mardi 31 janvier 2012

Pierre Magnard lecteur de Montaigne

Mardi 31 janvier - 20H15 - Conférence au centre St Paul - P.A.F : 5 €  - 2 € pour les étudiants et petits revenus - Un verre de l'amitié prolonge la conférence.

Mardi, au Centre Saint Paul, à 20 H 15, nous avons l'honneur et la joie de recevoir Pierre Magnard, qui fut titulaire de la chaire de philosophie médiévale à la Sorbonne et grand prix de philosophie de l'Académie française. Spécialiste du XVIème siècle, il vient nous parler de Montaigne. Une chance! Avez-vous lu Montaigne? il est à la fois très facile à comprendre parce qu'il parle comme un honnête homme et pas comme un prof de philo et très difficile à fréquenter car sa langue, fleurant bon l'archaïque, reste un peu difficile d'accès. Voilà l'occasion de le découvrir et de découvrir le plaisir qu'il y a à le lire.

On lui fait des misères parce qu'il a découvert la potentialité littéraire des cannibales, inventant les "bons sauvages" deux siècles avant Jean Jacques. Mais lui, il avait l'excuse de la nouveauté absolu ! Un siècle plus tard, encore, Pierre Nicole s'interrogera gravement sur "le salut des Américains", c'est-à-dire sur ces fameux cannibales, abandonnés à leur archaïsme moral et qui n'avaient pas reçu le Christ. Montaigne n'est pas un pessimiste. Il ne cède pas aux sirènes de l'ultrachristianisme calvinien. C'est qu'à sa manière il croit en l'homme ou plutôt il croit à la nature ("Nature est pour moi doux guide") et à Dieu créateur de la nature. C'est ce Dieu-là qu'il essaie de retrouver dans ses sauvages.

Je ne sais ce qu'en dira Pierre Magnard, spécialiste du Dieu des philosophes et grand connaisseur des XVIème et XVIIème siècle, en particulier dans l'ordre religieux (voir son Pascal, la clé et le chiffre), mais moi j'ai un grand ploaisir à lire l'Apologie de Raymond de Sebond, c'est-à-dire le long chapitre 12 du IIème livre des Essais. Cette théologie me va! J'aime le sens du mystère que garde Montaigne. J'aime que son naturalisme évident se double d'un surnaturalisme. Comme il parle avec éloquence du surnaturel!

Un exemple ? Voici : "Quoi qu'on nous prêche et quoi que nous apprenions, il faudra se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. (...) Les choses qui nous viennent du ciel ont seules autorité de persuasion ; seules, marque de vérité. Laquelle aussi ne voyons nous pas de nos yeux, ni ne la recevons par nos moyens. Cette sainte et grande image ne pourrait pas en un si chétif domicile, si Dieu ne le reforme et fortifie par sa grâce et faveur particulière et supernaturelle. Au moins devrait notre condition fautière [le péché originel !] nous faire porter plus modérément et retenuement en nos changements". C'est déjà tout Pascal!

Bidon, mais efficace

Il y a trois mois le blog François de Souche citait une brève de Ouest France, rapportant la visite de collégiens à la mosquée de La Roche. Ces élèves d’un établissement privé catholique (Saint-Pierre, en Vendée, aux Essarts) ont «posé leur regard sur la mosquée», on les voit sagement assis sur le tapis rouge de la salle de prière. Il s’agit de «comprendre au mieux» le programme d’histoire, qui en 5e porte aussi sur les «débuts de l'Islam». Jusque là rien de bien extraordinaire, et le titre surprenant de l’article («Des collégiens s'imprègnent de l’islam») n’engage que le journaliste.

Photo réelle - légende bidon.
'F de Souche' publiait également une autre photo, que vous voyez ici: des enfants sur un tapis vert, en position de prière, à la musulmane. 'F de Souche' pense qu’il s’agit aussi d’une sortie scolaire, et indique que la photo a été prise ailleurs (en GB en l’occurrence). Sans doute 'F de Souche' a-t-il voulu illustrer toute la différence qu’il y a entre la visite culturelle dont il rend compte, d’une part… et ce qui se ferait dans d’autres pays, d’autre part. Ou peut-être s’agissait-il de corser un peu le post?

Le problème est qu’à partir de là, l'image est reprise par toute une série de blogs et de sites, qui veulent croire (et faire croire) qu’elle représente les élèves du Collège Saint-Pierre, aux Essarts, dans le diocèse de Lucon. Avec divers commentaires : offusqués, ironiques, scandalisés…

C’est ainsi que l’on retrouve cette photo sur…
  • Le site italien de la FSSPX, d’abord, qui écrit que «les jeunes catholiques français ne vont plus à la messe. Que faire? Les encourager à mieux connaître… l’islam»
  • Rorate Caeli suit, avec des commentaires qui s’effraient que cette horrible chose ait eu lieu justement en Vendée.
  • Vient Orate Fratres, qui suggère une neuvaine pour l’Eglise de France.
  • Puis Katholisches, site allemand qui réalise l’exploit de faire parler l’enseignant de la classe… en plaçant des guillemets autour de quelques mots traduits depuis la brève de Ouest-France.
(Je passe sur les nombreuses reprises sur des blogs d’importance secondaires, en anglais, en portugais, en grec, en polonais, etc. Je passe aussi sur les reprises par des pages plus politiques.)
  • Dernier en date: La Porte Latine, site de la FSSPX française, reprend l'image et l'intitule: «Les jeunes collégiens de Saint-Pierre des Essarts ‘mis en condition’...».
J'ose deux hypothèses: la première c'est que ces blogs et sites se reprennent les uns les autres, que chacun paraphrase l'autre, que l'info tourne en rond, et qu'une fois qu'une erreur est entrée dans la boucle, elle y prospère de manière virale - d'autant plus facilement qu'elle est extravagante.

L'autre hypothèse, qui n'est pas incompatible avec la première, suppose que les blogueurs traditionalistes ne se satisfont pas de notre société, ni de ses choix culturels, politiques, économiques. Qu'ils ressentent divers problèmes, réels mais diffus et malaisés à circonscrire. Prenez cette visite d'une mosquée par exemple: rien que de très banal... mais il y a un petit malaise: Ces adolescents «curieux et ouverts» qui entrent pour la première fois sans doute dans une mosquée, les emmènera-t-on aussi dans une église?  Si on ne le fait pas, le tradi souffre: il a l’impression d’une ouverture à sens unique, d’une découverte des seuls ‘autres’, quand tant d’enfants de France ne connaissent rien du catholicisme. – Maintenant, si ces collégiens visitent aussi la paroisse voisine, le tradi souffre encore et se demande (par exemple) ce que vaut une école ‘catholique’ qui doit organiser une demie journée découverte pour que ses élèves sachent à quoi correspond concrètement le mot ‘église’.

