jeudi 26 juillet 2012

Présence réelle

Comment comprendre la présence réelle du Seigneur dans l'eucharistie ? Plusieurs d'entre vous ont posé cette question, à propos du texte Le sacré corps. Je voulais répondre bien sûr. J'hésitais à répondre à une question si difficile sans ma bibliothèque. Je suis actuellement près de Rennes et sans beaucoup de moyen de vérifier les intuitions qui peuvent survenir. il m'a paru, tout à l'heure, en célébrant l'eucharistie dans le four à pains transformé en chapelle par mes parents, que je pourrais ne pas différer d'avantage de répondre à tel d'entre vous qui attend depuis plus de 50 ans des éclaircissements à ce sujet. Je ne prétends pas être infaillible. Je dirais seulement que j'ai travaillé la question avec Cajétan - lui même organisant une réponse à Zwingli, le réformateur suisse, adepte d'une présence purement symbolique.

Pour comprendre la présence eucharistique, il faut remonter au mystère de l'incarnation.

De la même façon que Dieu est présent en cet homme Jésus de Nazareth, de la même façon le Christ ressuscité et glorieux est présent sous l'apparence du pain et du vin (on dit aussi : sous les espèces du pain et du vin). Il s'y trouve en vertu de sa parole au moment de l'Institution de ce sacrement : "Ceci est mon corps, ceci est mon sang". Et il a ajouté alors : "Vous ferez cela en mémoire de moi". C'est ce que je viens de faire... On sait avec quelle circonspection saint Paul a reçu ce mystère : "Je vous ai transmis ce que j'ai moi même reçu" (I Co. 11). Il promet à ceux qui ne sont pas capables de discerner, sous ces apparences, "le corps et le sang du Seigneur" qu'ils risquent alors d'être "accusés par ce corps et ce sang". Quelle responsabilité il fait peser sur des épaules humaines ! Responsabilité qui n'est pas mémorielle mais actuelle. C'est la responsabilité des contemporains de Jésus, qui devaient croire en lui et discerner en lui le Fils de Dieu (ou le Fils de l'Homme, personnage divin annoncé par Ezéchiel et Daniel). C'est aujourd'hui notre responsabilité, devant Dieu, et nous sommes jugés sur  notre foi en l'eucharistie. Les premiers chrétiens ont été accusés de cannibalisme. Parce qu'il prenaient avec eux l'hostie sainte et se communiaient avant les repas, ils étaient parfois dénoncés par leurs esclaves... Jamais les chrétiens ne sont restés loin de l'eucharistie, véritable mémorial du Christ sacrifié, Christ avec nous, Christ qui n'est pas seulement dans notre mémoire comme une intention que l'on s'efforcerait de rendre vivante, mais qui se fait mémorial pour nous rappeler lui-même sa présence.

L'expression "présence réelle" doit être bien comprise. Je préfèrerais d'ailleurs parler de "réelle présence" (Georges Steiner a utilisé ce vocable ainsi interverti, mais de manière purement esthétisante). L'adjectif est au moins aussi important que le nom. Réelle renvoie à res, la chose, la réalité. La présence dont il est question n'est pas une impression psychologique, une certaine intensité mémorielle. Je dirais : au contraire ! Trop souvent, devant l'eucharistie, nous restons froid. Et c'est... naturel ! Dieu n'est pas accessible à nos sens. Jean-Luc Marion a tenté de parler à ce sujet de manière purement phénoménologique en évoquant "l'icône" ou "le phénomène saturé". Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ! Le Christ présent ne sollicite pas je ne sais quelle expérience sensible en nous. Il n'est pas accessible à nos sens : Visus tactus gustus in te fallitur écrit Thomas d'Aquin dans l'Adoro te. Comment percevons-nous cette présence ? Non pas par une émotion sensible, mais par la foi : "Sed auditu solo, tuto creditur". C'est l'oreille (auditus) qui nous permet de croire (creditur) en sécurité. La foi, en effet vient de ce que l'on entend (fides ex auditu) comme dit saint Paul. Nous entendons la Parole : "Ceci est mon corps" et nous croyons comme autrefois les juifs croyaient que l'homme Jésus était le Fils de Dieu en s'appuyant non sur je ne sais quelle voix intérieure qui le leur aurait chuchoté, mais sur la foi en sa propre Parole.

Cajétan ose souligner que la présence réelle est une présence spirituelle, dans son petit opuscule contre Zwingli : si elle n'est pas accessible aux sens, elle est accessible, par l'oreille, organe de la foi, au coeur intelligent qui est en chacun d'entre nous. Il fait une grande différence entre présence spirituelle et présence symbolique. La présence du Christ dans l'eucharistie est accessible à l'esprit qui croit. Ce n'est pas, pour autant qu'elle soit un symbole, une représentation ou une impression mentale. Elle est un fait qui échappe aux sens et se donne à la foi. Elle est une réalité intrinsèquement surnaturelle : Praestet fides supplementum sensuum defectui. Alors que les sens défaillent, que la foi fournisse le supplément (le supplément d'âme) qui nous permette de percevoir la présence réelle et d'être, de manière divine, au rendez-vous que Dieu nous donne.

Dans l'extraordinaire rite que je célèbre, soulignons que l'eucharistie est elle-même le mystère de la foi (formule de la consécration du sang du Seigneur). Elle n'est pas seulement un rappel des autres mystères, de la mort, de la résurrection et de l'ascension du Seigneur, elle EST ces mystères, elle les résume et elle nous les manifeste comme mystères. Elle est la provocation actuelle de notre foi. Elle n'est rien d'autre que la réelle présence de ces mystères, dans la profondeur surnaturelle que comporte, dans sa puissance obédientielle, la réalité la plus ténue.

Depuis le XIIIème siècle, Guillaume d'Auvergne et les théologiens aristotéliciens, parmi lesquels saint Thomas d'Aquin, parlent pour désigner ce mystère de transsubstantiation. Le terme est magnifique. Rappelons que la substance, au livre Z de la Métaphysique d'Aristote (en particulier en Z,17), c'est la forme de chaque réalité, quelque chose qui ressemble à l'idée platonicienne, mais qui ne siège pas dans je ne sais quel arrière monde, qui est l'essence "dans" la chose. Aristote utilise le grec ousia qu'Etienne Gilson traduit assez bien par "étance". L'étance qui est "sous" l'apparence de la chose : sub-stance.

