samedi 29 juin 2013

Demain un printemps de l’Eglise

Si vous voulez comprendre ce qui est neuf dans l’Eglise depuis les manifestations anti-mariage pour tous, Guillaume de Prémare, qui a été l’un des responsables de la mobilisation explique très simplement le tsunami que représentent les manifestants non pas encore pour le Gouvernement français mais à tout le moins pour l’Eglise de France, la manière dont ils sont soutenus par le pape François.
[Guillaume de Prémare] Ite missa est : requiem pour l’enfouissement - 27 juin 2013
version écrite - version audio

Dans ma dernière chronique hebdomadaire sur Radio Espérance, je reviens sur le malaise des « chrétiens de l’enfouissement » : vis-à-vis de l’évolution de l’Eglise depuis le pontificat de Jean-Paul II, vis-à-vis du mouvement social qui s’est levé à l’occasion du combat contre la loi Taubira.

Ite missa est : la messe de requiem de l’enfouissement est-elle dite ? Dans La Croix du 31 mai dernier, Bruno Frappat, pointure historique du quotidien catholique, a la franchise de dire ce qu’il a sur le cœur. Et manifestement, il en a gros sur la patate : lui et ses semblables ont mal vécu le tournant amorcé dans l’Eglise depuis Jean-Paul II, les deux derniers papes ayant « incarné une présence au monde différente de leurs rêves d’enfouissement ».

Et voici que le nouveau pape François en rajoute une grosse louche dimanche dernier, lançant un vibrant appel aux jeunes : « N'ayez pas peur d'aller à contre-courant, lorsqu’on vous propose des valeurs avariées, comme peuvent l'être les aliments. Ayez cette fierté d'aller à contre-courant. » Voilà l’esprit de notre jeunesse en quelque sorte adoubé : une jeunesse fière, audacieuse, fougueuse, courageuse, intrépide, créative ; une jeunesse frondeuse, une jeunesse bien vivante ! Ces jeunes ne sont pas de gentils petits poissons iréniques, mais d’énergiques rameurs : à contre-courant de l’hégémonie culturelle qui imprègne les mœurs au sens large, à contre-courant de la téloche en quelque sorte.

Car voilà, le levain ne peut plus être enfoui discrètement et sagement dans la pâte quand celle-ci est avariée par le poison des fausses valeurs mondaines, celui des nouvelles mœurs ou de la « dictature de l’argent », qui vont ensemble.

Ainsi, c’est bien un certain mode de présence au monde qui semble périmé. Cet enfouissement des années 60-70 portait la conviction que l’irréversible courant du monde allait nécessairement dans le bon sens et qu’il fallait précisément se laisser porter pour le bonifier. Il y avait l’idée de progrès continu, de sens de l’histoire, d’âge adulte du monde et de l’Eglise, enfin tous deux réconciliés. Las ! Cet âge adulte de l’humanité était un leurre, un rêve d’adolescents.

La sociologie des profondeurs a changé. Les aspirations profondes de ceux que les animateurs télé appellent les « vrais gens » ne sont plus d’abord l’émancipation, mais – tout au contraire – le besoin d’autorité, de repères, d’identité, de sécurité. Sur ce plan, notre jeune génération catholique est bien de son temps. Et – paradoxe ! - c’est l’hégémonie culturelle qui semble de plus en plus à contre-courant du réel, ce qui signe peut-être sa disparition prochaine. Par exemple, lutter contre la loi Taubira, c’est à contre-courant de la téloche, mais pas forcément à contre-courant du peuple.

Ce combat aura été un révélateur supplémentaire du malaise des chrétiens de « l’enfouissement » : mal à l’aise avec le projet de la gauche, mal à l’aise avec le mouvement social, le cul entre deux chaises ; et cette impression d’être écrasés parce que minoritaires dans leur « famille-Eglise ». Ce mouvement social, ils ne l’ont pas aimé, ils ne l’ont pas compris. En témoigne une tribune de Mgr Dagens, toujours dans La Croix, qui assimile la contestation à « la tentation du catholicisme intransigeant » des années 1900-1930. Enfin quoi ! Les catholiques sont-ils descendus dans la rue Bible et catéchisme à la main pour proclamer « Je suis chrétien voilà ma gloire ! » ? Non, ils sont descendus dans l’agora contemporaine comme citoyens intéressés aux préoccupations séculières du moment. Ils ont fait précisément ce que les enfouisseurs ont toujours prôné : entrer de manière séculière dans les débats séculiers, rejoindre le monde du même point de vue que le monde.

Et c’est là que les chrétiens de « l’enfouissement » ont – à mon avis – manqué l’occasion. Alors même que le catholicisme français les rejoignait sur les leçons – non périmées celles-là - de la sécularisation, ils ont manqué l’occasion d’amorcer leur propre mutation historique ; et celle de bonifier le mouvement social de leurs propres talents. Mais l’histoire n’est pas finie, elle ne fait que commencer. Ite missa est, en liturgie, c’est ce qu’on appelle l’envoi. A vos rames camarades !

Guillaume de Prémare

jeudi 27 juin 2013

Première réforme liturgique du pape François

J'emprunte cette brève au numéro de Monde et Vie qui va paraître. Elle me semble de nature à susciter l'intérêt de tous les metablogueurs :
Première réforme liturgique du pape François :

Elle est datée du 1er mai, elle a été promulguée le 19 juin dernier. Désormais, dans les prières eucharistique 2, 3 et 4 devra figurer la mention de « saint Joseph époux de Marie ». Rappelons que dans la Prière eucharistique n°1 comme dans le Canon romain traditionnel cette mention existe déjà. Elle avait été ajoutée par le pape Jean XXIII, à la demande des Pères canadiens de Saint-Joseph de Montréal, le 13 novembre 1962, au cours de la Première session du concile Vatican II. Voilà un subtil moyen de célébrer Vatican II ! Et de montrer la continuité entre François et Benoît, puisque le premier a promulgué une décision mise à l'étude par le second.
On se souvient que l'intronisation du pape François avait eu lieu le jour de la Saint-Joseph (19 mars) et l'on observe que ce document est daté du 1er mai. Ainsi peut-on dire que les deux fêtes de saint Joseph se trouvent honorées dans cette décision du 19 juin.

Qui est saint Joseph ? J'en ai parlé déjà sur ce Blog le 19 mars 2011. Le pape François le définissait le 19 mars dernier comme "le gardien" : gardien de la Vierge, gardien de l'enfant, gardien de la famille du Christ qui est l'Eglise. Saint Joseph est le conservateur par excellence. Comme tous les conservateurs, il n'invente rien, il ne crée ou ne procrée rien. Mais il veille. Et lorsqu'il faut partir en pleine nuit pour fuir le pouvoir totalitaire d'Hérode, c'est lui qu'on réveille. Il me semble que notre pape s'identifierait assez bien à ce saint conservateur. On peut dire de lui qu'il veille. C'est un veilleur au chevet de l'Eglise vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par ailleurs, il n'a pas la prétention de déclencher une nouvelle Pentecôte à lui tout seul, comme tel de ses prédécesseurs. Il s'attache à faire au mieux avec ce que le Seigneur lui a confié. Et comme il est un peu machiavélien (selon les dires d'un ancien ambassadeur d'Argentine), il s'attache à passer pour tout sauf conservateur, alors que c'est ce qu'il est.