Bref dans les deux cas, le tradi souffre - et à juste titre, et d'autant qu'il n'a rien de bien concret pour illustrer son malaise. C'est alors (c'est ma seconde hypothèse) que nait la tentation de grossir le trait. De transformer, par exemple, la visite-culturelle-qui-dérange-un-petit-peu en initiation-cultuelle-carrément-scandaleuse. Et pour ce faire, quoi de mieux qu'une bonne photo bien choquante? Elle est bidon... et alors?

Le plus extraordinaire dans cette histoire est qu'il est à peu près impossible de savoir où et quand cette photo a été prise. Elle est sur internet depuis fin 2007 au moins, d'abord sur des sites arabophones. Tantôt elle a été prise «in Massachusetts» (USA), tantôt il s'agit de jeunes Danois originaires d’«Aarhus, dans la banlieue de Hammel».

dimanche 29 janvier 2012

Franz-Olivier Giesbert et Dieu

Bien écrit le dernier livre de FOG... Et ce n'est pas si facile aujourd'hui de faire parler les mots quand on veut évoquer le Dieu tout puissant. Giesbert y parvient. Il trouve les mots, dans un domaine où le réel trop souvent nous échappe. Il évoque sa mère avec beaucoup d'affection et il reconnaît que c'est à sa mère qu'il doit Dieu. D'où ce titre qui pourrait paraître grandiloquent, mais qui n'est que modeste : Dieu ma mère et moi (éd. Gallimard).

Giesbert a une jolie façon de nous dire sa foi, c'est de la faire dire par Tonton : "Entre chacune de nos brouilles, François Mitterrand commençait toujours par la même question l'entretien de la réconciliation - Vous croyez toujours en Dieu ? - Pourquoi n'y croirais-je pas ? - Je vous envie". Suit une petite leçon du dit FOG. A Tonton, lui disant de façon assez banale : "C'est tellement beau la Bible". FOG répond tout à trac, il se fait tranchant tout d'un coup : "Vous perdez votre temps. La Bible c'est le dernier endroit où vous pourrez trouver Dieu. Il est dehors, dans la vie, dans la nature, il suffit d'ouvrir les yeux pour tomber dessus".

L'Ecriture, dernier endroit où vous pourrez trouver Dieu ? Moi qui lit L'Institution chrétienne de Calvin en ce moment, je suis surpris par les certitudes de Giesbert. "L'Ecriture, recueillant en nos esprits la connaissance de Dieu, qui autrement serait confuse et éparse, abolit l'obscurité pour nous montrer clairement quel est le vrai Dieu" écrit le réformateur de Genève. Calvin a sans doute tort de réputer "claire" l'Ecriture. Jean Chrysostome pensait le contraire, il tenait que l'obscurité des prophéties est une nécessité. Dieu ne cherche pas à offrir à l'intelligence humaine un produit facile à digérer. Il veut en accroître le champ, Il entend nous sortir de l'ignorance "qui est le siège naturel de l'homme" comme dit Pascal quelque part. Si l'Ecriture était absolument à notre portée, elle n'engendrerait pas la foi... Mais je ne chicane pas Calvin ! J'aime la langue dans laquelle il nous dit combien l'Ecriture est précieuse. Giesbert est moins clair.

Moins clair dans ses provocations (l'Ecriture dernier endroit où l'on trouve Dieu). Moins clair dans ses supputations, sa manière "spinozienne" de croire en un Dieu panthéiste, en un Dieu qui EST la nature.

Quelle image Giesbert a-t-il de la nature pour la diviniser ainsi ? Il se dit résolument végétarien (comme François d'Assise). Mais les animaux, eux ne le sont pas : le lion mange la gazelle. C'est cela aussi la nature. Comment donc peut-elle être le dieu de Giesbert ?

Décidément à tout prendre je préfère Calvin. Peut-on dire (comme Giesbert) que Dieu est la nature ? Voici la réponse du Réformateur : "Je confesse bien sainement que Dieu est nature, moyennant qu'on le dise en révérence et d'un coeur pur ; mais parce que c'est une locution dure et impropre, vu que plutôt nature est une ordre établi de Dieu, c'est une chose mauvaise et pernicieuse, en choses si grandes et où l'on doit procéder en toute sobriété, d'envelopper la majesté de Dieu avec le cours inférieur de ses oeuvres".

Oh ! Calvin n'explique pas.

Vous chercheriez vainement chez lui une théologie, au sens contemporain de ce mot. Son oeuvre offre avant tout une rhétorique, dont le procédé le plus fréquent est l'affirmation. Le premier usage de son Institution chrétienne est social, comme son nom même l'indique. Il s'agit de continuer à affirmer tout ce que l'on peut affirmer, contre les critiques radicales qui fleurissent ici ou là (parmi lesquels celle de l'ami Michel Servet, dont on sait qu' à Genève, il finira sur le bûcher avec la bénédiction de Calvin. A quoi rime de subtiliser sur la Trinité, en jouant les modalistes ?). Un seul impératif pour Calvin : la clarté, jusque dans l'exposition du Mystère. Pour lui le panthéisme ne joue pas parce que l'on ne confond pas les torchons et les serviettes : on ne peut pas, on n'a pas le droit d'envelopper la majesté de Dieu avec le cours inférieur de ses oeuvres.

Cette clarté calvinienne est dangereuse, dans un domaine où l'homme a du mal à la faire apparaître. Mais, à tout prendre, je préfère l'idéal de clarté de Calvin au panthéisme mondain de FOG. Il faudra que je vous parle de la manière dont FOG envisage le rapport entre Dieu et le sexe. C'est sans doute le ressort le plus profond de sa toute nouvelle "théologie de salon"

jeudi 26 janvier 2012

Psychique et spirituel

Merci Thierry. Mon précédent message sur le psychique et le spirituel n'était pas tout à fait clair. Trop elliptique comme souvent. Vous écrivez : "Je me représente plutôt le spirituel, comme un continuum de la Psyché, et séparer le psychique et le spirituel me semble arbitraire". Vous avez raison de votre propre point de vue. Et chacun d'entre nous, lorsque nous prenons des résolutions ou des décisions en matière spirituelle, nous avons à faire attention et au psychique et au spirituel. Au spirituel pour l'élan, qui faiut écrire à Pascal "l'homme passe infiniment l'homme" ; au psychique pour la prudence : il ne faut jamais casser la machine. Il existe des tentations sous apparence de bien, qui nous font rêver notre vie au lieu de la vivre.