Les philosophes grecs, éblouis comme Antigone par la lumière du soleil, ont conscience que l'intelligence a besoin du contre-jour voire de la demi obscurité (la chouette est l'oiseau d'Athéna, déesse de la sagesse). Le  Psalmiste le dit aussi : "La nuit est ma lumière". Ainsi, au delà des apparences, se cache la vérité de chaque chose, sa substance. Malheureusement, dans le français courant aujourd'hui (est-ce depuis Rabelais et sa "substantifique moëlle" ? Est-ce parce qu'en latin substantia signifie aussi richesse, argent ?), en tout cas le terme de substance résonne de manière très matérielle. Plus rien à voir avec l'ousia d'Aristote. Rien non plus avec la mystérieuse et totale transsubstantiation, qui désigne un changement d'être au-delà de toutes apparences.

Reste encore une question, si je lis attentivement vos messages : comment Dieu, qui est présent partout, peut-il être présent en un point particulier ? La question est la même pour l'incarnation du Verbe de Dieu en Jésus-Christ. Et je crois que la réponse n'est pas très éloignée de celle que l'on donne à propos de cette incarnation. Disons-le : parce que Dieu est tout, il est présent partout. Les états multiples de l'être sont Dieu d'une certaine façon. Ils ne sont que par lui et en lui. Mais lui n'est pas eux.

Je suis conscient que l'on commence peut-être à manquer d'air.

Un exemple : la fourmi est Dieu, non pas dans son essence de fourmi, mais dans son existence (c'est la part de vérité de Malebranche : toute existence est infinie car incommensurable aux mesures de son essence). Dieu seul existe d'une certaine façon et il donne toute existence, comme de Lui. Mais, pour autant, quoi qu'en pensent les bonzes, il n'existe pas comme une fourmi avec des pattes des yeux etc. C'est ce que Cajétan appelle la présence "immediate suppositaliter" de Dieu dans sa création. Dieu est le sujet de sa création, car il est l'existence de toutes les créatures. Toutes ses créatures sont... Dieu. Mais en même temps, bien évidemment, Dieu, infini, n'est aucune d'entre elles, puisque par essence, elles sont toutes limitées.

Je me permets de me citer sur ce très difficile problème. C'est dans mon Cajétan p. 436, en conclusion d'un paragraphe intitulé "Une infinie présence de l'Etre absent" : "On pourrait dire que c'est la notion physique de contact qui fournit l'analogie la moins improbable pour évaluer cette présence absente de Dieu à sa création. En soi, le contact exclut l'un de l'autre les deux êtres qu'il rassemble. Etre en contact, c'est à la fois être soi, à l'exclusion de ce avec quoi l'on est en contact, et être dit présent à ce que l'on touche. Si l'on définit l'acte créateur comme un contact, on peut dire que cette présence de Dieu à sa créature repose sur une absence de Dieu dans sa créature. Dieu est présent dans sa création, il est absent dans sa créature, il n'est pas elle".

Quand on a correctement défini cette présence par contact comme une infinie présence absente, on peut aborder d'autres modes de présence.

"Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux", cette présence-là est une présence sentie, une expérience de la présence, qui ne se réalise qu'à plusieurs, parce qu'il n'y a qu'en additionnant nos finitudes dans l'imploration que nous nous configurons à l'Infini, dans un espace nouveau qui est l'espace sacré.

"Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde". Cette promesse du Christ à la fin de l'Evangile de saint Matthieu, marque une assistance providentielle particulière de Dieu à ses saints (à ses élus). Dieu aime particulièrement (avec une délicatesse singulière) ceux qui l'aiment. Ce mode de présence est différent du précédent.

Quant au Mémorial de la Passion de la résurrection et de l'Ascension dans le Ciel du Christ, quant à l'eucharistie, elle ne désigne aucune intensité mémorielle puisqu'elle est objectivement (et non subjectivement) le Mémorial.

L'eucharistie ne désigne pas non plus, en soi, une attention particulière de Dieu pour ceux qui l'aiment. Dieu n'a pas besoin de l'eucharistie pour être présent à ceux qui l'aiment.

L'eucharistie est la réalité du Christ portée jusqu'à nous selon un mode de signe (selon un mode sacramentel). Elle est le Christ, Dieu et homme, présentée d'une autre manière que durant sa vie terrestre. Elle est la divinisation de notre humanité et la vie éternelle commencée dans le Christ. Elle est l'objet de notre foi, inaccessible au sens et perceptible au coeur par l'enseignement (ex auditu). Elle est le Christ qui nous attend jusqu'à la fin de notre vie, le Christ là, le Christ à la merci des passants pour toi, pour toi, pour toi aussi... Le Christ rendant possible, pour celui qui croit, un singulier tête à tête.

Vous voulez comprendre l'eucharistie ? Oubliez la traduction française. Dominus vobiscum, ce n'est pas un voeu pieux ou une expérience subjective. C'est une réalité surnaturelle : le Seigneur est avec vous.

mercredi 25 juillet 2012

En passant et en vrac: Apostasie silencieuse; Whistleblowers

Deux remarques en passant et en vrac:
Apostasie silencieuse
On prête volontiers à Jean Paul II la paternité du terme apostasie silencieuse La culture européenne donne l'impression d'une ‘apostasie silencieuse’ de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas» – Exhortation apostolique Ecclesia in Europa – 2003). En 2004 la FSSPX reprennait le terme dans son étude («De l’oecuménisme à l’apostasie silencieuse») parue en 2004 – sorte de bilan des «25 ans de pontificat» de Jean-Paul II, envoyée gracieusement à tous les cardinaux. En résumé: «On doit dire de l’œcuménisme de ces dernières décennies qu’il mène les catholiques à l’’apostasie silencieuse’ et qu’il dissuade les non-catholiques d’entrer dans l’unique arche de salut».