Pour le coup, je sens que certains d'entre vous sont déjà en train de fourbir leurs armes dialectiques pour m'estourbir. Attention à ce que l'on nomme "conservateur". Tout dépend de ce que l'on conserve. Lui conserve "le dépôt" comme dit saint Paul à Timothée. Il conserve ce qu'il a reçu du Seigneur, la grâce, sa vérité surnaturelle et les sacrements qui en sont les signes efficaces. Il ne conserve ni des fanfreluches vénérables, ni un mode de vie papal qui a ses rites inévitables. Ce qu'il conserve, par profession et par mission, c'est ce qui nous fait vivre - l'Evangile de la vie. Son conservatisme est révolutionnaire (ainsi qu'il l'a fait remarquer récemment, nous l'avons souligné ici). Je ne peux pas m'empêcher de trouver, en tout respect, que ce conservatisme révolutionnaire chrétien va comme un gant au péroniste qu'il n'a pas cessé d'être. "Le premier pape péroniste du monde" titrait avec orgueil la presse argentine il y a quatre mois. Eh bien voilà peut-être ce que cela veut dire "un pape péroniste" : un révolutionnaire conservateur.

Mais revenons au sens de cette réforme : ce petit ajout est une nouvelle manière d'affirmer dans la liturgie l'importance du culte des saints (dans le rite vénérable que je célèbre on a plein de copains célestes, avec deux listes d'apôtres et de martyrs : ça crée des liens de les appeler par leur nom chaque jour).

C'est aussi une manière, en nos temps tourneboulés, de rappeler l'importance de la famille et le fait que la famille ne repose pas seulement sur la sexualité ; c'est pour cela que l'on rappelle que Joseph est "l'époux de Marie".

C'est aussi et surtout une manière de rapprocher les deux formes du rite romain, dont on peut espérer qu'un jour - point trop éloigné - elles ne fassent plus qu'une. L'idée de "réforme de la réforme" tend vers cet idéal...

A cet égard, je me permets de reprendre gentiment l'abbé Aulagnier, qui, dans Item, insiste sur le fait que l'Institut du Bon Pasteur défend le droit de "déprécier le Novus Ordo Missae". Je ne sais quel titre l'abbé Aulagnier possède pour s'exprimer ainsi lui-même comme s'il était l'Institut, il peut bien penser ce qu'il veut par ailleurs, mais je crois, moi, que, quels que soient nos droits, nous avons, avant tout, en tant que catholiques, le devoir de tout faire pour rapprocher le rite nouveau du rite ancien. Il me semble que ce petit ajout de saint Joseph pourrait signifier le début d'une réforme de la réforme, comme il a signalé le début de la réforme liturgique lorsque Jean XXIII l'a ajouté au Canon en 1962. Jean XXIII avait osé toucher au Canon, on pouvait donc en changer, pensa-t-on à l'époque. Eh bien notre pape conservateur révolutionnaire a osé toucher aux nouveaux canons, en laissant intact l'ancien dont ils sont rapprochés. M'est avis que l'on n'a pas fini de toucher au Nouvel Ordo Missae : non pas pour le déprécier mais pour mieux l'apprécier dans ce que le pape Benoît XVI appelait la "continuité" de l'histoire liturgique de l'Eglise.

lundi 24 juin 2013

[conf'] [Me Jérôme Triomphe] Violences policières dans la rue, ripostes judiciaires au prétoire

mardi 25 juin | 20h15 | PaF: 5€/2€
Maître Jérôme Triomphe, l’un des avocats des militants anti-mariage pour tous, se propose d’avertir chacun sur ses droits face à la répression d’État organisée autour des actions militantes de ces dernières semaines. Il montrera ce qui a déjà pu être fait pour la protection de nos libertés citoyennes fondamentales.
CCCSP / 12 rue StJoseph / PARIS 02 / M° Sentier ou Grds Boulvrds

Je suis fier d'aller à contre-courant

Vatican II est un concile qui a souhaité surfer sur l'esprit du temps. Le drame de ce texte ? Le temps a passé. Autant les années 60 sont des années de changements considérables où rien ne semble pouvoir résister au Progrès avec un P majuscule, autant nous nous retrouvons cinquante ans plus tard, avec la gueule de bois. Non l'histoire ne portait en elle aucune Pentecôte nouvelle, mais au contraire une épreuve sans précédent dans toute l'histoire de l'Eglise, l'épreuve d'un athéisme socialisé et de plus en plus automatique. Il est probable que sur ce plan la France (avec la Tchéquie) ouvre la marche aux autres pays européens puis aux Etats unis. Et ce n'est pas en prétendant stupidement, comme nous y invite Gaudium et spes, que l'Eglise (ah ! les fautes de l'Eglise : c'est si commode d'accuser ses ancêtres) est responsable de cette immense plongée dans l'athéisme, que l'on fera avancer les choses.

L'Union européenne se caractérise en tout cas par le même nihilisme glacé : plus de plan, plus de projet, rien pour la grandeur de l'Europe, ouverture des frontières, repentance, délocalisations. L'Europe doit payer son trop long leadership. Elle doit s'humilier. La seule chance de nos vieux pays est que les électeurs se rendent compte de la supercherie de ce Néant obligatoire, avant qu'il ne soit trop tard. Et pour cela, il faudra renouveler une offre politique dont on comprend de mieux en mieux qu'elle ne propose aucune alternance réelle. Pour la France la politique étrangère s'appelle OTAN ; la politique économique s'appelle UE ; la politique culturelle s'appelle Hollywood. Le Huffington post révélait récemment un sondage pour les élections européennes au terme duquel on constatait que seulement 40 % des Français approuvent la politique d'autodestruction par l'Europe, menée avec constance, tant au PS qu'à l'UMP. Il est temps d'imaginer autre chose. Il est temps de faire sauter ce verrou de sûreté au désordre établi qui s'appelle "front républicain". Non pas forcément pour faire profiter un autre Front - le national - de cette débâcle annoncée, mais pour réveiller la Grande nation anesthésiée. Il est temps d'aller chercher, au delà des partis et du système, un nouveau projet pour la France.