Ce qui est dangereux me semble-t-il ce n'est pas d'unir la considération du psychique (tempérament et caractère de chacun, sexe, âge, position sociale etc.) et du spirituel (la vérité transformatrice, la vérité performative qui nous est donnée par le Christ). Bien sûr que lorsque l'on a des décisions à prendre, il faut envisager les deux aspects de la question, l'aspect de notre essence individuelle et l'aspect de notre vocation ou de notre existence spirituelle, de notre exigence intérieure. Et, dans cette perspective, en même temps que l'on fait des retraites spirituelles (dont l'archétype reste les Exercices spirituels de saint Ignace) on peut envisager des sessions de formation psychologique, selon les diverses méthodes disponibles sur le marché, parmi lesquelles je ne cache pas ma préférence personnellement pour l'ennéagramme. Il arrive, d'ailleurs, que notre vision de la psyché humaine est déformée au point de rendre nécessaire ce genre de session psy.


Mais il me semble qu'il ne faut pas mélanger les deux dimensions en s'adressant à des animateurs qui sont à la fois des pros de la Psy et des Accompagnateurs spirituels patentés. Notre liberté risque bien de disparaître si nous nous en remettons à quelqu'un qui gèrera à la fois notre psychique et notre destin surnaturel. Que nous devions, pour nous-mêmes, avoir égard aux deux dimensions, c'est une évidence. Que nous recevions un enseignement (ou un coaching) qui porte à la fois sur les deux domaines... Ca va quand on est vraiment paumé, dans un premier temps. Mais sinon, notre liberté, la fermeté de nos décision, la joie de nos choix (forcément profondément personnels et non dictés de l'extérieur) risquent d'en pâtir.


Et puis nous pourrions bien imaginer que notre comportement est tout entier réductible au calcul de la raison, ce qui va directement contre la foi - et indirectement contre le bon sens viscéral dont fait preuve le langage le plus courant lorsqu'il parle par exemple du "Bien" comme relevant toujours du dépassement de soi ! Dans la vie, il  a certaines décisions que nous prenons sans consulter le principe de précaution. Ce ne sont ni les moins importantes ni les moins méritoires ni les moins salutaires dans tous les sens du terme.

Descartes a cru un moment qu'il pourrait élaborer un jour une morale purement rationnelle et il a proposé, en attendant ce moment, que l'on s'en tienne à ce qu'il appelait sa "morale provisoire" ["mon roi et ma nourrice"]. Mais à la fin de sa vie, ce soi-disant rationaliste perçoit l'échec de la raison raisonnante dans le domaine de l'existence humaine et il propose un autre critère dans ses lettres à la Palatine : celui de la magnanimité. Rien de moins rationnel ! Rien de plus proche de la morale chrétienne, faite de générosité, de confiance et d'amour, bref, elle aussi, de magnanimité. Pour reprendre les termes que nous utilisons dans ces deux derniers posts, disons que la morale finale de Descartes est vraiment spirituelle. Et pas seulement psychique ou rationnelle. Pas fondée sur le calcul.

mercredi 25 janvier 2012

Faire des exercices avec saint Ignace

Je vous ai beaucoup parlé de Jeanne d'Arc sur Métablog et vous en entendrez parler tout au long de cette année 2012 que nous avons l'intention de "vivre avec Jeanne". Mais cette fois, c'est de saint Ignace que je voudrais vous entretenir et de ce prodigieux instrument de conversion que constituent les exercices spirituels.

Je suis à Poitiers pour donner ces exercices depuis lundi ; je ne peux pas ne pas partager quelque chose de cette belle expérience avec les lecteurs assidus que vous êtes. Quel est le but de saint Ignace ? Transformer une pensée en action. Nous donner le sens de l'urgence de notre salut : le temps est court, l'heure avance, le jour baisse. Qu'ai-je fait ? Quelles sont mes œuvres ? Ai-je répondu, d'une manière ou d'une autre à l'appel du roi du Ciel ?

Il y a les retraites poétiques qui nous font entrer dans "la vie rêvée des anges", à grand renfort de métaphores, dans une rhétorique sirupeuse qui devient très vite poisseuse. A fuir ! C'est de l'onanisme spirituel. Le rapport au réel y est très ténu.

Il y a les sessions, au cours desquelles on étudie soit les rudiments du catéchisme soit tel ou tel point de la foi chrétienne, soit tel ou tel texte de l'Ecriture ou de la Tradition, soit tel sacrement. Dans cette catégories se rangent, me semble-t-il, les sessions de fiancés et autres retraites en vue du mariage. Ce sont des exercices à dominante intellectuelle, qui peuvent être très utiles.

Il y a les retraites indicatives, qui apprennent à l'homme à respecter son humanité, en lui proposant des moyens dits de guérison. Le discours, dans ce type de retraite commence toujours implicitement par un "Pour bien faire, il faudrait..." Quand on ne sait absolument pas quoi faire, quand on est paumé - ça arrive, c'est normal et c'est une grâce quand on s'en rend compte - eh bien ! ces retraites peuvent aider la personne qui y a recours. Mais ce qui m'inquiète dans ces retraites indicatives - souvent appelées "de guérison" - c'est qu'elles reposent sur des présupposés psycho-anthropologiques imprécis. On n'y fait pas assez la distinction entre le "psychologique" et le "spirituel".

Deux mots sur cette distinction fondamentale entre psychique et spirituel, distinction qui vous évitera de tomber entre les mains de gourous patentés.

Il y a des techniques psychiques intéressantes (j'aime beaucoup la méthode dite de l'énnéagramme, le lecteur curieux pourra se référer à des posts plus anciens pour comprendre mes raisons)... Il importe de ne pas confondre ces exercices de connaissance de son naturel avec les exercices spirituels. Dans un cas, l'étude porte sur la nature de chacun ; dans l'autre, l'étude porte sur notre destinée (forcément sur-naturelle, parce que dans l'ordre naturel, c'est-à-dire dans le cadre étroit de l'espace temps, c'est un peu bouché). Confondre le psychique et le spirituel, c'est tenter une approche de la totalité d'un être humain, en exerçant une emprise sur lui. Cela me semble extrêmement dangereux. Distinguer le psychique et le spirituel, c'est reconnaître que l'on n'a pas accès à tout l'être humain qui vient vous trouver. Soit on l'aide au plan psychique, en respectant intégralement sa liberté et les choix qui font son destin personnel (un vrai psy sera toujours dans cette réserve). Soit on l'aide au plan spirituel, en lui permettant d'envisager ce destin, tout en laissant de côté et en respectant sa psychologie propre et en se gardant de toute intrusion dans le caractère de la personne. C'est le travail du prêtre : il consiste à "prendre les gens comme ils sont", sans chercher à changer le monde. Selon le mot de saint Paul il faut "se faire tout à tous", ce qui signifie : avoir accepté chacun tel qu'il est pour lui proposer que, dans le Christ, sa vie devienne un destin.