C’est sans doute vrai. Mais les dernières décennies ne sauraient à elles seules expliquer l’apostasie silencieuse, puisqu’Emmanuel Mounier emploie le terme dès les années 1940 : «Le christianisme n'est pas menacé d'hérésie: il ne passionne plus assez pour cela. Il est menacé d'une sorte d'apostasie silencieuse faite de l'indifférence environnante et de sa propre distraction.»
Whistleblowers
La langue anglaise a un mot: whistleblower (littéralement: celui qui souffle dans le sifflet) qui désigne une personne qui divulgue des informations (en interne, ou plus largement), parce qu’elle pense qu’il y a danger, advenu ou à venir. C’est par exemple l’histoire (vraie) du film Révélations : un chimiste révèle le résultat des études qu’il a menées pour une compagnie de tabac – elles prouvent la nocivité du produit. Ce chimiste estime être un whistleblower, un lanceur d’alerte, agissant dans l’intérêt public (bien entendu la compagnie préfère voir là un simple vol de secret commercial). Les whistleblowers bénéficient dans les pays anglo-saxons –et depuis longtemps– de protections juridiques. C'est une question de culture.

Peut-être les personnes qui ont fuité quelques documents internes à la FSSPX ont-elles raisonné ainsi? Il y a d’une part l’injonction de se taire, que leur fait leur hiérarchie. D’autre part le sentiment (à tort ou à raison) que quelque chose de terrible est en route, et qu’il faut alerter les confrères et les fidèles. Dans cette optique, lequel est le pire, de celui qui parle et de celui qui laisse faire?

Il y a dans la FSSPX une fraction qui pense que le pape (JPII, BXVI) est un hérésiarque, et cette fraction a pu s’exprimer (était-ce un bien, était-ce un mal ? je ne sais) pendant des années. Dans ces conditions il est bien naturel que quelques personnes ne restent pas les bras croisés, et sifflent, quand on veut les intégrer à ce qui leur semble être une «secte conciliaire».

mardi 24 juillet 2012

Le conservatisme, voilà l'ennemi

Glaciation, c'est le terme qu'utilise Yves Daoudal, lu sur Tradinews, pour désigner le processus dans lequel semble s'installer les relations entre la Fraternité Saint Pie X et Rome. Une période glaciaire, comme chacun sait, ça dure longtemps. Je suis peut-être un indécrottable optimiste ou bien, diraient certains confrères, un "libéral" impénitent. Personnellement, je continue à croire en un accord possible.

A travers son chapitre général, la Fraternité Saint Pie X en tant que corps fait obstacle à tout règlement juridique de sa dissidence... Un corps social, un corps politique, en tant que corps, c'est forcément conservateur, sauf à créer un électrochoc, qui l'empêche de céder à ses habitudes. Exemple : depuis trois siècles, le corps social français vote majoritairement à droite mais ses valeurs fondamentales sont des valeurs de gauche. Sous un gouvernement tranquille, il ne pourra que reproduire à l'infini cette culture de gauche, c'est tout le sens de la récente mousse autour de "la stratégie" de PSA que M. Montebourg met en cause publiquement du haut de son Ministère. Eh bien ! La Fraternité Saint Pie X, sa culture (qui est aussi l'esprit de son fondateur) est une culture de la dissidence. Tant qu'il faut faire dissidence d'avec la révolution culturelle qui a sévi dans les Eglises d'Occident depuis 1965 et 1968, cette culture a été pertinente, et je crois que la FSSPX a beaucoup apporté à l'Eglise et qu'on le reconnaîtra tous un jour.

Mais aujourd'hui l'heure est passée... Faire sauter des trains, cela peut constituer une action d'éclat , quand c'est un fait de Résistance à l'ennemi. Mais si le train que vous faites sauter (ou que vous tentez de faire sauter) vous apporte du ravitaillement, si vous le faite sauter uniquement par une sorte de réflexe conditionné, parce que les trains, pour vous, il a toujours fallu les faire sauter... eh bien ! Vous finissez au mieux dans la peau d'un personnage de Jean Raspail, seul, hors du monde, Patagon victime de votre idiosyncrasie résistancialiste (ou de votre complexe obsidional). Rien de très glorieux en fait.

Je pense que beaucoup de prêtres dans la FSSPX ont conscience que l'heure est passée... Mais ils revendiquent une culture maison qu'ils veulent maintenir envers et contre tout. Parce qu'ils ont toujours fait comme ça, toujours parlé toujours agi comme ça. Laissez nous notre culture maison, disent-ils, nos tribunaux ecclésiastiques, bref nos habitudes.

Un véritable accord, adapté à une situation ecclésiale qui aujourd'hui change considérablement, ne peut pas être le fait d'un corps ecclésiastique empêtré dans ses habitudes. Comme je l'ai écrit dans Monde et Vie, c'est une histoire de monarque. Seul un monarque peut échapper au conservatisme naturel aux individus en corps. Seul un monarque peut empêcher une mise à la casse du corps, en inventant pour lui un autre fonctionnement.

Justement ! Le pape est un monarque conscient de son pouvoir. Ce n'est pas un hasard si Benoît XVI a toujours souhaité s'occuper personnellement de la FSSPX. Le vrai oecuménisme est monarchique ou il n'est pas. Regardez les accords de Ravenne, signés avec les orthodoxes en 2007... Les Russes ont quitté la table parce que les Grecs leur faisaient de l'ombre... Trois monarques, cela en faisait un de trop !

Le pape, disais-je, est un monarque conscient de son Pouvoir. Cet été, Mgr Fellay a eu peur de perdre le sien. Devant la bronca des officiers qu'il avait nommés, jusque là, uniquement sur leur capacité à dire non, il a cédé du terrain. Paroles... Paroles... En réalité, il a mis Mgr Williamson hors jeu et la réconciliation, je gage qu'il n'y pense pas seulement en se rasant. A titre personnel, comme l'a montré sa lettre du mois d'avril au trois autres évêques, il continue à souhaiter l'accord. La situation n'est pas gelée. Mais plus que jamais, pour qu'il se passe quelque chose, c'est le pape, parce qu'il est le seul vrai Monarque (mystérieux Roi du monde) qui prendra des initiatives. La nomination de Mgr Di Noia au dessus de mons. Pozzo semble bien montrer que, du côté de Rome en tout cas, on n'en est pas encore réduit à la dernière cartouche. N'est-ce pas Mgr Di Noia qui s'est occupé de créer des ordinariats pour les anglicans soucieux de revenir dans la communion catholique ?