Est-ce que je fais de la politique lorsque j'écris cela ? Est-ce que je sors de mon rôle de prêtre ? Je ne le crois pas. Je m'intéresse à la religion des Français, je sais que ce n'est plus la religion catholique, j'essaie de la définir, cette religion nouvelle qui est une non-religion. Il me semble que cette religion, c'est le nihilisme désenchanté (ou désespéré) qui vient de la société de consommation. L'Europe fascinée par le néant, ce n'est pas l'effet d'un complot ou d'un projet mortifère de je ne sais quel tireur de ficelles. Foin de tous les marionnettistes ! La question n'a rien à voir avec les marionnettes qui s'agitent pour donner à notre théatrocratie l'illusion de la vie. D'où vient le nihilisme ambiant ? Pas la peine de chercher très loin. "La tendance de la chair, c'est la mort" écrivait saint Paul (Rom. 8, 2). Je crois que nous sommes en train de vérifier ce diagnostic, qui condamnait à mort la Rome antique, comme il condamne à mort la vieille Europe gorgée et épuisée de jouissances en tous genres.

D'où peut venir le rebond ? De la jeunesse forcément : chaque jeunesse est un recommencement du monde. Chaque jeunesse est une nouvelle espérance. Il n'y a pas de fatalité. Face à la puissance du mal, le bien, embrassé avec ardeur, est toujours plus fort. Comme le dit saint Pierre dans l'épître d'aujourd'hui : "Si vous êtes des passionnés du Bien, qui pourrait vous nuire ?". Je crois que l'avenir d'une Europe fatiguée de sa liberté absolue, il est à chercher dans l'insolente bonne santé d'une Eglise que d'aucuns, depuis le Concile, avait voulu enterrer, qui a failli laisser sa peau dans la folle générosité du progressisme, et qui a compris que sa vocation, dans une humanité revenue de tout, ce n'est pas l'adaptation, ce n'est pas l'inculturation (ou en fait l'hybridation du capitalisme et de l'Evangile), non : c'est, ici et maintenant, la passion du bien.

Ce que je trouve magnifique dans le message du pape François, tel qu'il se donne, simplement, au jour le jour, c'est le refus du désespoir. Il ne s'agit pas de prendre son parti du déclin et de l'impuissance des vieux pays chrétiens. Au contraire ! "N'ayez pas peur, dit-il aux jeunes ce dimanche, d'aller à contre-courant, lorsque l'on vous propose des valeurs avariées, comme peuvent l'être les aliments. Ayez cette fierté d'aller à contre-courant". Le pape Benoît XVI parlait aux Maltais du christianisme comme d'une contre-culture. François nous propose - peut-être plus modestement et plus efficacement - de commencer, chacun où nous sommes, à ramer à contre-courant.

Je médite en ce moment sur ce film magnifique qu'est La grande Bellezza, cet instantané d'une société qui tente d'oublier qu'elle a pris un aller simple pour le néant, en s'étourdissant de bruits et de folies. Le héros, Jep Gambardella, romancier à l'inspiration fulgurante mais tôt tarie, promène son désespoir de fête en fête dans la Rome d'aujourd'hui. Le triomphe du Baroque omniprésent semble écraser en lui toute velléité de produire, de résister et de porter autre chose qu'une critique sourde et muette de notre société. Un cardinal, drapé de rouge passe à sa portée. Il fut exorciste. Il doit en savoir long sur la puissance du mal et sur les moyens de le combattre. Las... Il ne sait dire à Jep que la dernière recette de cuisine dont il a expérimenté la plénitude. L'Eglise ne trouverait-elle la plénitude que dans des recettes de cuisine ? C'est sans doute ce qu'insinue le réalisateur Paolo Sorrentino, dans cette longue suite de paraboles. Eh bien cette Eglise là ce n'est pas l'Eglise du pape François. L'Eglise qui demande d'aller à contre-courant, c'est une Eglise qui a décidé d'en finir avec la cosmétique, avec l'art d'accommoder les restes, avec les syndics de faillites et les prophètes de malheur, une Eglise qui se décide à vivre aujourd'hui, à porter à notre aujourd'hui l'Evangile de la vie, en dehors duquel le Néant est inéluctable.

jeudi 20 juin 2013

Et maintenant la prison...

Alors que Nicolas vient d'écoper de deux mois de prison ferme à Fleury Mérogis, avec les délinquants et les criminels de tout acabit, nous pouvons nous demander ce qu'est cette Révolution chrétienne qui, hier et aujourd'hui fait des martyrs. Car il faut appeler les choses par leur nom. Un chrétien qui écope d'une condamnation judiciaire ferme parce qu'il a défendu l'institution du mariage, d'une manière ou d'une autre c'est un martyr. Manuel Gaz fait des martyrs. Cela vous étonne ?

Pour les inquiets, je précise que le seul tort de Nicolas est d'avoir été repris après une première garde à vue et d'avoir refusé la procédure inquisitoriale qu'on lui imposait, après avoir été arrêté à l'intérieur de la Pizza Pino, sur les Champs Elysées par des policiers en civil (qui l'ont tellement abîmé qu'ils ont eux-même dû acquitter 1300 euros d'amende. 1300 euros ? Ce que vaut la gueule d'un jeune catholique français).

Nous sommes devant un gouvernement terroriste, au sens précis où il utilise la terreur des gardes à vue abusives d'abord, le tabassage et des condamnations  à la prison ferme (m'est avis que cela ne fait que commencer) ensuite, pour éviter le débat public (et éventuellement le referendum) sur la question du mariage homosexuel. Pas de débat. Mensonge d'Etat à tous les étages sur l'ampleur de la réaction populaire (300 000 pour un million). Mépris. Tout pour casser le contrat social ou ce qu'il en reste. Cette manière de mépriser le Contrat social est significative : nous n'avons plus affaire à un gouvernement de gauche, mais à un gouvernement simplement nihiliste, décidé à casser par tous les moyens ce qui reste de la dernière institution chrétienne : la famille.

C'est ce mépris gouvernemental qui a tellement sensibilisé les jeunes et qui a fait (de rien) des militants. Si le Gouvernement veut une Rentrée chaude, il n'a qu'à continuer!

Ces jeunes, catholiques et français, ont un idéal, une certaine image de la France. Ils n'avaient besoin de personne pour la transmettre. Tant que l'Etat ne s'est pas attaqué à la famille institution bi-millénaire, ils continuaient d'être et d'agir selon ce que le Général De Gaulle, lui-même représentatif de cette France-là dans ses origines, avait appelé "une certaine idée de la France". Mais parce que l'Etat veut redéfinir la famille, parce que l'Etat veut faire subir à cette vénérable institution, pierre d'angle de notre civilisation, la loi de l'offre et de la demande, en élargissant  à l'infini les conditions donnant droit à l'appellation contrôlée, alors ces Français-là ne sont plus silencieux. On les atteint dans ce qui est leur coeur.