Pour les amateurs de métaphysique, je dirais simplement - ils comprendront - que le psychique renvoie à l'essence et le spirituel à l'existence humaine. Mélanger les deux, dans une même approche, c'est risquer une emprise totale et donc totalitaire sur l'être humain, c'est violer sa liberté. Il y a des détresses humaines qui paraissent justifier cette confusion. Mais rien ne justifie jamais vraiment un totalitarisme quelconque.

Les exercices spirituels de saint Ignace ne font pas dans la psychologie. Plusieurs saisissent ce constat pour en faire un grief. C'est une force. Il faut bien sûr que le prédicateur ne réduise pas le psychique au spirituel (ce serait un autre totalitarisme : faire du religieux à l'état pur). Mais dans la mesure où il sait ménager la psychologie de ses retraitants, il leur offre la perspective spirituelle la plus belle, la plus vraie, la plus complètement chrétienne que je connaisse. Ce qu'il prêche : la vie (pas la poésie), mais la vie dans le chemin, dans l'appel du Christ, à charge à chacun de moduler cet appel selon son naturel et ses dons. "Tout homme qui fait usage de son jugement et de sa raison ne peut balancer à s'offrir généreusement à tous les travaux"... Voilà l'idée, voilà l'épure ! N'est-ce pas magnifique. Je ne connais que le Pari de Pascal pour donner une tel sentiment de l'urgence de notre destinée et pour transformer nos (bonnes) pensées en actions...

lundi 23 janvier 2012

[Vu Sur le Net] Petit à petit l’oiseau fait son nid.

La Vie propose quelques pages dans sa dernière livraison sur les intégristes. Disons le tout net: la couverture est agressive, avec des accroches très trash comme «La secte qui défie le pape» ou «Leur guerre secrète». Pour autant, et comme le dit Ennemond du forum Fecit : «la manière de composer l'article est différente du passé» - il y a notamment «la publication de l'avis assez confiant de Mgr Aillet», un ton assez factuel pour présenter les fruits de la FSSPX. Somme toute : «ça change de l'ordinaire». Et La Vie a tenté, même si elle s'est faite éconduire, de donner la parole aux évêques de la FSSPX.

Jean Mercier, le rédacteur en chef de La Vie, va plus loin sur son blog personnel, en écrivant : que «la levée tonitruante des excommunications … nous a rappelé que ces baptisés faisaient tout de même partie de l'Eglise du Christ». Il ne cache pas les difficultés, elles sont massives. Cependant «alors que s'ouvre la semaine de prière pour l'unité des chrétiens, difficile pour les catholiques de ne pas inclure ces frères fort gênants dans le périmètre de leur intercession».

En gros, La Vie est prête pour la réintégration de la FSSPX. C'est un signe, ce n'est pas le seul.

Justement, La Croix nous informe de ce que Benoit XVI va créer 22 nouveaux cardinaux le 18 février. A son habitude (c’est le 4ème consistoire de son pontificat) il convoque la veille les cardinaux déjà existants pour les consulter sur de grandes questions : «le pape présente les thèmes à discuter» suite à quoi «les cardinaux peuvent prendre la parole sur ces questions». Parmi les sujets du 17 février, a priori : «le retour de la Fraternité Saint-Pie-X dans la communion avec l’Église» et «le cinquantième anniversaire du concile Vatican II». L’article ne nous en dit pas plus, et c’est bien là qu’est la vraie info: la possibilité d’un retour des ‘intégristes’ ne semble même plus émouvoir La Croix…

… qui revient aujourd’hui sur le sujet, avec un article sur la position de Mgr Williamson, selon qui «la simple atmosphère du Vatican séduit les visiteurs et apprivoise leurs volontés». Cette atmosphère serait littéralement fascinante, mais cette fascination vient-elle «du ciel? De l’enfer?» – Dans le doute il faut éviter les contacts avec Rome, sous peine de «contracter la maladie mentale et spirituelle des Romains». Et puis il y a cette phrase choc, qui viendrait conclure la dernière lettre de Mgr Williamson : «Je préfère être un schismatique sédévacantiste qu’un apostat romain».

Voici qui peut réjouir doublement les partisans d’un rapprochement : leurs espoirs sont à la mesure des craintes de Mgr Williamson, son départ probable de la FSSPX la libérerait d’un poids certain, et facilitera la réintégration qui interviendra (j'en suis convaincu) dans les mois qui viennent.

A dire vrai, Nicolas Senèze a lu un peu trop rapidement la lettre de Mgr Williamson. Je cite Nicolas Senèze:
«Je préfère être un schismatique sédévacantiste qu’un apostat romain» : c’est par ces mots que l’évêque intégriste Richard Williamson, membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), termine la dernière livraison de sa lettre d’information hebdomadaire Commentaire Eleison diffusée samedi 21 janvier.
Il manque une dernière phrase: «With the grace of God, neither!». Ce que nous dit Mgr Williamson, c’est «Je préfère être un schismatique sédévacantiste qu’un apostat romain. Et avec la grace de Dieu, ni l’un ni l’autre!»

dimanche 22 janvier 2012

Pourquoi j'aime la monarchie française

Nous avons célébré à Saint-Denis, dans une Basilique pleine, l'anniversaire de la mort du roi Louis XVI. Je célébrais ; l'abbé Laurent prêchait, il a prêché magnifiquement sur la paternité du roi. En coupant la tête de Louis XVI, disait à peu près Renan, la Révolution ne s'est pas rendu compte qu'elle coupait la tête de tous les pères de famille. La monarchie française était l'exercice d'une paternité spirituelle. Le roi-père du peuple était le garant de la continuité et de la prospérité politique du pays. Louis XVI reprend à plusieurs reprises, dans les moments terribles, cette image de la paternité royale.