Du côté de la Fraternité Saint Pie X en revanche, il semble que l'on approche de cette "dernière cartouche" qu'évoquait (prophète ?) l'abbé de Cacqueray il y a deux ans. Le discours est de moins en moins lisible. Les "grands principes" - Yves Daoudal a raison de le souligner - tiennent à quelques encyclique surinterprétées et à la confusion permanente entre une image passéiste que l'on qualifie de "royauté sociale du Christ" et une exigence permanente et que les papes ont comprise : la condamnation de l'indifférentisme. Il ne s'agit pas de défendre une incarnation belle mais dépassée de la chrétienté. Il s'agit de refaire une chrétienté par un nouveau témoignage public, qui ne saurait d'ailleurs être purement communautaire ou confessionnel. Je vais trop vite ? Eh bien je cite le dernier document de Benoît XVI Porta fidei. Le pape est clair, lui : "La foi implique un engagement et un témoignage public. Le chrétien ne peut jamais penser que croire est un fait privé" (n°10) ; la foi authentique n'est ni une question d'opinion ni une question de conviction purement personnelle.

Si les papes, depuis Jean-Paul II, condamnent l'indifférentisme, le subjectivisme et le relativisme spirituel, quel est le problème ? Faudra-t-il en venir à idéaliser la chrétienté du XIXème siècle en en faisant un décor de carton pâte pour l'opposer au monde actuel tel qu'il est ? Sera-ce cela la "résistance" de la FSSPX ? Non: cette mythologie est incompréhensible aujourd'hui.

Alors quelle est la dernière cartouche de l'abbé de Cacqueray ? La seule légitimité de la FSSPX et de sa résistance poursuivie après la fin des hostilités, n'est pas doctrinal. Ce n'est pas un hasard si personne n'a rien publié du fameux débat doctrinal qui a duré un an. Nous sommes à une heure où cela serait sans doute éclairant. Tout le monde pourrait le constater : arguties mises à part, le motif doctrinal n'existe plus. C'est la réticence épiscopale partout plus ou moins perceptible qui fait problème. Voilà la dernière cartouche de la FSSPX.

Pourquoi cette réticence des évêques ? Là encore, on est bien obligé d'invoquer le conservatisme d'un corps, qui, pris en tant que corps, n'a guère fait preuve d'initiative chrétienne et semble résigné à gérer le déclin de l'Eglise dont il a la charge, en faisant entendre, à la demande, une "parole moyenne". Mais il suffit qu'au sein de ce corps, qu'au sein de cette conférence épiscopale se manifestent quelques monarques (je ne donnerai pas de nom, ce serait indécent) pour que tout soit différent.

Cinquante ans après Vatican II, le conservatisme reste l'ennemi à abattre. Je veux parler du conservatisme conciliaire (autrement appelé : esprit du Concile). Je veux parler aussi du conservatisme anticonciliaire. Comment en finir avec le conservatisme ? - Par la monarchie chrétienne, par l'avènement d'un peuple de rois, d'un peuple de responsables (chacun à son niveau), d'un peuple d'amoureux de son Eglise. Oui ! Que chacun, dans l'Esprit saint, par le baptême partagé, lui fasse à nouveau beaucoup d'enfants.

Marc Levatois - sur "L'espace du sacré"

L'abbé de Tanoüarn a reçu Marc Levatois sur Radio Courtoisie le 19 juillet 2012.2012

dimanche 22 juillet 2012

Le Corps sacré

Quant au post précédent, je retiens le message de Jean-Paul Mestrallet, ainsi formulé : "Vous oubliez totalement La CAUSE CENTRALE du sacré dans le catholicisme: le Corps du Christ substantiellement présent dans l'Eucharistie, donné par celui-ci "en mémoire de moi" dans le "Saint Sacrifice de la Messe" et entouré de bénédictions, processions, et viatiques hautement solennels: Les pratiques catéchétiques et liturgiques récentes n'ont guère entretenu la praxis ni la motivation doctrinale pour le "sacratissimum sacramentum" . svp Il serait élégant que vous réagissiez à ce commentaire". Jean-Paul

Vous avez raison de me rappeler à l'ordre sur un sujet aussi important. Je n'ai pas oublié le corps du Christ. Comment le pourrait-on ? Mais dans une rédaction un peu rapide, j'ai obliqué sur le corps de chacun, sur nos corps, temples du Saint Esprit. Je crois très important de rappeler qu'il n'y a nul respect du corps en christianisme, mais plutôt une vénération pour ce corps destiné à la gloire et qui ne doit pas se rouler dans la fange.

Pour ceux qui assistent à l'extraordinaire rite que la Tradition romaine nous a légué comme un trésor, je signale l'épître du 8ème dimanche, tout entière centrée sur "la chair" (hébreu : basar : l'être humain, l'humanité de l'homme). Dans le lectionnaire, on traduit chair par corps et l'on ne comprend plus rien : "Faire mourir les oeuvres du corps". Comme si le christianisme était un platonisme ou un gnosticisme ! Non ! Faire mourir tout ce qui en nous est "humain trop humain", tout ce qui, en ce sens est "charnel", car tout cela est évidemment promis à la mort. "C'est dans l'espérance qu'est notre salut" ainsi que le Père Spicq traduit le spe salvi de l'Epître aux Romains (8, 23), dont Benoît XVI a fait notre bannière claquant au vent du siècle. Le salut de la chair n'est pas en elle-même mais dans "la profession d'espérance" (Hébr. 10 23) que nous faisons chacun, parfois même avant de faire profession de foi.

Le Corps du Christ, qui nous est laissé sous l'apparence du pain, est plus que son corps charnel, c'est son corps ressuscité, glorieux, qui nous appartient à tous dans la mesure où nous le recevons pour le Bien : Sumit unus, sumunt mille, quantum isti tantum ille. Qu'un seule le reçoive, que mille l'assimilent, il se donne autant aux mille qu'à un seul.(saint Thomas, Lauda Sion). Ce Corps du Christ est Temple (Jean 2) où nous sommes non seulement abrités mais revitalisés, ce Corps du Christ est sanctuaire dans lequel nous sommes tous reçus, un sanctuaire "non fait de main d'homme" comme dit l'Epître aux Hébreux, dans lequel c'est "avec assurance" que nous avançons jusqu'à Dieu... que nous pouvons toucher Dieu.