Quel est l'enjeu ultime : je l'ai dit dans le post sur "le CUC plus dangereux que le mariage homosexuel". Il s'agit de remplacer une institution fondée sur la nature de l'homme et de la femme et sur la religion de l'amour, par un contrat adaptable à toutes les situations: le papier supporte tout : tous les couples, les trouples, les associations polygames, le polyamour. L'enjeu est considérable Il s'agit de remplacer l'oeuvre conjointe de la nature et de la surnature par du papier!

Pour l'instant, s'opposer publiquement à cela vaut deux mois de prison ferme...

Cet enjeu n'a rien de nébuleux. Je regrette que C, le dernier à avoir vu Nicolas au Commissariat où ils avaient été sauvagement embastillés tous deux, signe sur les réseaux sociaux de cette formule fausse : "un idéaliste". Le mariage chrétien, monogame et fidèle, rayonnement d'amour, c'est un idéal, certes, mais ce n'est pas de l'idéalisme. C'est une réalité concrète. La famille est une véritable citadelle, "une tour de force", turris fortitudinis, comme l'appelle la liturgie traditionnelle du mariage. Récemment les Moulin Fournier, déposant à la télévision après une captivité de plusieurs mois au Nigéria entre les mains de coupeurs de route- coupeurs de tête, ont montré la force d'une famille chrétienne. Il suffisait de les écouter, d'entendre non seulement ce qu'ils disaient mais le son de leur voix, leur manière d'être, ce souci prioritaire pour leur quatre enfants prisonniers comme eux, ce souci dont on sentait bien qu'il ne les avait jamais quitté. Ce n'est pas de l'idéalisme cela ! C'est le miracle de la famille, ce grand vaccin contre l'égoïsme naturel.

J'entendais tout à l'heure Béatrice Bourge, au Journal de la nuit de Paul-Marie Couteaux sur Radio Courtoisie, expliquer que, pour un tel enjeux, la prison ne lui fait pas peur. Elle n'est pas la seule. Je remplace Catherine Rouvier aujourd'hui jeudi. Je la reçois à mon tour tout nà l'heure à 19H30, sur la même Radio. Le 20 juin est le dernier jour du printemps, occasion d'un bilan de ce printemps français qui continue, alors qu'il n'y a plus de saison. Nous répondrons à toutes les questions des auditeurs.

mercredi 19 juin 2013

La révolution papale

"Aujourd'hui, un chrétien, s'il n'est pas révolutionnaire, n'est pas chrétien !"a lancé le pape argentin aux milliers de participants du Congrès ecclésial du diocèse de Rome, par manière d'appel du 18 juin.
De quelle révolution s'agit-il ? Je rejoint G2S dans son intéressante intervention : c'est celle de la grâce, du Royaume qui vient, du salut qui nous est donné par le Christ. DONNE. Le salut n'est pas le fruit de nos misérables effort, mais le don qui vient de la Passion du Christ. Voilà la première révolution chrétienne : donner ce que quiconque aurait cherché à vendre très cher : le Royaume pour tous les hommes de bonne volonté. Les curés ont toujours cherché à compliquer les choses, mais c'est donné. Si nous l'oublions, nous sommes ce que le pape appelle des pélagiens (voir post précédent).

Ce don gratuit est bouleversant (adjectif synonyme de révolutionnaire). C'est ce qui, au cours de l'histoire du monde, a le plus contribué à changer les hommes. Je caractériserais ce changement de deux manières : l'individu humain est devenu une personne, c'est-à-dire un être responsable (de son salut justement) et libre (d'imiter le Christ). Deuxième changement : les coeurs. Au lieu de se laisser manipuler par toutes les convoitises, ils doivent s'ouvrir à la divine charité. Différence ? La convoitise prend, la charité donne, puisqu'elle est elle-même le premier fruit du don gratuit de Dieu.

C'est en ce sens que François déclare : "Il y a eu beaucoup de révolutionnaires dans l'histoire, mais aucun n'a eu la force de la révolution apportée par Jésus, une révolution (...) qui change en profondeur le coeur de l'homme", a encore affirmé le pape face à une salle d'audiences noire de monde et enthousiaste. "Dans l'histoire, les révolutions ont changé les systèmes politiques, économiques, mais aucune n'a vraiment modifié le coeur de l'homme", a relevé le pape avant de soutenir "la vraie révolution, celle qui transforme complètement la vie", a été "accomplie" par Jésus.

On peut penser que la Révolution chrétienne est la seule qui a vraiment marché et qui continue à marcher. René Girard l'a admirablement démontré, en opposant l'archaïsme (fondé sur la mise à mort des boucs émissaires) et le christianisme (qui se fait le champion de l'innocence des victimes et qui prône le sacrifice de soi). C'est dans cette perspective et sous ce patronage que nous avons écrit l'été dernier, le Père Michel Viot et moi, un livre paru aux éditions de l'Homme nouveau et intitulé La Révolution chrétienne.

Notez que le pape ne parle pas seulement de la Révolution chrétienne, il souhaite des chrétiens révolutionnaires. Pas des brosseurs de brebis! Pas des chrétiens découragés qui semblent croire "à la déesse des plaintes". Et de demander au Seigneur "la générosité, le courage et la patience" pour annoncer l'Evangile. Il faut bien peser ses trois mots, car, en réalité, ils pèsent sur les épaules des apôtres du XXIème siècle. Que d'échecs! Ou pire (pour l'amour propre) de demi succès dans l'apostolat! Les échecs, il y a toujours moyens d'en chercher et d'en trouver les responsables en dehors de soi. Mais les demi-succès ? Une seule réponse : générosité, courage, patience.

Il y a du pain sur la planche pourtant! "Je ne comprends pas les communautés chrétiennes qui sont fermées" a déclaré le pape. Fermées? Je vais dire un gros mot : bourgeoises... Ou il fait bon de se retrouver entre soi... Ce sont ces attaques contre l'esprit bourgeois qui dérange chez le pape François. Ces attaques contre le conformisme ("Ne vous conformez pas à ce siècle" dit saint Paul quelque part). Quelqu'un se sent visé ? Un peu tout le monde, je crois.

vendredi 14 juin 2013

François se dévoile peu à peu

Les simples propos du pape diffusés par le Clar [confédération latino-américaine et caraïbe des religieux et religieuses] et finalement confirmés par lui sont très instructifs de la spiritualité profonde qui anime le Vicaire du Christ. Les médias ont retenu la mention du "lobby gay" à la Curie. Mais il s'agit manifestement d'un obiter dictum, le pape soulignant par ailleurs qu'"il y a vraiment des saints à la Curie".