Alors que je me prépare moi-même à prêcher demain à la Chapelle expiatoire pour la même circonstance,  je crois que j'irai volontiers un peu plus loin : paternité ? Dieu est celui de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom, explique saint Paul. C'est la raison pour laquelle toutes les paternités humaines sont un peu virtuelles - paternité royale comprise. Dans l'ordre naturel, elles viennent de la confiance que l'homme a dans la femme qui lui donne un enfant. Dans l'ordre politique, de la confiance des sujets dans le rex. Certes aujourd'hui, je parle des familles mais aussi de certains cas d'héritages royaux difficiles, un test ADN peut suppléer à cette confiance... Il reste heureusement exceptionnel. Le fait est en tout cas qu'autant la femme ne peut jamais renier son oeuvre, autant donc la maternité a quelque chose de parfait et d'accompli, autant la paternité recèle une dimension virtuelle. Seul Dieu est vraiment et complètement "père". Le roi ? Je préfère dire avec saint Thomas qu'il est vicem populi gerens : il tient la place du peuple. Il est le résultat d'un processus d'identification. Qui t'as fait roi ? entendait Clovis. Il n'y a pas d'autorité humaine qui soit absolue. Même la légitimité monarchique, en ce sens, n'est pas un Absolu. Le roi n'est roi que quand ce processus d'identification est possible.

Notez au passage que saint Thomas ne parle pas du sacre lorsqu'il se pose la question du meilleur régime politique en IaIIae Q105 a1. Il met comme seule condition à la monarchie bien tempérée qu'elle soit "mixée" d'une sorte de démocratie immanente. Le roi représente son peuple. Cette représentation est concrète. C'est une personne qui représente des personnes. Telle est la faiblesse intime du principe monarchique : il est personnaliste. Mais telle est sa force et sa beauté. Son humanité.

La République, d'une certaine façon, est beaucoup moins démocratique que ne le fut la Monarchie française issue du Pacte de Reims. C'est avant tout une idée, "une certaine idée de la France", la représentation de ce que Jean Jacques appelait un "Moi commun". Sont exclus a priori tous ceux qui ne partagent pas cette représentation et ainsi la République n'est pas tant le gouvernement de la majorité des citoyens que de l'unanimité présumée de tous les Républicains, les autres ne valant rien et pouvant être bannis ou décapités le cas échéant. Qu'est-ce qui fait le Républicain ? L'adhésion à l'idéal commun. La République est une idéocratie. Aujourd'hui l'idée européenne doit être imposée au peuple, elle est obligatoire. Et puis l'idée de la Consommation comme mode de vie, l'idée de la permissivité comme priorité et j'allais dire comme impératif collectif font partie du Moi commun de cette conscience collective républicaine - hors de laquelle il n'y a pas de salut.

La Monarchie personnaliste aurait pu être aussi permissive, aussi européiste (et peut-être même plus, le roi suffisant à assurer, symboliquement, l'identité nationale). Mais elle n'aurait jamais fait de la permissivité un impératif catégorique de la bonne conscience collective. Si elle est tombée en 1792, si on a pu impunément couper la tête du roi (encore que ses trois avocats Sèze, Tronchet et Malesherbe aient chacun donné leur nom à une artère dans la Capitale), c'est parce que le pouvoir monarchique était faible. Monarchie = anarchie plus un, répétaient les jeunes du Quartier latin au début du siècle vingtième.

Ce pouvoir monarchique compensait par sa légitimité (familiale et religieuse) ce qu'il perdait en force. Le roi ? C'était une autorité avant d'être un pouvoir. Et c'est cette autorité personnelle qu'il tenait de Dieu dans la cérémonie du sacre, de Dieu et du peuple insiste saint Thomas : Vox populi, vox Dei.

Aujourd'hui il y a de moins en mois de pouvoirs monarchiques. Même les entreprises sont souvent pilotées par des conseils d'administration, qui sont collectifs. Signe des temps. Mais le drame de toutes les gouvernances, c'est le conformisme, c'est-à-dire la conformité obligatoire. Quand on voudra vraiment remettre l'imagination au pouvoir, il faudra rompre en visière avec les gouvernances et revenir au gouvernement d'un homme. Mais pour éviter l'abus de tous les dictateurs, il faudra encore que cet homme s'identifie au peuple, selon la vieille logique monarchique, qui est chrétienne ou christique : "Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis".

vendredi 20 janvier 2012

Jeanne d'Arc et Rabelais

Non, ce n'est pas une provocation. A temps perdu, ne sachant pas très bien quoi faire de ce butin, j'aime lire Rabelais sérieusement. Je tombe tout à l'heure sur ce que l'éditeur appelle la formule même du pantagruelisme : c'est le chapitre 2 du Tiers Livre. Rabelais nous raconte les frasques de Panurge, au Pays des Dipsodes [les assoiffés], qu'il a reçu en apanage. "En moins de 14 jours, il dilapida les revenus certains et incertains de sa châtellenie pour trois ans". "Il dépendit [dépensa] en mille petits banquets et festins joyeux, ouverts à tout venant, surtout à tous bons compagnons". Réaction de Pantagruel : "Averti de l'affaire, il n'en fut en soi aucunement indigné, fâché ni marri. Je vous ai déjà dit et encore redis que c'était le meilleur petit et grand bonhomet qui oncques ceignit épée. Toutes choses prenaient en bonne partie, tout acte interprétait à bien. Jamais ne se tourmentait, jamais ne se scandalisait". Dans la petite édition Larousse que j'ai sous les yeux, on lit en note : "C'est la définition même du pantagruélisme".

Nous savons tous ce qu'est un appétit pantagruélique. Le pantagruélisme est un appétit de vie. Une posture inconditionnellement favorable à la vie. Au fond, note Bruno Pinchard dans Philosophie à outrance (p. 62), Rabelais est l'anti Luther : "Partout où Luther a réformé, Rabelais a pantagruélisé, proposant ainsi une alternative permanente et secrète à l'instauration de la spiritualité tragique du protestantisme". Le pantagruélisme est-il si secret que cela ? Conforme au génie du christianisme et à l'optimisme fondamental qui habite celui qui croit, ce pantagruélisme me semble la réplique gauloise (gauloise dans tous les sens du terme chez Rabelais) de ce qu'en Italie on appelle l'esprit romain : je veux dire, celui qui triomphe avant le Concile de Trente, celui qui subsiste un siècle plus tard dans Le Bernin (le rapt de Proserpine ou Apollon et Daphné à la Villa Borghese ou encore Place Navone, Les quatre fleuves et bien sûr à Sainte Marie de la Victoire Sainte Thérèse).

En écrivant cela, je pense à Oxbridge, fane du Bernin et lecteur occasionnel de ce Blog : serait-il d'accord avec ce christianisme pantagruélique - qu'en disciple de Cajétan j'appellerais volontiers analogique non pas parce que ses énoncés seraient analogiques, mais parce que dans leur invariance dogmatique, il y a une puissance de rassemblement universelle (catholique) qui est l'analogie.

