends davantage de l'Eglise, je ne sais pas ce qu'est le bien et le mal, ou tout au moins j'ai besoin de me référer à quelque chose d'objectif pour discerner si ce que je fais est  bien ou mal. Et là, on me lâche en rase campagne, et je ne sais pas moi, je ne sais pas, je ne sais pas. Je ne peux pas m'en sortir seul avec ma conscience autonome, je veux qu'elle soit libre, qu'on ne la contraigne pas, mais je ne veux pas qu'elle soit autonome, sans références. Il me reste Jésus comme référence me direz-vous... Mais je ne peux être seul face à Jésus : c'est trop grand pour moi, j'ai besoin que l'Eglise me l'explique, car sinon je ne comprends pas... 
 Alors vraiment, je ne comprends pas, j'ai l'impression que tout tangue, que plus rien n'est certain, que l'on ne peut plus se fier ni à personne ni à aucune institution, fut-elle divine, je suis saisi de vertige en pensant que que nous sommes condamnés à vivre dans le chaos philosophique jusqu'à conclure que "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien", et, partant, pourquoi pas un jour "Tout ce que je crois c'est que je ne crois rien". 
 Si vous avez un peu de lumière, je suis preneur...
Voici le passage principal de l'Entretien avec François où apparaît cet état d'esprit :
Le pape sourit et répond : 'Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n'a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s'écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m'arrive qu'après une rencontre, j'ai envie d'en avoir une autre, car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s'imposent. C'est cela qui est important : se connaître, s'écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m'arrive qu'après une rencontre, j'ai envie d'en avoir une autre, car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s'imposent. C'est cela qui est important : se connaître, s'écouter et élargir le cercle des pensées. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l'important, c'est qu'elles conduisent vers le bien. 
Votre Sainteté, existe-t-il une vision unique du Bien ? Et qui en décide? 
"Tout être humain possède sa propre vision du Bien, mais aussi du Mal. Notre tâche est de l'inciter à suivre la voie tracée par ce qu'il estime être le Bien."  
Votre Sainteté, vous-même l'aviez écrit dans une lettre que vous m'avez adressée. La conscience est autonome, disiez-vous, et chacun doit obéir à sa conscience. A mon avis, c'est l'une des paroles les plus courageuses qu'un Pape ait prononcée. 
"Et je suis prêt à la répéter. Chacun à sa propre conception du Bien et du Mal et chacun doit choisir et suivre le Bien et combattre le Mal selon l'idée qu'il s'en fait. Il suffirait de cela pour vivre dans un monde meilleur."
C'est exactement la doctrine de la conscience dans Vatican II. Le pape ne dit pas cela de lui-même. Il répète ce qu'a dit le Concile. J'ai toujours pensé personnellement - et j'ai écrit dans mon livre Vatican II et l'Evangile, épuisé mais  votre disposition sur le Web - que cette doctrine de la conscience comme sujet de l'acte de foi était calamiteuse pour l'Eglise, qu'elle tendait à transformer en une Ecole de philosophie - avec sur le plan du recrutement les conséquences calamiteuses que l'on peut imaginer. Les philosophes, dans tous les groupes humains ne constituent qu'une toute petite minorité. Pour l'Eglise universelle, cette transformation pourrait la mener à mettre la clé sous la porte...

Voici le texte de Vatican II, Dignitatis humanae §3, qui ressemble beaucoup au début de l'extrait de l'entretien du pape avec Scalfari :
"La vérité doit être cherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, avec l'aide du magistère, c'est-à-dire de l'enseignement, de l'échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres les vérité qu'ils ont trouvé ou pensent avoir trouvé afin de s'aider mutuellement dans la quête de la vérité". Et encore : "Chacun a le devoir de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai en employant les moyens appropriés".
Petite différence : le pape François n'évoque pas l'aide du magistère. Pour lui, la recherche personnelle semble devoir être absolument libre et l'examen de la vérité chrétienne ne doit rencontrer aucun obstacle ni aucune limite. J'ai l'impression de lire le commentaire que donne le Père Theobald (autre jésuite franco-allemand) à la Constitution Dei Verbum. L'Evangile c'est d'abord un style. Sur le fond, chacun est libre. Je dois dire que cette perspective me fait terriblement penser à une formule de Pie IX qui forme la proposition 15 du Syllabus :
"Il est libre à chaque homme d'embrasser la religion qu'il aura réputée vraie selon la lumière de sa raison".
Juste une précision importante : Pie IX formule cette proposition pour la condamner, car la lumière de la foi (lumen fidei) est supérieure à celle de la raison. Vatican II, lui, envisage la foi comme issue de l'enseignement, de l'échange et du dialogue. Il s'a&git d'un processus rationnel et collectif. Et le Concile en fait "le mode de recherche propre à la personne humaine" qui exclut tous les autres. Pourquoi tant de prêtres se sont-ils déclarés en recherche après Vatican II ? Parce qu'ils avaient bien lu le texte de Dignitatis humanae (sans s'arrêter au paragraphe 2 comme le font la plupart des traditionalistes). Je pense que le texte de François pourrait susciter une recrudescence de ces vocation de chercheurs au sein de la Catholique.

