lundi 7 janvier 2013

La fête de l‘Epiphanie est l’une des plus importantes du calendrier liturgique...

texte paru dans "SAINT PAUL PAR LETTRE"
La fête de l‘Epiphanie est l’une des plus importantes du calendrier liturgique, plus importante que Noël, au moins dans la tradition orientale, grecque et russe. Cette année dans notre calendrier, la date fixe du 6 janvier tombe un dimanche. Il me semble que cela redouble le lustre de cette fête.

Epiphanie? Le terme vient du grec epiphania, qui signifie «manifestation». C’est la fête de la Manifestation du Messie comme Fils de Dieu (on parle aussi de théophanie, d’où le prénom Tiphaine). C’est que dans la liturgie la plus primitive, on célébrait trois événements en un, comme le souligne encore, dans la liturgie latine, l’antienne des Vêpres à Magnificat. Il y avait pour ce jour de la Théophanie, le Voyage des Mages qui «viennent adorer» l’Enfant (ce sont les mots utilisé par l’Evangéliste Matthieu). Il y avait le premier miracle à Cana en Galilée, où le Christ change l’eau en vin. Et il y avait le baptême du Christ par Jean Baptiste dans l’eau du Jourdain, au cours duquel on entend une voix du Ciel qui dit : «Celui ci est mon Fils bien aimé, écoutez le».

Dans l’Eglise latine, aujourd’hui, le baptême du Christ est fêté le dernier jour de l’octave de l’Epiphanie – huit jours après la fête, donc le 13 janvier. Quant aux noces de Cana, nous en reparlerons bientôt, puisque nous retrouvons cet épisode dans l’évangile du deuxième dimanche après l’Epiphanie.

Reste la venue des Mages, qui est aujourd’hui l’objet de la fête de l’Epiphanie.

Si on met en doute l’historicité de cet épisode, c’est d’abord parce qu’on lit mal le texte qui est plein de détails, mais qui, dans certains Evangiles apocryphes (c’est-à-dire des textes tardifs qui «brodent» sur la vie de Jésus), devient carrément mythologique. Dans le Livre de l’Enfance, un apocryphe arménien du VIème siècle, on nous apprend par exemple que ces Mages en réalité sont des «rois», qu’ils sont trois et qu’ils s’appellent Gaspard Melchior et Balthasar. On nous dit que les Mages ont suivi une étoile qui se serait déplacée pour les précéder jusqu’à Jérusalem. Mais ce n’est pas cela du tout ! Ces astronomes, sans doute persans, ont vu un astre extraordinaire : «Nous avons vu son étoile en Orient». Il y a, diffuse, dans l’humanité de ce temps-là une attente d’un phénomène extraordinaire, comme on peut le lire dans la Quatrième Eglogue de Virgile, dans laquelle, quelques années avant le Christ, le poète latin annonce la venue d’un enfant né d’une Vierge. Ce sont des traditions semblables, qui dans le Zoroastrisme perse, animaient l’attente des Mages, qui savaient bien que si quelque chose devait advenir, ce serait en Judée, le pays de la Bible. Ils viennent donc à Jérusalem, s’enquièrent auprès du roi Hérode, qui, averti par les Mages de la naissance d’un Roi Messie, convoque les sages d’Israël, lui qui n’est qu’un Bédouin, un non-juif.

Ces sages lui disent tous : le Messie doit naître à Bethléem, comme cela a été explicitement prophétisé dans la Bible hébraïque, par Michée. C’est l’origine du massacre des enfants de Bethléem. Les Mages, ayant compris la duplicité d’Hérode et s’étant abstenus de lui apporter, sur cette naissance merveilleuse, les renseignements précis qu’il demandait, lui Hérode s’est entêté et il a décidé de tuer tous les enfants de Bethléem. Cet acte de sauvagerie était resté dans les annales de l’histoire antique. Il est cité par le païen Macrobe.

Si on cherche la véritable signification de la venue des Mages, on est bien obligé de supposer qu’il y a, non seulement pour les Juifs l’Ancien Testament, mais pour les Païens, une véritable «préparation évangélique», qui emprunte les canaux inattendus de l’astrologie et de la Prophétie, et cela en dehors du peuple juif. Le savoir humain (dont l’astrologie à l’époque est le symbole) mène au Christ, voilà ce que signifie l’épisode des Mages. Il y a un Ancien Testament païen, une ancienne alliance païenne entre la foi et la raison, qui précède la nouvelle alliance et le nouveau savoir en Jésus-Christ. Cet ancien Testament relève d’une forme de sagesse humaine qui converge avec la sagesse juive (le dernier livre de l’Ancien Testament s’appelle justement le Livre de la Sagesse et il est écrit en grec à l’honneur de la divine Sophia).