L'eucharistie dans laquelle le Christ est présent avec son Corps, son sang, son âme (humaine) et sa divinité est l'incarnation continuée. Elle est le signe de notre Espérance. Elle est le Temple, comme le montrent tous les tabernacles du monde, temples dans le Temple, nouveaux Saints des saints.  Dans l'eucharistie le Christ est présent à tout l'espace-temps, non seulement comme Dieu mais comme Sacrifié, comme offert, comme Victime de propitiation, comme religieux de Dieu, qui nous rend Dieu favorable...

D'ailleurs, je m'en vais célébrer la messe à toutes vos intentions...

mercredi 18 juillet 2012

Sacré corps !

Marc Levatois m'a fait le plaisir - et l'honneur - d'accepter mon invitation sur Radio Courtoisie pour que nous parlions ensemble de son dernier livre L'espace du sacré (aux éditions de l'Homme nouveau). L'émission qui est disponible en podcast, sera rediffusée samedi prochain, 21 juillet à 18H00 sur 95.6. Marc Levatois y aborde la question fondamentale du sacré. Allons, disons-le: la crise de la pratique religieuse correspond à des mouvements sociologiques profonds, à ce que j'appellerais une matérialisation de l'existence humaine, à une rationalisation, essentiellement comptable des rapports humains. Mais la désaffection des catholiques eux-mêmes pour la messe du dimanche renvoie à une insatisfaction profonde du public, qui est (en termes marketing) le coeur de cible vis-à-vis des messes qu'on lui propose. D'où provient cette insatisfaction sinon d'un déficit du sens du sacré.

La question : qu'est-ce qui est sacré? est fondamentale. Est sacré ce qui n'est pas profane. Est sacré ce qui se présente comme "en rupture" avec le profane, comme l'explique Levatois.

Cette rupture, qui exige "total respect" est de plus en plus difficile à faire admettre à une génération décervelée. Le respect est une valeur en berne, alors même que le terme a été intégré (et désintégré) dans le langage "jeune". Lorsqu'un jeune vous dis : Respect ! il vous impose un rapport de force. Et pourtant le respect est justement ce sentiment qui se manifeste en dépit du rapport de force ou de la rationalité comptable : respect pour les personnes âgées, pour les femmes, pour les enfants etc. Respect pour le sacré...

Marc Levatois explique très bien l'ambiguïté de la position de l'Eglise face au sacré, en distinguant trois phases dans les relations de la théologie catholique : à la fin du XIXème siècle, le vocable apparaît. C'est une invention de la sociologie (Emile Durkheim) ou de l'anthropologie (Rudolf Otto). L'Eglise est méfiante, elle ne veut pas mettre la religion chrétienne au même rang et dans le même bain que toutes les autres. Elle n'intègre pas le sacré dans sa théologie et en repousserait plutôt la notion. Beaucoup de traditionalistes aujourd'hui entretiennent cette méfiance vis-à-vis du sacré, pour ces raisons.

Deuxième phase dans les années Soixante du XXème siècle : c'est l'époque de ce que Michel Viot a appelé "les chrétiens sans religion" (ouvrage prémonitoire publié en 1975). On veut nous faire croire que "le christianisme est la religion de la sortie de la religion" et du "désenchantement du monde" (Marcel Gauchet)... Le sacré est... voué au gémonies ! On développe une "théologie de l'enfouissement" (référence à la parabole du levain dans la pâte). On veut faire "la messe de tout le monde sans secret ni sacré ni ségrégation" (selon le titre un peu long mais éloquent d'un ouvrage de Jean-Noël Bezançon, publié au Cerf en 2009, comme un acte de nostalgie)...

Il y a aussi une troisième phase, particulièrement intéressante, celle du mouvement liturgique à son origine, auquel participa immédiatement un certain Josef Ratzinger. Durant l'émission Marc Levatois insiste particulièrement sur le livre du Père Louis Bouyer, Le rite et l'homme (réédité au Cerf en... 2009). Cette troisième phase, qui remonte aux années 50 et revient en force en ce moment tente de récupérer le sacré et (mais là on va sans doute plus loin que Bouyer) de montrer son rapport profond à la sainteté.

Au fond, dans ce personnalisme intégral qu'est le christianisme, on peut dire que seules les personnes sont sacrées et qu'elles sont sacrées à proportion de leur rapport (explicite ou implicite) au Christ. C'est cette sacralité qui est comme la condition de possibilité de l'accomplissement spirituel, de la ressemblance assumée avec Dieu que l'on appelle sainteté.

Dans cette perspective, on le comprend bien, il y a une délocalisation du sacré. Le sacré, dans le judaïsme, est enfermé en un lieu (que se disputent aujourd'hui encore juifs et musulmans, entre Mosquée d'Omar et Mur des Lamentations). Ce lieu c'est le temple de Jérusalem. Les chrétiens ne font pas partie de ce jeu. Le Christ, lui a bien souligné que les vrais adorateur n'adorent ni sur le Mont Garizim (en Samarie) ni sur le Mont Sion. Ils adorent "en esprit et en vérité" (Jean 4). Ainsi, note profondément saint Paul (I Co. 6) le Temple de Dieu, le Temple du Saint Esprit... c'est chaque chrétien, vivant en esprit et en vérité.

Plus précisément : le corps du chrétien est le Temple du Saint Esprit. L'insistance de saint Paul sur cette sacralité du corps montre bien que, selon la logique de l'incarnation, le sacré chrétien n'est pas une réalité purement spirituelle (comme est la sainteté) mais une réalité concrète, inscrite dans l'espace et dans la vie la plus quotidienne. Non seulement le chrétien respecte Dieu dans les autres, et jusque dans "Nos Seigneurs les pauvres", mais il respecte Dieu dans son propre corps, qui, malgré ou dans ses défaillances et ses faiblesses, peut devenir "hostie unie à l'unique hostie", offrande sacrificielle et principal lieu du sacré.

samedi 14 juillet 2012

Saint Augustin, porte de la foi

Je suis en ce moment dans une lecture approfondie de l'exhortation apostolique Porta caeli, par laquelle Benoît XVI promulgue une année de la foi en octobre prochain. Et je suis surpris de l'importance que le pape donne à saint Augustin. On le dit souvent : Benoît XVI est augustinien, plus qu'il n'est thomiste. Mais qu'est-ce que cela signifie ?