Certains traditionalistes se sont émus de ce que le pape semblait ne pas les aimer parce qu'il dénonçait un esprit restaurationiste qui donne "l'impression de vivre en 1940"... Moi qui suis un pur produit du Séminaire d'Ecône, je n'ai jamais eu l'impression que nous devions "restaurer" quoi que ce soit, ni que l'on nous encourageait à retrouver dans les chapelles de la Fraternité l'atmosphère des années 40. Je sentais au contraire un grand souci de "coller" à l'actualité de la vie de l'Eglise et l'impression d'en être à un nouveau commencement [était-elle excessive ? Sans doute un peu. Mais à l'époque - dans les années 80 - le cardinal Lustiger allait répétant, dans la revue Communio par exemple : "Nous sommes sans doute les premiers chrétiens". Le son de cloche n'était pas très différent à cet égard]. C'est en tout cas toujours par rapport à l'actualité du Concile et aux méfaits de l'après-concile que nous avons été formés.

Manifestement la réflexion du pape, toujours charpentée, en quoi elle est particulièrement intéressante, tourne autour de la désignation de deux attitudes ennemies de la foi (il n'est pas impossible qu'il y revienne dans l'encyclique sur la foi actuellement en révision). La première : le pélagianisme, qu'il a déjà évoquée lors de la messe chrismale, Jeudi saint dernier. La seconde, le gnosticisme, à quoi il se réfère depuis le tout début de son pontificat (et même dans tel entretien donné comme archevêque de Buenos Airès) de façon que je dirais respectueusement quasi obsessionnelle. Il précise cette fois qu'il entend par gnosticisme une forme de panthéisme.

Pélage ! Le nom de ce moine breton qui vivait au début du Cinquième siècle est à lui seul tout un programme. Surtout de la part d'un pape jésuite, alors que depuis trois siècles, dans le sillage du grand Arnauld, en échos aux terribles Provinciales de Blaise Pascal, on traite les jésuites de pélagiens ou de semi pélagiens. Hugues Kéraly avait écrit autrefois un petit livre intitulé Présence d'Arius, pour dénoncer les clercs qui ne croyaient plus en la divinité du Christ. Je crois que l'on pourrait équivalemment parler d'une présence de Pélage de plus en plus obsédante. Attention : si l'on se limite aux polémiques sur la grâce et la liberté, si l'on se contente d'ergoter sur ce qui vient de Dieu et sur ce qui vient de soi dans toute action humaine, on risque fort de passer à côté du problème.

A travers le pélagianisme, ce que le pape dénonce,c'est deux choses : le bon vieux naturalisme, c'est-à-dire l'idée qu'il suffit d'observer quelques règles à hauteur d'homme pour être sauvé... Disons en France, la confusion savamment entretenue entre éthique républicaine et morale chrétienne. Et puis, les pélagiens sont ceux qui nient les effets du péché originel dans notre existence. Pour eux le Christ n'est pas "cet homme nommé salut" (Jacqueline Genot Bismuth). Il est juste un modèle extraordinaire, comme les anciens héros grecs ou comme les modèles de l'histoire romaine : Exempla trahunt.

Comme exemple de pélagianisme, notre pape prend "ceux qui vivent sous des règles anciennes", des règles humaines, trop humaines, présentées comme permettant de se sauver. Voilà l'attaque contre les restaurationnistes. Et il conte une anecdote personnelle : « J'ai eu à en recevoir à Buenos Aires… (…) Une anecdote, seulement pour illustrer mon propos, ce n'est pas pour se moquer, je l'ai prise avec respect, mais cela me préoccupe : lorsqu'on m'a élu, j'ai reçu une lettre d'un de ces groupes qui me disait : “Sainteté, nous vous offrons ce trésor spirituel, 3 525 rosaires.” Pourquoi ne disent-ils pas : nous avons prié pour vous, demandé… mais cette histoire de tenir des comptes… ".

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cette allusion à un groupe de Buenos Aires me fait irrésistiblement penser au million de chapelets revendiqué par Mgr Fellay. Faire dire un million de chapelets et croire que cela suffit qu'il n'est pas nécessaire de payer de sa personne, de prendre des risques, d'en faire prendre peut-être à son Institut, et qu'un vieux pape devra s'en contenter, oui, François a raison, c'est du pélagianisme. C'est une manière d'absolutiser les moyens humains, en oubliant la grâce de Dieu, la confiance qu'il met dans nos coeurs, sa Providence qui nous aide à prendre des risques (à "parier" dirait Pascal)... Je ne parle pas seulement pour la FSSPX. Je connais intimement un Institut qui a besoin de se défaire du pélagianisme spirituel.

Lorsque le traditionaliste devient intégriste, il est pélagien. Comme dit André Frossard, il est "celui qui veut faire la volonté de Dieu que Dieu le veuille ou pas", celui qui absolutise des moyens humains objectivement bons en les croyant suffisants alors qu'ils ne sont qu'humains.

Quant à la gnose... C'est la bouteille à l'encre. Le n°4 de la Nouvelle revue Certitudes comporte tout un dossier toujours disponible, intitulé La gnose, éternelle hérésie et nouvelle religion. Le pape argentin, évoquant l'actualité de la gnose dans l'Eglise, ne peut pas ne pas connaître le Père Julio Meinvielle (argentin lui aussi, mort en 1973) et son ouvrage (un peu imparfait mais suggestif) consacré à la gnose du progressisme (réédité à Ecône voici 15 ans par l'abbé de Jorna). L'idée d'une rivalité bimillénaire entre gnostiques et catholiques orthodoxes vient des milieux traditionalistes (Etienne Couvert ne l'a pas inventée), même si elle a été reprise par quantité de savants. Je citerais parmi eux Hans Jonas, Tomas Molnar, Henri de Lubac, Humbert Cornelis etc.

Notre pape appelle gnose tout ce qui ressemble à la tentation de rendre le Christ historique facultatif et de le remplacer par une idée. Il cite une anecdote révélatrice : "Les deux courants [gnose et pélagianisme] sont des courants d'élites, mais d'une élite mal formée. J'ai su qu'une supérieure générale invitait les soeurs de sa congrégation à ne pas prier le matin, mais à prendre un bain spirituel dans le cosmos, des choses de ce genre… Ils me préoccupent parce qu'ils enjambent l'incarnation. Or, le Fils de Dieu a pris notre chair, le Verbe s'est fait chair! Qu'est-ce qu'on fait avec les pauvres, les souffrants? Voilà notre chair! (…) L'Evangile n'est ni une règle ancienne ni ce panthéisme. Si vous regardez les banlieues, les indigents, les drogués, la traite des personnes… là est l'Evangile, les pauvres sont l'Evangile".

Là encore, le pape nous donne l'occasion d'un examen de conscience : cherchons-nous vraiment à connaître et à suivre le Christ ou bien sommes nous auto-centrés dans les certitudes d'une idéologie chrétienne ? Pour le coup, il n'y a pas que les intégristes qui devraient se sentir visés !