En revanche, face aux mages, sages païens, le Politique se déchaîne. Le vieil Hérode, au terme d’une vie chargée de crimes, est aveuglé par son Pouvoir. C’est un véritable génocide qu’il va perpétrer dans le massacre des innocents de Bethléem, et Rachel «pleure ses enfants car ils ne sont plus». On retrouve cet aveuglement du Pouvoir chez presque tous les politiques de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Le dernier à y céder dans les Livres saints sera Pilate, prêt à tuer l’Innocent plutôt que de nuire à son Autorité. C’est la raison pour laquelle, dans le récit évangélique, il faut bien remarquer que les Mages ne sont pas appelés «Rois». On leur donne ce titre uniquement dans des écrits tardifs, comme le Livre de l’enfance, que j’ai cité plus haut.

La royauté du Christ, qui dès sa naissance est obligé de fuir devant Pilate, n’est pas une royauté politique. La politique n’opère jamais aucun salut. Elle donne dans des oeuvres de mort, comme le montrent involontairement les mages, qui, «avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, regagnèrent leur Pays par un autre chemin». Mais pourquoi cette version «royale» dans les écrits tardifs? Et pourquoi ces couronnes que l’on se donne à la «fête des Rois»? Pour faire cadrer l’événement, dont l’évangéliste Matthieu se fait l’écho, avec la prophétie d’Isaïe (49, 7) et le Psaume 71 : «Les rois de Tharsis et des îles lui apporteront leurs présents». Notons cette obscurité des prophéties de l’Ancien Testament, notons ce décalage entre les prophéties et leur réalisation. Parler de «mages» et pas de «rois» dans l’Evangile, cela montre bien, quoi qu’on en dise, que le récit que nous possédons aujourd’hui dans saint Matthieu n’a pas été élaboré à partir des prophéties de l’Ancien Testament ; sa source est bien un événement historique, absolument imprévisible comme tel. On a ensuite fait cadrer non sans mal les prophéties avec l’événement.

3 commentaires:

  1. Cher Abbé

    Pourquoi ne pas voir tout simplement dans ce Dimanche de l'Epiphanie la fête du Christ Roi.

    Sa royauté est reconnue par les "gentils" à sa naissance, elle est reconnue par les Romains à sa mort, elle est annoncée par les Ecritures, elle est enfin attendue par les Juifs.

    Tous attendent le Roi or ce Roi est le roi des rois et c'est le bouleversement. La ou les Juifs attendent leur roi a eux, Juif et pas goy, voilà que ce dernier se révèle le roi de tous, des Gentils et des Juifs, et même des plus miséreux et méprisés d'entre tous, des Nomades, ces bergers de la crèche.

    Hérode, Pilate, les souverains réfractaires à l'autorité temporelle du Christ et si contents de promouvoir la Réforme Luthérienne pour s'en affranchir, puis nos Prélats qui voilà 40 ans l'abandonnent pour mieux épouser le monde et renier leur Roi.

    Voyez vous Jésus règne, si ce n'est par la place qu'on lui donne, c'est par son absence là ou l'on refuse sa présence.

    C'est pourquoi nos sociétés sont si malheureuses, les visages si tristes ou arrogants, même le 13 janvier prochain, il lui est demandé de se cacher.

    C'est pourquoi je ne crois pas à votre idée de recadrage à l'événement.

    Je crois profondément au contraire à sa pleine interprétation par l'apôtre de la Royauté sur les Rois de ce monde, de ce tout petit enfant dans l'étable à qui le cosmos des étoiles et les suiveurs d'étoile viennent rendre hommage.

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  2. Cher Monsieur l'abbé,

    Un tout petit point d'attention pour ponctuer cette méditation somptueuse: lorsque j'ai appris, il y a quelques années, la prééminence de l'epiphanie sur la Noële, je me suis réjoui comme vous, jusqu'à m'apercevoir qu'à tout prendre, il était injuste de considérer que la fête de la Manifestation devait primer dans notre piété au détriment de la fête de l'Incarnation, témoignant de la Charité la plus prodigieuse de la part de notre Dieu à l'égard de notre humanité, même si ce témoignage est d'autant plus Prodigieux qu'il est Invisible. Donner primauté à la fête de la manifestation sur celle de l'Incarnation, c'est faire égocentriquement ou anthropocentriquement plus de cas de notre émerveillement d'hommes face aux prodiges adorables dont Est capable dieu (mais il n'y a que les incrédules pour en douter) que de cette Merveille Invisible que fut la Décision divine de Se faire homme, décision qui fit trembler les anges au point de les soumettre à l'homme et de faire renier le Porte-Lumière, qui ne pouvait supporter cette subvertion de la hiérarchie du cosmos comme ordre et beauté, par laquelle brilla, jetée à terre, l'Humilité du verbe Incarné, Sagesse qui Se fit homme et mit l'homme "au sommet de l'univers", dit le "credo".

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    1. Serait-ce une évolution liturgique souhaitable de remettre le Christ à la place de sa Mère? De même que la Purification serait à remplacer par la Présentation de Jésus au Temple, ce qu'a fait l'Eglise conciliaire, il faudrait remplacer l'Annonciation par la Conception du Seigneur ou l'Incarnation du Verbe, puisque c'est plus important?

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