D'abord qu'il faut avec lui, pendant ces vacances, relire saint Augustin, les Confessions par exemple, et dans les Confessions, un tuyau : pourquoi ne pas commencer par le Livre X, véritable hymne à la vie intérieure et aux "palais de la mémoire" ? Lire doucement. Déguster.
Que dit Benoît XVI au sujet d'Augustin ?
"Les croyants, atteste saint Augustin, se fortifient en croyant (De utilitate credendi 1, 2) Le saint évêque d'Hippone avait de bonnes raisons pour s'exprimer de cette façon. Comme nous le savons, sa vie fut une recherche continuelle de la beauté de la foi jusqu'à ce que son coeur trouve le repos en Dieu [première phrase des Confessions : "Tu m'as fait pour toi et mon coeur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en toi"]. Ses nombreux écrits dans lesquels sont expliqués l’importance de croire et la vérité de la foi, demeure jusqu'à nos jour comme un patrimoine d'une richesse inégalable et permettent encore à de nombreuses personnes en recherche de Dieu de trouver le juste parcours pour accéder à la porte de la foi" (n°7)

Saint Augustin est avant tout, contre Pélage, moine breton du IVème siècle, l'homme qui a compris que sans la grâce de Dieu nous ne pouvons pas obtenir la justice. Comme le dit Benoît XVI dans le même document au n°10 : "La foi du coeur obtient la justice" [citation de Romains 10, 10]. Oui... seule la foi obtient la justice. Notre orgueil est-il prêt à accepter cela ? Sommes nous prêts à comprendre qu'en dehors du coeur, il n'y a pas de justice, ou que, comme disait Pascal, grand augustinien, "la vérité sans la charité est une idole"?

Mais en même temps que saint Augustin est le docteur de la grâce contre les pélagiens, il est le chantre de la nature, en particulier il est le philosophe chrétien par excellence, l'homme qui ne voit aucune rupture entre la foi et la raison et qui passe sa vie à le montrer. A cet égard, comme le note Benoît XVI, il est le saint de la quête de Dieu. Non pas cette quête interminable, qui est une sorte d'esquive. la quête augustinienne est sûre de son fait : "Tu ne me chercherai pas si tu ne m'avais pas trouvé". La chasse EST la prise. Mystère merveilleux du désir de Dieu !

Mais il est aussi, selon une autre expression de Benoît XVI, dans Porta caeli, celui qui a su dire - après saint Paul - "le mystère insondable de l'entrelacement entre sainteté et péché" (n°13)., celui qui nous apprend à ne jamais désespérer de nous-mêmes et à faire triompher toujours le désir de Dieu, ce désir qui, seule entre tous les désirs, augmente avec la certitude qu'il a de posséder son objet.

samedi 7 juillet 2012

Avalanche de blogs sur Tradiland

Le mois dernier je signalais que «ça bouge dans le Tradiland». Eh bien… ça continue. Je résume, je récapitule :
  • FECIT a fermé – ce forum était animé par plusieurs fidèles de la FSSPX, qui ne portent pas le même regard sur les changements internes à la Fraternité. L’administrateur de Fecit a eu l’élégance d’arrêter ce qui avait été créé en commun, plutôt que de s’en servir contre ses anciens copains.
Plusieurs pages sont apparues, et c’est là qu’il faut maintenant aller chercher l’information. J’avais signalé:
Les autres initiatives sont toutes contre un accord avec Rome. Voyez :
mais aussi :
Il faut aussi mentionner un site sedevacantiste qui tourne à plein ces temps-ci:
Bref, et c'est normal dans cette situation, il y a pléthore de (res)sources - d'autres pourraient apparaitre encore, avant que tout cela ne se décante.

"Les parents ne donnent pas la Vie, ils la transmettent…" -- Vraiment ?!

Je tombe un peu par hasard sur cette phrase qui veut que les parents ne donneraient pas la vie, qu’ils ne feraient que la transmettre. La transmettre? Les parents (biologiques) transmettent leurs gènes, et de leur rencontre résulte un nouveau corps marqué par cette double hérédité : du père ET de la mère. En ce sens-là, oui, le taureau et la vache transmettent leur vie (bovine) à la génération suivante – eux-mêmes l’avaient reçue de la génération précédente.

Imaginons qu’il n’y ait qu’un seul parent – l’enfant serait génétiquement la réplique exacte de son unique géniteur? Presque! Car à chaque génération il peut y avoir une légère altération du message génétique transmis. Comme dans le jeu du téléphone arabe : au bout de ‘n’ fois, vous n’avez plus le même message ; et à partir d’une même souche, vous obtenez des résultats très différents. Avoir deux parents évite cet inconvénient: chaque enfant reçoit le message génétique à la fois de sa mère ET de son père – et combine ces deux brins de messages. Par analogie avec le téléphone arabe, imaginez que chaque transmission se fasse depuis deux sources – et encore: seulement si les deux sont compatibles. Voilà qui assure une forte stabilité de l’information.

Reste que les individus au sein d’une même espèce ne sont pas strictement identiques. Autrement dit, leur information génétique (leur ADN) n’est pas strictement le même. Certains sont mieux adaptés à un certain environnement. Leurs chances de survie sont supérieures, ils sont plus à même d’arriver à l’age adulte, et donc: de transmettre à leur tour la vie – c’est à dire leur patrimoine génétique. A la génération suivante, le gène favorable est un peu plus fréquent, dans le groupe – au détriment du gène défavorable. (Bien entendu cette notion de favorable/défavorable dépend des conditions de vie. Avoir les dents pointues aide un carnivore mais gêne la vache). Et c’est ainsi qu’évoluent les espèces.