Je voudrais m'attarder sur la dernière phrase de François : "Les pauvres sont l'Evangile". Vous rêvez peut-être à je ne sais quelle contamination des théologiens de la Libération sur le pape François ? Mais cela n'a rien à voir. C'est du Léon Bloy tout pur ! Le voici par exemple, cet auteur qui se disait lui-même maudit, dans Le sang du pauvre : « La Pauvreté groupe les hommes, la Misère les isole, parce que la pauvreté est de Jésus, la misère du Saint-Esprit. La Pauvreté est le Relatif, – privation du superflu. La Misère est l’Absolu, – privation du nécessaire. La Pauvreté est crucifiée, la Misère est la Croix elle-même. Jésus portant la Croix, c’est la Pauvreté portant la Misère. Jésus en croix, c’est la Pauvreté saignant sur la Misère ». Les pauvres sont l'Evangile dit le pape François. Les pauvres sont Jésus dit Léon Bloy (cité par le pape dans son premier discours à la Chapelle Sixtine).

Le message du pape François est absolument claire. Il se dévoile dans sa radicalité.

N'ayons pas peur de sortir de nos sentiers battus, nous dit-il, n'ayons pas peur d'aller aux pauvres, à ceux qui ne se contentent pas des mensonges ambiants ou des belles idées menteuses (tournant toutes autour de la mondialisation heureuse) parce qu'ils ne sont pas "gnostiques", à tous ceux qui ne se contentent pas des recettes humaines trop humaines du vieux temps, les nouveaux pélagiens, à ceux en un mot qui, d'où qu'ils viennent, ont conscience que sans un sauveur plus qu'humain, tout est f...

jeudi 6 juin 2013

Sermon de Fête-Dieu

Merci à S. qui a si précisément mis par écrit le sermon que j'ai donné à la Fête-Dieu, dimanche dernier, sur l'eucharistie. Elle vous permet d'en disposer tous, alors que l'Octave n'est pas encore terminé et que nous célébrons aujourd'hui la fête du Coeur eucharistique de Jésus.

A propos de la fête du Coeur eucharistique de Jésus, je pense au miracle italien de Lanciano, miracle permanent. Alors qu'un prêtre doutait de la présence du Christ dans l'eucharistie, l'hostie s'est transformée en chair humaine. Cette chair qui est dans un reliquaire depuis 1000 ans est chaque fois qu'on l'examine, la chair d'un homme qui est mort la veille. Et cette chair est un morceau du muscle du myocarde. Dans l'eucharistie, le Christ nous donne son coeur.

Mais voici ce sermon de dimanche au Centre Saint-Paul, avec le style parlé inhérent à l'exercice.

Mes bien chers frères,

nous célébrons cette fête du Saint-Sacrement et nous la célébrons avec joie, ayant chanté la magnifique séquence de saint Thomas d’Aquin dont je vous souhaite d’avoir pu suivre les paroles sur votre missel, des paroles qui sont tellement poétiques, tellement puissantes. Mais il faudrait convoquer toute la poésie du monde pour chanter quelque chose qui soit digne du Saint-Sacrement.

Qu’est-ce que c’est que le Saint-Sacrement ? Qu’est-ce que c’est que l’hostie ?

Eh bien, le Saint-Sacrement, c’est la présence de Jésus continuée jusqu’à nous.

Et qu’est-ce que c’est Jésus ? Jésus, c’est Dieu fait homme. Et par conséquent on peut dire que le Saint-Sacrement c’est l’incarnation continue. Seulement Dieu ne se montre jamais à nous qu’en se cachant. Et ça c’est un grand principe qu’il faut méditer. Au moment où Dieu veut se donner à nous de la manière la plus complète, la plus totale, au moment où il se donne à nous substantiellement dans l’Eucharistie, eh bien nous ne voyons rien.

« Visus, tactus, gustus, in te fállitur. » « La vue, le goût, le toucher se trompent à ton sujet », dit saint Thomas d’Aquin dans l’Adoro te

Nous sommes des animaux avec une petite étincelle de raison, mais enfin nous fonctionnons avec nos sens et nos sens ne nous disent rien de Dieu. Dieu est au-delà de tout ce que nos sens peuvent en apprendre et il faut que notre esprit domine la barrière des sens pour percevoir cette présence de Dieu. Et c’est pour ça que je vous dis : plus Dieu se donne à nous, totalement, plus, d’une certaine façon, il se cache. Dans l’Incarnation, Dieu se donne totalement dans son Verbe devenu homme, et pourtant… Bien entendu, jamais un homme n’a parlé comme cet homme, bien entendu Jésus a une autorité supérieure, il ne parle pas comme les scribes qui ont toujours besoin de faire référence à autre chose, il est lui-même sa propre référence, on le voit, cela, dans l’Évangile. Mais enfin, comment peut-on imaginer que cet homme extraordinaire puisse être le fils de Dieu ? En quelque sorte son humanité voile sa divinité. Et de la même façon, les espèces, les apparences du pain et du vin nous voilent la présence de Jésus Christ dans l’Eucharistie. Mais aux cœurs qui savent le chercher, aux cœurs qui savent passer au-delà du voile, eh bien Jésus se donne, c’est là qu’il nous attend.

Qu’est-ce que c’est que la Sainte Eucharistie ? Je vous avoue, ce matin, j’ai eu cette idée, peut-être qu’elle vaut ce qu’elle vaut mais je vous la donne parce qu’elle peut vous aider : l’eucharistie c’est un rendez-vous. C’est le rendez-vous que Dieu nous donne, à chacun d’entre nous. C’est là que nous le trouverons, c’est là que nous le recevrons. On peut multiplier les connaissances, on peut déployer toute sorte de curiosité, on peut faire toute sorte d’expériences. Ce n’est pas au bout de ces curiosités, de ces expériences, et de cette accumulation de données que nous trouverons Dieu.

Nous trouverons Dieu là où il nous donne rendez-vous. Nous trouverons le Christ là où il nous a dit qu’il serait. Et c’est pour ça que l’Eucharistie est tellement importante dans notre vie. C’est que la grâce que nous avons reçue au baptême, si nous ne l’entretenons pas, si nous ne la nourrissons pas, si nous ne la fortifions pas un peu chaque jour, elle diminue, et nous redevenons des individus lambda : au lieu que notre esprit domine nos sens, eh bien nos sens vont tout à fait logiquement, normalement, dominer notre esprit et nous serons des animaux humains comme les autres.

Alors que si nous essayons de dominer nos sens, de voir au-delà des sens et d’accepter ce rendez-vous que Jésus nous donne dans la Sainte Eucharistie, là non seulement nous recevrons Jésus, mais en quelque sorte c’est Jésus lui-même qui nous recevra, et c’est Jésus qui nous transformera en lui.