Mais il me semble qu' avant de s'abandonner à leur recherche, ces candidats chercheurs ferainet bien de noter que en 2013 les choses ne sont pas aussi simples (ni aussi toxiques) qu'en 1965. Il y a encore une ou deux petites différences entre le texte de François et celui de Vatican II, qui plaident en faveur de François et qui, accessoirement, justifient mon optimisme.

D'abord le pape François ne parle pas de façon dogmatique, mais au fil de la pensée et dans un dialogue très serré avec son interlocuteur. Ce qu'il dit n'a donc pas une valeur universelle. Il affirme une vérité. Nul doute qu'il affirmera aussi à un autre moment dans un autre dialogue la vérité contraire - celle qu'enseigne le Syllabus.

Ensuite le pape François cite Augustin nominé premier au hit parade personnel de ses saints favoris. Augustin est le saint de la grâce et François parle de la grâce à son interlocuteur. Il lui dit même qu'elle pourrait être en action au moment de leur discussion à l'intérieur de lui, tout agnostique qu'il se proclame, pour l'amener à se convertir. Voilà qui permet de reconnaître au moins implicitement la vérité contraire : la conscience n'est pas l'organe de la foi divine ; c'est le coeur où Dieu travaille invisiblement. "Peut-on résister au Exercices spirituels de Saint Ignace ? dit François en apprenant que son interlocuteur les a fait pendant un mois et demi ? Peut-on résister à la grâce ? Evidemment non, sauf à dévisser complètement. Nous sommes bien au-delà de la doctrine de Vatican II sur la conscience sujet de la foi, avec tout cela l'Eglise n'est décidément pas prête à se transformer en une Ecole de philosophie, Deo gratias. Seuls certains théologiens (jésuites en particulier comme le Père Moingt ou le Père Theobald) auraient sans doute du mal à reconnaître qu'au plus intime de nous-même, au fond de notre coeur, c'est la grâce qui nous mène. Je ne parle pas de Hans Küng, annonçant ces derniers jours qu'il veut subir une euthanasie. Quand un prêtre n'est pas capable de laisser ses dernières secondes au Bon Dieu, c'est qu'il ne lui a rien abandonné et que hélas sa foi elle-même n'est que rationnelle. Pie IX a dit le plus dur à dire, mais le plus utile : la foi n'est pas la raison (ou la conscience). Il faut en remercier ce pape béatifié et qui nous éclaire encore d'une lumière... de foi.

jeudi 3 octobre 2013

Incroyable, ce pape

Tout à l'heure sur Radio Notre-Dame, j'écoutais les explications embarrassées de Jean-Marie Guenois, s'inquiétant de ce que le pape finisse par perdre le coeur de cible, les nouveaux cadres laïcs de l'Eglise qui ont entre 30 et 50 ans et sont issus d'un wojtylisme en cours de droitisation. Le pape prendrait le contre-pied de son peuple et l'Eglise risquerait de le payer cher. Je m'exprime au conditionnel ; c'était manifestement la pensée de Jean Marie Guénois, pas tout à fait ce qu'il a dit. Je simplifie (je caricature ?) pour que chacun comprenne de quoi il est question.

Je pense que du point de vue idéologique Jean-Marie Guenois a raison. Le pape se réfère au cardinal Martini son confrère jésuite dont il fait un éloge appuyé. Il veut substituer un régime synodale au régime curial. La curie ? dit-il. "C'est ce que l'on a coutume d'appeler l'intendance dans une armée" Et voilà les nobles cardinaux qui l'ont élu réduits qui au fourrier chargé de l'habillement, qui au mécanicien chargé de fournir le pape en 4L, qui au financier, qui au chasseur de têtes... Avec un avertissement à la clé : "L'esprit de cour est la lèpre de la papauté". Pas commode l'évêque de Rome ! Il va se retrouver (c'est sans doute déjà fait) avec contre lui tous les princes de Curie, qui jusqu'à lui se prenaient pour les dieux du stade.

Avant lui qui a parlé ainsi ? Adrien VI, le pape de Cajétan, ancien précepteur de Charles Quint. Durant le conclave, on avait proposé au pape François de s'appeler Adrien VII. Mais qui aurait compris ? Et puis... quel présage ! Avant Adrien, il y avait Léon X, pape Médicis. Après lui, il y a eu Clément VII, pape Médicis. Et lui, Adrien, le réformateur austère, étranger à Rome (il était Batave), il n'a pas fait de vieux os : 18 mois de règne, quelque chose comme cela. Vous pensez ce que je pense ?

Autre sujet : la théologie de la Libération. Elle a été dûment condamné par un certain cardinal Ratzinger... Le pape régnant semble moins regardant. Scalfari, le patron de La Repubblica, dans l'extraordinaire entretien qui fait le fond de cette chronique, lui pose la question frontalement. Il connaît son métier et commence à connaître son pape. A propos des théologiens de la Libération, il demande crûment : Estimez-vous que le pape ait eu raison de les combattre ? Réponse : "Il est certain qu'ils prolongeaient la théologie qu'ils professaient dans la sphère politique, mais nombre d'entre eux étaient des croyants qui avaient une haute idée de la notion d'humanité". On pourrait faire la même réponse à propos de tel ou tel Grand Maître en Maçonnerie... C'est une réponse... de jésuite.