Prenez maintenant une espèce – du fait de quelque barrière, cette espèce se trouve séparée en plusieurs groupes, soumis à des conditions différentes. Leur évolution sera différente, mais ce sera toujours la même espèce. Autrement dit: le message (génétique) ne sera pas tout à fait le même d’un groupe à l’autre, mais ces différentes versions resteront compatibles entre elles – les différentes races de vaches sont inter-fécondes. Attendez encore un peu: quand les messages diffèrent trop, ils ne sont plus compatibles. Vous avez alors deux espèces distinctes.

Ami lecteur, tu me diras que c’est de l’évolutionnisme, et tu as bien raison! et peut-être te boucheras-tu le nez? Je te le dis tout net: les contre-argumentaires que l’on trouve sur quelques sites ne valent pas grand-chose. Le plus souvent ils n’apportent de réponses qu’à… Darwin, c’est-à-dire à des travaux qui datent d'il y a 175 ans (on a depuis découvert la génétique et l’ADN – excuse du peu!) Contrer ainsi à la «théorie évolutionniste» revient à s’opposer à la «théorie atomiste» en s’arrêtant à Lavoisier. Pour mémoire, je rappelle que la «théorie atomiste» énonce que la matière serait composée d’atomes – de même que pour l’évolutionnisme, c’est une ‘théorie’, c’est-à-dire que même si tout indique les choses sont ainsi, il n’y a rien de ‘prouvé’ au sens de ‘reproductible en laboratoire’.
L’évolutionnisme rend vraiment compte de la puissance du Créateur
 

[Parmi les contre-arguments qui prêtent à sourire, je lis ce qui suit dans la revue Tu es Petrus (numéro de septembre 2007): «il faudrait aussi qu’au même moment la même mutation touche un membre de l’autre sexe pour pouvoir obtenir une nouvelle descendance et donc une spéciation». Sauf que… les choses ne se passent pas ainsi. La subspeciation (partage en deux espèces distinctes) ne se fait pas en une génération ; on ne passe pas d’un seul coup d’interfécond à infécond. (Pour faire court: voyez la chèvre domestique et le bouquetin).

On lit plus loin que «la raison d’être de toute théorie de l’évolution est de rejeter l’idée d’une création par Dieu». En réalité l’évolutionnisme s’oppose simplement et uniquement au fixisme. Le fixisme pense que les espèces ne dérivent pas les unes des autres – elles sont fixes, et c’est Dieu qui a créé, directement, chacune d’entre elles. L’évolutionnisme ne se prononce pas sur la Création, il pense juste que les formes de vie dérivent l’une de l’autre – l’espèce bovine existant en puissance dès ses plus lointains ancêtres. A y bien réfléchir: que des millions d’espèces soient contenues dès l’apparition de la vie, et que la vie découle de la matière : voici qui rend vraiment compte de la puissance du Créateur! Mais de toute manière, la génétique s’occupe des gènes, de même que l’astrophysique s’occupe du cosmos – ce n’est qu’à la marge que les théologiens sont impactés, quand ils doivent repenser quelques schémas.]
Mais revenons à nos moutons, à nos vaches et à nos pois senteur: chez eux, les parents transmettent la vie, ils transmettent l’animus. Qu’en est-il chez nous, dans notre espèce humaine? Nous tenons bien notre animus de nos parents. Mais puisque cette phrase («Les parents ne donnent pas la Vie, ils la transmettent!») circule en milieu chrétien, nous ne pouvons pas nous en tenir à la biologie. Qu’est-ce qu’un être humain, pour un chrétien? c’est une âme dans un corps. Cette âme (anima) ne nous est certes pas transmise par nos parents. Des disciples avaient fait à Freud une sale blague: ils lui avaient dit avoir trouvé le siège de l’âme dans un repli du cerveau. Dans cette optique, l’âme aurait été une fonction cérébrale, comme la vue ou l’ouïe, dont nous hériterions de nos parents avec le reste. Telle n’est certes pas l’âme à laquelle nous croyons, qui est une étincelle du divin, qui détermine que notre vie est humaine, et que nos parents ne peuvent certes pas nous transmettre.

jeudi 5 juillet 2012

Vive la polygamie !

Je vous recommande vivement, comme très significatif de la décadence des moeurs et de la société qu'elle nous prépare, un livre de Catherine Ternaux, publié chez Grasset et intitulé La polygamie, pourquoi pas ? Le point d'interrogation est purement formel. En réalité ce livre est un hymne à la polygamie - polygynie ou polyandrie. La polygamie est présentée le plus sérieusement du monde comme un remède au divorce. Peut-être d'ailleurs est-ce là l'expérience vécue par l'auteur, qui ne s'étend pas sur sa vie personnelle, mais dédicace son livre "à Jean-Paul, mon mari, dans l'amour tout entier de mon coeur". Aimer "entièrement" plusieurs êtres ! Quel idéal ! Il faut en finir, dit Catherine Ternaux, "avec les paresseuses croyances sur nos capacités d'aimer".

"Ne sommes nous pas des handicapés de l'amour dans la mesure où on nous "entraîne à n'aimer qu'une seule personne à la fois et qu'ainsi notre force affective n'est pas exercée. Nous ne savons pas bien ouvrir notre coeur quand bien même nous en avons envie Si dès notre enfance on nous portait à cette habitude d'aimer pluriellement, cela serait différent. Parions que plus on aime de personnes, plus on sait aimer..."

L'amour n'est plus un choix mais une expertise ! En Afrique, au Gabon précisément, j'ai connu le tourisme sexuel totalement décomplexé. Et j'ai pensé (c'était entre 1989 et 1991, mon premier poste comme prêtre) que cette décontraction totale, où il n'y a ni possession ni jalousie, pourrait bien être... l'avenir du monde occidental. Au fond c'est ce qu'écrit Catherine Ternaux en 2012, dix ans après. Qu'est-ce que cela signifie ?

Deux choses avant tout.

On tend à faire l'économie du choix amoureux, parce que "choisir c'est renoncer" et qu'il ne faut renoncer à rien. On ne se rend pas compte que, faisant l'économie du choix, on fait l'économie de l'amour, de son entièreté non négociable, de l'aventure existentielle qu'il signifie, de l'absolu qu'il représente et auquel il nous introduit, de l'ambition magnifique de l'une seule chair (hébreu : basar : un seul être humain)... Et on remplace tout cela par une affectivité vague, qui se réduit finalement à un libre service sexuel généralisé, où la déontologie du consommateur remplace la morale.