Il apparaît donc clairement que le pantagruélisme est une attitude spirituelle. Rabelais l'indique du reste explicitement dans le passage que je cite : "Aussi eût-il été bien forissu [banni] du déifique manoir de raison [la raison rabelaisienne n'est pas celle des Lumières.Son Manoir est imbu de culture chrétienne], si autrement se fût contristé ou altéré, car tous les biens que le ciel couvre ou que la terre contient, en toutes ses dimensions, hauteur, profondité, longitude et latitude ne sont dignes d'émouvoir nos affections et troubler nos sens et esprit". Pantagruel prend donc tout en bonne part, non pas à cause de la richesse de son naturel qui lui permettrait de passer au-dessus des maux, mais dans une véritable ascèse paradoxale, parce que les biens et les maux qui ont une mesure, les biens et les maux qui participent de notre finitude ne sont rien par rapport au Bien absolu qui nous attend dans "le déifique manoir de la raison".

Le rapprochement avec Jeanne d'Arc, dont la devise, je le rappelle, est Prends tout en gré (dixit Régine Pernoud), me paraît s'imposer.

J'ajouterai d'ailleurs une remarque en ce sens, toujours avec Bruno Pinchard : "Il faut se libérer d'une idée convenue : Rabelais n'est pas un "énaurme" créateur, c'est un compilateur, l'archiviste d'un savoir qui lui préexiste. Un moine copiste en somme, mais un moine épris des savoirs perdus, des landes du savoir et qui, comme ses confrères d'Islande ou d'Irlande, transmet des mondes oubliés qui sous s aplume deviennent des mondes nouveaux" (op. cit. p. 63). Quel est ce savoir perdu ? Un savoir gaulois et chrétien, dont Jeanne, sorti du peuple, est l'un des témois les plus éloquents. Ce n'est pas pour rien que Jean Anouilh a intitulé la pièce qu'il consacre à Jeanne : l'alouette. L'alouette était le vrai symbole de la Gaule chez les Gaulois ; le coq ne l'est devenu qu'en vertu d'un jeu de mot latin sur gallus (coq et Gaulois). Il me semble que la geste de Jeanne, tellement conforme à la légèreté gauloise de l'alouette, Rabelais en a retrouvé une clef dans son "Toutes choses prenait en bonne partie". Il a retrouvé le vieux fond chrétien, instinctif et actif, lumineux et joyeux, qui est celui que Jeanne illustre et qu'elle illustrera jusque sur son bûcher, avec ce cri de vie qu'elle poussa cinq fois du milieu des flammes, d'une voix forte : Jésus ! Jésus ! Jésus ! Jésus ! Jésus !

Vivre avec Jeanne c'est retrouver un gai savoir, non pas celui de "l'ingénieux Sarmate" comme disait Maurras, non pas celui de Nietzsche, mais celui d'une Gaule romanisée et christianisée jusqu'en son tréfonds dès le Second siècle.

Des nouvelles de l'Abbé Berche

La mère de l'abbé Alexandre Berche nous écrit:
Alexandre se joint à moi pour vous souhaiter à tous une année de prospérité et surtout une bonne santé. Très touché de votre soutien et de vos prières, il vous adresse ses sincères remerciements.

Il a subi une intervention le 16 novembre pour ôter les broches, et un scanner un mois après alors qu'il aurait dû être pratiqué avant, cela va sans dire. Fort heureusement, ledit scanner n'ayant rien révélé d'anormal, il ne sera pas nécessaire de l'opérer à nouveau. Etant ainsi soulagé du poids des broches, il ne souffre que s'il est secoué, lors des passages du fauteuil sur les pavés ou les franchissements de trottoir par exemple.

Le kiné de la MAS Saint Jean de Malte lui fait faire du vélo et du stabilo, appareil lui permettant de se tenir debout sans risque de chute. Il le fait marcher environ 30 mètres de temps à autre, dans une sorte de youpala pour adulte, mais il préfére travailler son équilibre avant d'insister sur la marche. Intrigué par le fait qu'Alexandre marchait la même distance à Berck et à Garches, il lui a posé des questions et n'a pas été étonné d'apprendre qu'en réalité, on lui mettait un poids de 2 kg sur la jambe gauche.

Un examen ORL pratiqué à l'hôpital Georges Pompidou par un chef de service spécialisé a écarté la paralysie des cordes vocales que suspectait son orthophoniste de St Jean de Malte. Il suit donc une rééducation phonique, aidé en cela par un appareil auditif qui a été mis en place voici trois semaines et qui, très sophistiqué, nécessite encore une mise au point pour corriger sa surdité de l'oreille droite, en diminuant corrélativement ses acouphènes. La rééducation sera longue mais sa diction devrait s'améliorer.

Il a perdu la mémoire et oublié une grande partie du passé, et non seulement l'année 2009, comme il s'en aperçoit peu à peu. Soyez assurés que vous êtes tous dans ses pensées et qu'il prie pour vous qui lui manquez. Avec mes remerciements, recevez, chers paroissiens, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Rappelons que l'abbé Berche réside à Paris à la Maison Saint Jean de Malte, où l'on peut lui rendre visite.
MAS Saint Jean de Malte
56-60 rue d'Hautpoul, Paris 19e
01 53 19 21 21

mardi 17 janvier 2012

Martin Scorsese, c'est magnifique !

Hugo Cabret ? un film peut en cacher un autre. C'est que Martin Scorsese a plus d’une corde à son arc. Pour ceux qui douteraient encore du talent de ce réalisateur hors norme, allez voir d'urgence, s'il est encore à l'affiche, Hugo Cabret, un film pour enfants qui n’a d’enfantin que le rythme endiablé de la caméra.

Il y a un rapport qui doit faire réfléchir entre le vieux cinéma muet et les productions actuelles dites en Trois D. Lequel ? Dans un cas comme dans l’autre, on se passe des paroles. A l’image la toute puissance sur l’esprit du spectateur ! C’est ce que Martin Scorsese nous montre magnifiquement dans le long générique, muet et rempli d’effets spéciaux, de sa dernière production : Hugo Cabret. Son film est annoncé comme un film pour enfants. Ne vous y fiez pas. Et ne tardez pas à aller le voir, comme j’ai tardé moi-même. Même si il a été extrait d’un roman pour enfants de Brian Selznick, publié en 2007 aux Etat Unis chez un éditeur catholique, Scholastic press , même s’il nous conte l’histoire de deux orphelins Hugo et Isabelle, même s’il prend toutes sortes de licences avec les événements qu’il est censé raconter, ce petit chef d’œuvre est bien autre chose qu’un film pour enfants. C’est aussi un film sur le cinéma, c’est aussi un film sur la destinée humaine, qui renvoie de curieux échos métaphysiques : mais venant des enfants, toutes les questions sont permises, n’est-ce pas ?