Qu’est-ce que la communion ? Vous savez, on l’explique aux enfants mais j’ai l’impression qu’il faut l’expliquer ou le réexpliquer aux adultes, parce qu’ils en perdent la notion. Aux enfants qu’est-ce qu’on dit ? « Vous recevez Jésus dans votre cœur . » C’est bien cela qu’on leur dit ? Eh bien je crois qu’il faut insister sur le fait que toute communion est spirituelle. Je m’autorise, pour dire cela, de Cajétan, mon cher Cajétan, un grand théologien, et qui opposait cette considération à Luther et ses théories fumeuses, et surtout à Zwingli et ses théories encore plus fumeuses sur l’Eucharistie. Et Cajétan disait : "Mais Dieu est esprit, il ne peut se donner à nous qu’en esprit", et si notre esprit n’est pas tourné vers lui, si nous le recevons de façon routinière, si nous le recevons parce que les autres le reçoivent, si nous allons communier tout simplement parce que si nous restons sur place le rang sera vide et nous serions montrés du doigt… ce n’est pas la peine. Savons-nous donc qui nous recevons ?

Il faut justement que cette fête de l’Eucharistie soit pour nous comme un renouvellement de notre ferveur dans notre assistance à la Sainte Messe et il faut que nous comprenions que toute communion est spirituelle. Que quand nous nous approchons de Jésus-hostie, c’est notre esprit qui doit être ouvert vers lui. C’est notre esprit qui doit se laisser élargir par lui.

Et si vraiment nous nous laissons ainsi élargir par la présence de Jésus, alors nous pouvons revendiquer à notre tour d’être ce corps que nous recevons car, et voilà ce qui est sublime dans notre sainte religion, c’est que au moment où nous recevons le corps du Christ nous participons du corps du Christ que nous recevons. Au moment où nous recevons le corps eucharistique du Christ, nous sommes les membres de son corps mystique.

Vous savez, cette image du corps mystique du Christ, nous avons tendance à en faire une simple métaphore et à nous dire, « bien sûr, c’est le corps mystique du Christ mais ça ne va pas plus loin ». Eh bien il faut, puisque nous recevons le corps eucharistique de Jésus, que nous ayons conscience que recevoir le corps du Christ dans l’eucharistie, c’est devenir membre de ce corps, c’est devenir membre spirituellement de ce corps.

Qu’avons-nous à faire valoir devant Dieu ? Nos bonnes actions ? Très bien, bravo, je suis tout à fait d’accord. Mais enfin, vous savez, quand on en a fait l’inventaire, c’est un peu poussif, ça ne va pas très loin. Alors qu’est-ce que nous avons à faire valoir devant Dieu ? Eh bien notre participation au corps du Christ. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle. » Voilà ce qui nous est promis solennellement dans l’Evangile de saint Jean, et voilà pourquoi lorsque nous recevons le corps eucharistique du Christ nous faisons partie de son corps mystique, et non seulement de l’Église militante ou de l’Église visible, mais aussi de l’Église triomphante avec les saints du ciel.

La sainteté ce n’est pas un truc d’huile de coude. On n’y arrive pas à force de faire de la gonflette, de faire gonfler ses muscles. Ce n’est pas une question d’effort continuel. La sainteté c’est un don de Dieu, c’est une question de cœur ouvert. Ce que nous recevons dans l’eucharistie c’est la sainteté du Christ. Et qu’est-ce que nous avons à faire valoir devant Dieu ? Ça. « Vous êtes le corps du Christ », comme dit saint Paul. Alors il faut que nous retrouvions l’honneur de faire partie du corps du Christ, l’honneur d’être des membres du corps du Christ. En recevant son corps eucharistique, nous sommes des membres de son corps mystique et c’est cela, et pratiquement cela seul, que nous pouvons faire valoir devant Dieu.

Amis de la poésie !

J'avoue que je trouve certaines de vos interventions (oh ! pas toutes) un peu crispées, tendues, revanchardes (mais de quelle revanche ?). Alors ce soir je fais un appel aux amis de la poésie, en invoquant un grand penseur méconnu, qui n'est pas un poète, mais auquel les éditions du Cerf viennent de consacrer un précieux recueil intitulé Théologie de l'histoire et crise de civilisation. De quoi vous mettre l'eau à la bouche ! Je résume : Dieu et la crise. Voilà une bonne question ! Que vous dire encore ? Je me suis plongé ce matin dans la passionnante préface d'Arnaud Imatz... Oui l'auteur préfacé par Arnaud Imatz doit être espagnol. Vous brûlez. Non il n'est pas question de phalange ou de phalangistes. C'est un auteur du XIXème siècle, une pensée tellement céleste que notre temps a eu vite fait de la loger dans l'enfer de ses bibliothèques... Il s'agit de Donoso Cortès.

Ce conservateur, nous apprend Imatz, n'était pas un carliste, malgré sa réputation de traditionaliste. Dans le conflit dynastique qui fit couler tant de sang espagnol, il était pour la légitimité représentée par Marie Christine et par sa fille Isabelle... Ainsi poursuivit-il une brillante carrière diplomatique (ambassadeur d'Espagne en France) et politique. Son oeuvre de philosophe politique et de chrétien en reçoit une acuité particulière.

Mais avant de savoir si cette acuité peut nous servir dans la crise politique dans laquelle nous sommes, je voudrais justifier mon titre. Ami de la poésie ? Voici une formule de Donoso, tirée de son Discours sur la Bible, qui m'a particulièrement frappé :
"Il y a dans l'homme trois sentiments poétiques par excellence : l'amour de Dieu, l'amour de la femme et l'amour de la patrie, le sentiment religieux, le sentiment humain et le sentiment politique. Partout où la connaissance de Dieu s'obscurcit, partout où le visage de la femme est recouvert d'un voile, partout où les nations sont esclaves, la poésie est une flamme qui s'éteint, faute d'aliment"
 Cette idée qu'il faut rapprocher les trois amours dans une seule intelligence (bien supérieure à la raison, "cette petite chose à la surface de nous-mêmes" comme disait Barrès) me paraît prodigieusement féconde. Vous l'aviez déjà, vous cette idée ? Moi pas. Je crois que le drame historique du rationalisme, que nous avons hérité du XVIIIème siècle, c'est, en nous éloignant de toute intelligence de Dieu de nous couper de toute compréhension de la vie - donc de l'amour et de la politique. En lieu et place de l'amour, on se contente d'optimiser le choix de ses partenaires ; en guise de politique, on peine à gérer les besoins du Gros animal politique dans une perpétuelle négociation du moindre mal. Il n'y a plus ni amour ni politique réelle (politique du peuple pour le peuple) là où il n'y a plus ni Dieu  ni religion. Que manque-t-il ? La foi. Foi en Dieu, foi en l'autre, foi en l'avenir du peuple dont on est issu (et donc foi en son propre avenir). Cette foi qui provient d'une intelligence de la vie peut être appelée poésie (comme le fait ici Donoso Cortès) dans la mesure où elle procède d'un regard d'ensemble, d'une perspective globale, d'un jugement plus que d'une appréhension (de l'esprit de finesse plus que de l'esprit de géométrie dirait Pascal). Je retiens cette idée que voiler les femmes est l'acte concret le plus antipoétique qui soit, puisque l'on se fait fort ainsi de couper à la source toute vraie... représentativité des femmes dans la vie humaine.