On oublie l'enfant, qui n'est pas le fils de personne mais le rejeton d'un homme et d'une femme, auquel on va transmettre une culture, des valeurs, une expérience et qui va lui-même se construire dans son rapport à son père et à sa mère, en puisant non seulement dans l'amour qu'ils lui portent mais dans l'exemple de leur amour mutuel la force d'affronter l'existence. Pourquoi le divorce constitue-t-il un traumatisme pour l'enfant bien plus que pour les adultes ? Parce que le mariage est nécessaire à l'enfant qui, pour être équilibré, doit être un enfant de l'amour (c'est-à-dire du choix).

lundi 2 juillet 2012

Sacrifice ? Oui, même l'été

Je m'en veux de paraître vous snober, laissant notre webmestre vaillamment en première ligne... Puisqu'il faut nous accrocher, sur ce blog, à une actualité, je choisis l'actualité liturgique et, dans l'extraordinaire rite que j'ai la joie de célébrer, la fête du Précieux sang, dimanche dernier. Le mois de juillet tout entier est traditionnellement consacré à cette dévotion. Dévotion? Cela signifie moyen de visibiliser un contenu de foi. Ici c'est le sacrifice du Christ qui est honoré dans le Précieux sang de Jésus, répandu pour nous.

Pourquoi le sacrifice ? Les théologiens n'ont pas toujours su répondre à cette question simple. Pourquoi est-il nécessaire que le Christ se sacrifie pour nous ? Il faut lire les Éclaircissements sur les sacrifices de Joseph de Maistre (récemment republiés pour un prix modique dans la petite collection Carnets de l'Herne). Il nous explique que le sacrifice fait partie de l'attitude religieuse fondamentale de chaque homme. Dans la Bible tout commence avec Caïn et Abel. Les hommes se considèrent spontanément comme en dette vis-à-vis de la Puissance créatrice. Tel est le fondement de l'esprit religieux. Nous sommes tous débiteurs : Dimitte nobis debita nostra... Pourquoi parler des offenses? Ce sont des dettes. Nous ne pouvons approcher de Dieu avec confiance, parce que nous sommes en dette vis-à-vis de lui.

Pour retrouver cette confiance perdue dans l'Ordre du Monde et dans la Source divine de cet Ordre, il nous faut tenter d'offrir quelque chose à Dieu. Quelle maladresse souvent dans ces offrandes et quelles insuffisances ! Que pouvons nous offrir à Dieu pour être à la hauteur ? Rien de ce qui est humain ne suffirait, tellement, avec Dieu, nous sommes dans d'autres dimensions. "Qu'offrirais-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a donné ? Je prendrai la coupe du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur" dit le Psaume. Dans cette invocation déjà le Psalmiste offre Dieu à Dieu en quelque sorte. C'est le principe de ce sacrifice si profond que l'on nomme sacrifice de louange. Offrir Dieu à Dieu.

Mais dans nos sacrifices de louanges, cela reste de l'ordre des paroles. Paroles, paroles, tant que le Christ ne s'invite pas comme le fondateur de notre religion. C'est dans le Christ que ce sacrifice de louange dans lequel nous offrons Dieu à Dieu devient non plus seulement une aspiration de l'âme inquiète, mais la réalité à travers laquelle s'opère notre métamorphose.

Voilà la dévotion au Précieux sang, le service empressé de ce sacrifice du Christ qui fait de nous des dieux avec Dieu et en Dieu si nous le voulons. Le serpent n'avait pas menti sur toute la ligne, c'est bien de devenir comme Dieu qu'il s'agit dans l'oeuvre de notre salut. Mais c'est le Christ sacrifié qui mérite tout à notre place et, comme dit Cajétan (De fide et operibus adversus Lutheranos), si nous méritons nous, c'est dans le Christ... Oui : par Lui, avec Lui et en Lui. Quel soulagement de se dire qu'il a déjà acquis notre propre salut par son sang! Quel élan aussi lorsque nous pensons à ce que saint Paul a pu dire du mérite humain : c'est "ce qui manque à la Passion du Christ" (Colossiens 2).

[conf'] Abbé Frédéric Guigain: «Les sources araméennes de l'Evangile»

Conférence de l'abbé Frédéric Guigain au Centre Saint Paul, mardi 3 juillet à 20H00: «Les sources araméennes de l'Evangile» - Réflexions sur la transmission orale. Cette conférence clôt le cycle de conférences, avant la pause estivale. PAF de 5 euros. Un verre de l’amitié est proposé après la conférence.

dimanche 1 juillet 2012

Ethique? et toc!

Est-ce un signe de ce que je vieillis? Des choses qui m’étaient évidentes me semblent maintenant contestables, ou de pure convenance. Parmi ces choses, il y a le «sérieux». Longtemps j'ai considéré avec sérieux les grands penseurs de notre temps, les d’Ormesson, les Ruquier, les BHL qui causent à la télé ou dans le journal. Attention, hein? je n’ai pas dit que j’étais d’accord – je dis que je les prenais au sérieux. Et maintenant, quand ils disent sentencieux que «c'est une question d'éthique», l’envie me vient de plus en plus de répondre «poil à la chique!»

Ce que je récuse, ce n'est pas leur néo-morale en tant qu'elle viendrait se substituer à l'ancienne qu'ils ont rejetée en 1968 (je schématise) pour leurs 20 ans. Non, ce que je récuse... c'est leur monopole du sérieux.

Exemple actuel: l'idée fait son chemin qu'un enfant peut avoir papa+maman, mais aussi bien maman+maman, ou encore papa+papa. Eh bien si un enfant peut avoir papa+papa, je ne comprends pas qu’il ne puisse pas avoir papa+maman+papa. De quel droit lui interdire ce droit?

Car à y bien regarder, une fois bazardés ce que l’on nomme «schémas judéo-chrétiens» (ou «nature humaine», c’est selon), pourquoi s’arrêter en chemin? Et s’arrêter à quelle borne, posée par qui? si papa+papa est éthique, pourquoi papa+maman+papa ne le serait-il pas?

Ce que je revendique, c'est la même valeur pour mon «poil à la chique» que pour les quelques «c'est éthique» que j'entends. Et réciproquement.