Réflexion sur le cinéma, ce film est avant tout un hommage sensible à Georges Méliès, le premier véritable réalisateur de cinéma, dont il nous reste environ 200 courts métrages (sur les quelque 800 qu’il a dû produire). Disciple de Robert Houdin, fasciné d’abord par la prestidigitation, il a placé son oeuvre sous le signe de la farce et des trucages en tout genre. Méliès avait créé le premier studio cinéma à Montreuil, en banlieue parisienne ; et il avait dessiné et construit de somptueux décors. Pour lui, le cinéma était avant tout œuvre d’imagination. Il s’agissait de transformer la vie des hommes en un songe, plein de ravissement, d’étonnement et de rire. Il s’agissait de capturer les rêves qui nous traversent sans s’arrêter. Avec la 3D, on peut dire que le cinéma le plus contemporain revient à cette première vocation, quitte à déserter le statut d’Art majeur qu’il s’était acquis durant la deuxième moitié du XXème siècle. La dictature américaine et mondiale de l’entertainment retrouve par d’autres biais les anticipations du génial Georges Méliès.

Sur le fond, ce film, qui se présente comme une immense course-poursuite à travers le temps, offre une réflexion sur la place de chacun dans l’existence, sur ce que le vieux Platon appelait « l’œuvre propre » qui nous détermine comme un rouage seulement, mais un rouage irremplaçable de l’immense machine de l’univers. Le petit Hugo Cabret attend un message de son père – quelque chose comme un signe de Dieu – pour trouver sa place, lui l’orphelin dans le vaste monde. Il ne sera pas déçu et nous non plus !

 Il faut saluer la performance des deux enfants qui sont les héros de cette fable écrite en l’honneur du cinéma, Asa Butterfield, le jeune garçon absolument étourdissant de naturel dans les circonstances les plus variées et Chloé Moretz, qui fait une parèdre accomplie pour ce jeune prodige. De 7 à 77 ans, courez voir Hugo Cabret : vous ne regretterez pas ce film, qui se révèle vraiment tout public.

vendredi 13 janvier 2012

Réponse à l'abbé Contat sur Vatican II

Cher Alain, je suis au regret de vous décevoir, de vous inquiéter, de vous... agacer, mais je crois que sur le concile Vatican II nous sommes d'accord fondamentalement l'un avec l'autre. Nous nous entendons pour dire que le problème n'est pas de nature théologique. Vous ajoutez que le problème n'est pas magistériel : tout à fait d'accord. C'est bien pour cela que nous pouvons parler des choses avec une totale liberté : le problème est d'origine philosophique. Allez donc empêcher des philosophes de... dialoguer. Depuis Socrate, depuis l'Académie, depuis les péripatéticiens, depuis le Jardin et l'apologie que fait Epicure du Crottin de Chavignol, on ne peut pas ne pas discuter si l'on est philosophe. On discute du Crottin de Chavignol ou bien du tournant anthropologique, mais on discute.

Vous écrivez quant à vous : "Le problème n’est donc pas magistériel ; il est philosophique et théologique, esthétique aussi, comme l’ont bien vu les critiques attentifs de la « contre-culture » post-moderne, depuis Hans Sedlmayr jusqu’à Alain Besançon, et aussi Jean-Louis Harouël. C’est là-dessus que nous devrions diriger notre attention et notre énergie intellectuelle - elles sont limitées, car nous ne sommes pas des anges - , et non pas sur une vaine critique, toujours recommencée et toujours stérile, de Vatican II".

Sur le côté esthétique du pb, je crois que tel évêque que je ne nommerais pas, demandant à ses diocésains d'aller voir Le concept de visage du Christ de Castellucci "comme on va au catéchisme" marque bien que le Post-concile pose des questions esthétiques hurlantes que l'on ne se serait jamais posées auparavant. Imaginer le visage du Christ dans la m... (des grenades lancées par des enfants conduits par l'auteur du sketch), il faut avouer qu'avant le Concile on n'y aurait jamais vu qu'une forme de sacrilège. Qu'on puisse considérer cela comme du catéchisme... C'est sans doute un effet du tournant anthropologique.

Mais trêve de plaisanterie. Cher Alain, vous me demandez de cesser "une vaine critique, toujours recommencée et toujours stérile de Vatican II". Et sur ce point aussi, je vous donne raison. Le drame de la Minorité conciliaire c'est qu'elle est au mieux une force de blocage, jamais une force de proposition. Il y en a (dans tous les camps d'ailleurs, en particulier dans le camp dit "progressiste") qui s'obstinent à refaire le match. Dernier en date le Père Joseph Moingt dans un bouquin qui de mémoire doit s'appeler Croire quand même (Mon Dieu ! Quand même). Il faut arrêter de refaire le match et il faut remettre Vatican II dans son contexte idéologique, celui des 30 Glorieuses.

Lorsque j'énumère quatre points (le symposium de Paris en avait compté huit),  je ne dis pas que ces quatre points sont présents à toutes les lignes du Concile ! Grand Dieu : non ! Je prétends seulement que l'époque où a été écrit ce long cours de catéchisme de persévérance marque la rédaction de textes conciliaires qui théologiquement sont parfaitement orthodoxes pris dans leur ensemble de quatre longs stigmates qu'il faut découvrir au fur et à mesure dans le texte. J'ai fait court. On peut améliorer la rédaction, préciser le trait, nuancer les contours, référencer surtout et je vais m'y atteler dans les jours qui viennent. Un exemple immédiat ? Jean-Paul Mestrallet me demande de ne pas parler de "progressisme" à propos du Concile mais d'évolutionnisme optimiste et volontariste". Je le remercie car je crois qu'il détermine très bien ce que j'ai appelé "progressisme" un peu vite en pensant à Emmanuel Mounier et à Teilhard de Chardin. Cet atmosphère d'évolutionnisme optimiste et volontariste est typiquement celle de Gaudium et spes, je le montrerai. Mais on peut aussi rattacher à cet état d'esprit le n°8 de Dei Verbum sur la tradition qui évolue sans cesse ou bien encore l'ensemble de la Constitution Sacrosanctum concilium quand il est question de la nécessaire "adaptation" du rite au public nouveau qui se presse désormais dans les églises. J'y reviens très vite.