Jésuite aussi la manière dont le pape à deux reprises répond à une question par une question et se rallie à la position que lui indique son interlocuteur. Est-ce à dire qu'il la joue suiveur ? Non. Il semble même à un moment prendre la direction des opération en passant côté interviewer et en demandant à cet agnostique autoproclamé de Scalfaro à quoi il croyait....

Moins jésuite sa réponse sur le hit parade des saints. Le saint le plus proche de son coeur ? Ce n'est pas saint Ignace, ni saint François Xavier ni quelque autre saint jésuite. Il cite saint François d'Assise, il ne pouvait pas faire moins. Il souligne au passage que d'autres papes pourraient bien s'appeler François après lui. Je crois que c'est ce qu'il cherche : créer une dynamique nouvelle alors que le concile Vatican II est à bout de souffle : une suite de papes François. Mais pour quelle dynamique ? Une dynamique théologique ? Non. Une dynamique philosophique ? Non. Il me semble que le deuxième saint de coeur cité peut fournir la réponse. François aime Augustin. Pourquoi ? Le pape cite les Confessions. Augustin est le plus existentiel des théologiens, celui qui a raconté sa vie, sa jeunesse (comme le fait, par tranches le pape François)... Celui qui vit de la grâce efficace et la défend. Un pape qui parle de la grâce, qui explique à son interlocuteur que c'est la grâce invisiblement qui pourrait bien le manipuler, lui qui n'y croit pas... C'est magnifique ! Depuis combien de temps nos pasteurs ont-ils oublié de nous parler de la grâce ? Le deuxième souffle de Vatican II ne serait donc pas un contre-essentialisme, une idéologie de rechange, un replâtrage idéologique. Ce sera juste un souffle existentiel, auquel chacun pourra participer dans la mesure où il partage le souci d'authenticité qui est celui de François. Voilà me semble-t-il pour tous les chrétiens (et les autres) la bonne nouvelle de cet Entretien. Finies les guerres picrocholines à coup de grandes idées ! Faites vos preuves. Apprenez à parler du Christ au monde...

Certains seront choqués de ce que le pape dise : chacun sa notion du bien. Philosophiquement pour le coup, François est antiplatonicien (contre l'Idée du Bien) dans la droite ligne en revanche d'Aristote et de Thomas aristotélicien. Qualis unusquisque est, talis finis videtur ei : Tel est chacun, telle sa fin lui apparaît. C'est sans doute un des premiers adages thomiste que j'ai appris naguère à l'Institut Saint Pie X. Ce qui est posé une fois de plus, c'est simplement le problème de l'analogie. Mais direz-vous, Dieu est bien la fin universelle ? Oui bien sûr, c'est le Principe et fondement des Exercices spirituels que le pape aime tant (et dont on apprend au cours de l'entretien que l'agnostique Scalfari les a fait pendant un mois et demi). Dieu est bien la fin universelle mais l'Infini dérègle tous les compteurs, chacun y aborde différemment et personne ne peut se targuer d'épuiser Dieu ou de l'objectiver : d'en avoir une vision une. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Eglise avec ses dogmes, limite nos divagations, empêche nos esprits d'extravaguer et garde fidèlement pour nous le dépôt de l'Evangile.

Le pape n'a pas voulu faire de politique, il pense comme Maurras que la politique et la religion sont deux sphères distinctes. Le fait que Maurras ait été condamné justement pour cette raison et pour cette pensée par le prédécesseur de François, Pie XI, ajoute du piment à l'affaire... Nous sommes définitivement sortis de l'Eglise de Pie XI. N'empêche ! Le pape ne fut pas péroniste pour rien ! Ce n'est pas pour rien qu'il a déclaré aux revues jésuites il y a huit jours : "On ne peut pas avoir une vraie identité si on n'appartient pas à un peuple". Cette fois encore (comme naguère Jean-Paul II dans un certain Discours à l'ONU et dans son ouvrage Mémoire et identité), il ne fait pas de politique, il s'en défend tout au moins, mais il défend les peuples contre la tyrannie du Libéralisme internationale. 

Voici comment : ils parlent tous deux de charité, d'amour de Dieu et du prochain... Cela n'engage à rien. Et puis Scalfari tente une botte à partir de l'amour du prochain : "Ici, la politique entre en jeu". Le pape ne se défausse pas : "Sans aucun doute. Personnellement, je pense que ce que l'on désigne par libéralisme sauvage ne fait que rendre plus forts les forts tandis qu'il affaiblit les faibles et aggrave l'exclusion. Il faut une grande liberté, une absence totale de discrimination, pas de démagogie et beaucoup d'amour. Il faut des règles de comportement et aussi au besoin, des interventions directes de l'Etat, pour corriger les disparités les plus intolérables". L'Etat nation redevient donc un acteur politique important dans la doctrine de l'Eglise ? Quel augure!