Je voudrais qu'il vous reste de l'attention pour la deuxième formule que j'ai retenue pour vous. Elle est tirée du célèbre Discours sur la dictature de Donoso, discours dans lequel un Carl  Schmitt voyait l'un des sommets rhétoriques de la culture humaine. Voici cet extrait :
"Il n'y a Messieurs que deux répressions possibles, l'une intérieure, l'autre extérieure : la répression religieuse et la répression politique. Elles sont de telle nature que lorsque le thermomètre religieux s'élève, le thermomètre de la répression baisse et que, réciproquement, lorsque le thermomètre religieux baisse, le thermomètre politique, la répression politique, la tyrannie monte. C'est une loi de l'humanité, une loi de l'histoire".
Connaissez-vous plus belle critique du laïcisme ? Moi pas. Cela étant, un tel texte exige de nous que nous soyons capable de faire un effort d'imagination. Il faut réfléchir avec Donoso, ici en 1849, comme si le système républicain n'existait pas.

Il est tout à fait vrai que parce que, dans le système laïciste imaginé par Jean Jacques Rousseau, on ne prend pas en compte l'intériorité humaine, on est obligé de réfléchir à une contrainte extérieure permanente. Dans son système de force, la vie intérieure des personnes est ignorée, les motivations intellectuelles des décisions sont ignorées. Seule demeure l'unanimité présumée des citoyens (le contrat social) forcément plus forte que toutes les minorités qui pourraient s'élever contre elle, et plus forte aussi (au nom des institutions républicaine) que n'importe quelle majorité (non républicaine) de citoyens. Si la République inventée par Rousseau se défend si bien, c'est qu'elle n'a jamais qu'elle ne peut pas avoir d'état d'âme et que le calcul des forces politique est toujours en sa faveur, l'unanimité (présumée) valant plus que tous les autres groupes politiques organisés dans le Pays.

On peut se demander d'ailleurs (avec Tocqueville par exemple) si ce Système de contrôle prodigieusement efficace qui a nom République (et pas démocratie, notez le bien) n'est pas la reprise du système bourbonien inventé par Louis XIV et qu'il avait appelé "le droit divin".  L'oeuvre des révolutionnaires de 89 aurait simplement consisté à expliquer au Roi (Louis XVI en l'occurrence) que loin de représenter la nation, comme son arrière grand père l'avait enseigné à ses descendant, après en avoir convaincu son peuple, le roi devait rendre des comptes à la nation. A partir de 1789, le droit divin n'est plus en lui mais en elle, ce qui créera (en 1793 et 94) quelques violences, tranquillement endossées par le droit divin de la République (que l'on appelle aussi laïcité à partir de la fin du XIXème siècle). C'est sans doute pour cela que Charles Péguy parlait de "la République, notre beau royaume de France". Il est le premier à succomber à la tentation de tous les jacobins blancs... avec Jacques Bainville peut-être.

Voilà le système qui nous empêche d'être sensible à se qu'écrivait Donoso Cortès en... 1849, à une époque où la Deuxième République, sorte de populisme mystique dont le poète Lamartine se voulait le grand-prêtre (il se voulait même le futur président de la République), n'avait pas encore redécouvert le Système de Rousseau, ce que ne manquera pas de faire la IIIème, à partir de 1876, à la fin de la République des Ducs. Les républicains en exil durant le Second Empire, ont très bien compris l'échec de 1848 : sans république, sans absolutisme républicain, sans Contrat social, il n'y aura jamais de démocratie en France ; toutes les démocraties françaises (n'est-ce pas M. Giscard d'Estaing) sont des utopies sans lendemain. La démocratie a chez nous besoin du carcan de l'absolutisme pour s'installer. Elle a besoin d'entrer en guerre avec la religion pour éprouver son droit divin. La France, depuis deux siècle, est essentiellement républicaine, comme le remarquait encore Donoso Cortès, le francophile, le terriblement sagace Donoso Cortès. C'est le seul système qui marche. Contre nous chrétiens ? C'est ce que nous apprend l'histoire du XVIIIème au XXème siècle, des Massacres de Septembre aux Inventaires ou à l'Affaire des fiches.

samedi 1 juin 2013

Mgr Williamson ne fondera pas, et ne sacrera pas. [par RF]

[par RF] Dans sa lettre hebdomadaire du 1er juin, Mgr Williamson explique pourquoi il ne fondera pas: c’est une question d’autorité. En 1970 Mgr Lefebvre a trouvé Mgr Charrière pour approuver les statuts sa Fraternité naissante, ce qui en a fait une œuvre d’Eglise.

(Mgr Williamson rappelle aussi que si Mgr Lefebvre avait toute autorité dans le cadre de la FSSPX, il n’en avait formellement aucune en dehors. Et puisque l’évêque britannique écrit souvent cum grano salis contre l’actuel supérieur de la FSSPX, on peut y voir un reproche, face aux exigences exorbitantes de ce dernier vis-à-vis des communautés «amies»).

Le problème, nous dit Mgr Williamson, est qu’il n’y a sans doute plus d’évêque dans l’Eglise pour approuver les statuts d’une hypothétique «Fraternité bis» regroupant les transfuges de la FSSPX. Paradoxalement, si l’on prolonge la pensée de Mgr Williamson, le seul à pouvoir approuver les statuts d’une telle congrégation anti-fellaysienne serait… Mgr Fellay.

Mgr Williamson nous annonce donc qu’il ne fondera pas, qu’il jouera un simple rôle de «père, conseiller et ami pour les âmes». Qu’il sera, en d’autres termes, une étoile d’une nébuleuse. Il n’évoque pas la question de sacre(s), mais j'ose parier (tout mauvais prophète que je suis) qu’il s’en gardera bien. Depuis ses propos négationnistes de 2009, Mgr Williamson sent le souffre. Puisqu’il est le seul évêque de sa mouvance, il est le seul à pouvoir confirmer, ordonner, sacrer. Tant qu’il confirme et ordonne, pas de problème. Mais du jour où il sacrerait, il ne serait plus seul évêque – et se démonétiserait fortement.

De plus Mgr Williamson a une conscience forte de la dignité de l’épiscopat, et de la gravité d’un sacre. Il ne sacrera donc pas n’importe qui ni dans n’importe quelles conditions, du moins pas tant qu’il aura des forces.