A côté de ces quatre points, dans la conférence de mardi dernier, j'ai cité trois points qui n'ont pas été suffisamment développés avant le Concile et qui sont trois pistes à explorer très vite. Le Postconcile s'y est essayé. Je vous les donne ici en vrac pour que vous compreniez que je ne suis pas un esprit systématique, qui aurait une fois pour toutes pris position "anti". Il s'agit de la question de la place de l'homme dans l'univers et de l'anthropologie chrétienne, du rôle des laïcs dans l'Eglise (seule la lettre de Summorum pontificum est fidèle à l'intuition laïque du Concile, c'est drôle mais c'est ainsi), enfin la question de la catholicité (de l'universalité) concrète de l'Eglise, à laquelle sont ordonnés tous les hommes selon diverses modalités. Ca aussi c'est du boulot, et ça c'est de la théologie pour le coup.

Quant aux quatre points que j'ai énumérés (voir Vatican II, réponses), on les trouve aussi avant et en dehors du Concile. L'exemple que vous donnez Alain sur la diffusion des thèses de Karl Rahner dans l'Eglise de Pie XII (plus encore peut-être que dans l'Eglise de Benoît XVI) est très significatif. C'est de cette imprégnation humanitariste qu'il nous faut librement parler. Pas pour critiquer systématiquement. Pas pour s'opposer aux personnes. Mais pour sortir du trou. C'est-à-dire pour proposer d'autres interprétations du christianisme plus vivantes c'est-à-dire plus fidèles à la lettre de la Révélation telle qu'elle nous est donnée dans l'Ecriture et telle qu'elle nous est enseignée dans la Tradition. L'Eglise se développera de nouveau dans nos pays quand elle aura retrouvé son code génétique.

Sur le désir naturel de Dieu, sur l'anthropologie chrétienne, sur la destinée humaine, sur l'universalité de l'Eglise à l'heure de la mondialisation, nous avons des choses à dire. Il ne s'agit pas de répéter de façon stérile des théologiens qui ont fait leur temps (eh oui...). Il ne s'agit pas de s'enfermer dans un psittacisme critique sans âme et sans enjeux. Il faut que la tradition catholique (qui est la force culturelle la plus riche du monde) redevienne une force de proposition. Pas seulement ce que j'appelais il y a quinze ans une instance critique, mais une lampe plongée dans la nuit de notre avenir chrétien.

Je compte bien revenir sur chacun des quatre points que j'ai énumérés dans les prochains jours.

jeudi 12 janvier 2012

Mgr Williamson contre les bisounours ?

Les bisounours sont des peluches d’origine américaine, douces et gentilles, dont on a tiré des dessins animés. Par extension, nous dit Wikipedia, un bisounours est une personne «aux idées exagérément naïves ou candides». Le bisounours se démarque cependant de l’optimiste excessif. Ce n’est pas son raisonnement qui lui fait dire que ça ne peut pas être aussi grave, ou que ça va forcément s’arranger! ce sont ses sentiments. Autrement dit: telle chose ne peut être vraie, la raison en est qu’il serait trop horrible qu’elle le soit.

Dans sa lettre hebdomadaire du 7 janvier dernier, et sans utiliser le terme, c’est bien de bisounoursisme que Mgr Williamson accuse «certains prêtres dans la Fraternité de St. Pie X». Voici leur vision, telle que présentée par l’évêque britannique:
Il est vrai que Mgr. Lefebvre avait des mots très durs au sujet de Vatican II et des «anti christs» à l’intérieur du Vatican, mais au cours des 20 années qui nous séparent de sa mort, les choses ont changé en mieux. Maintenant nous avons un Pape, pensent-ils, qui est de cœur un Traditionaliste, ainsi que l’a prouvé sa libération de la Messe Tridentine et sa « rémission » des « excommunications » de 1988 des quatre évêques de la FSSPX. De sorte qu’il suffirait sûrement d’un tout petit peu de flexibilité de chaque côté pour que Rome et la FSSPX arrivent à une certaine entente qui permettrait à Rome de rendre à la FSSPX cette respectabilité dont elle n’aurait jamais dû être privée, et à la FSSPX de faire son entrée dans Rome en procession de triomphe. Réunis, les deux partiraient ensemble à la reconquête du monde entier pour le Christ. Les Discussions Doctrinales de 2009-2011 ont pu mettre en lumière une divergence doctrinale radicale, mais cela ne fait que prouver qu’il faut que l’entente soit purement pratique.
Mgr Williamson continue sa lettre par les prédictions apocalyptiques dont il est coutumier («…le Seigneur Dieu des Armées garde en réserve une surprise…»), et qui peuvent servir à justifier le titre («Explosion prochaine») pour qui préfère ne pas croire que c’est de la FSSPX qu’il parle.

A mon tour de faire une double prédiction: d’une part, que la réintégration de la FSSPX interviendra entre avril et juillet 2012. D’autre part, que la FSSPX  n’«explosera» pas: Depuis plus de 10 ans qu’elle est engagée dans l’actuel processus de rapprochement, les prêtres suivent.

Second colloque "Avec Jeanne"

Colloque “Avec Jeanne” à Paris • Jeanne d'Arc au féminin • Samedi 14 janvier 2012 de 15H00 à 18H30 • Jean-Pierre Lussan : Charles VII entre Yolande d'Aragon, Jeanne d'Arc et Agnès Sorel, un monarque gynocrate. • Jeanne Smits : Jeanne d'Arc, une féministe en pantalon? • Abbé Guillaume de Tanoüarn ; Jeanne d'Arc et Thérèse de l'Enfant-Jésus, quand la mystique se transmet par les femmes. • Eric Letty : Jeanne et Marianne, histoire au féminin du nationalisme français. • Stands, buvette et dédicaces tout au long de l'après-midi. Espace Bernanos, 4 rue du Havre, 75009 Paris (M° Havre-Caumartin ou Saint-Lazare). • Entrée: 6 euros (3 euros pour les adhérents) • Association AVEC JEANNE, 23 avenue Rapp, 75007 Paris

Vatican II : Réponses

Dans le post précédent, je tenais à entretenir un certain suspense, ne serait-ce que pour permettre au maximum de personnes d'assister à la conférence du 10 janvier. Maintenant qu'elle a eu lieu, certains d'entre vous me demandent de mettre sur Internet les quatre points sur lesquels j'ai conclu mon intervention sur "les vrais dangers de Vatican II". En réalité, j'ai repris les travaux du symposium de Paris en 2002, en établissant très clairement (peut-être plus clairement que cela n'avait été fait à l'époque comme me le fait remarquer l'une de vos interventions) que le problème n'est pas théologique mais philosophique. Tous ceux qui ont voulu prouver l'hérésie du Concile (tout récemment encore) sont tombés sur un bec.

Je propose donc quatre points, sous réserve, si les liseurs s'enflamment, de revenir sur chacun d'eux.

Premier point : le progressisme de Vatican II a des conséquences évidentes sur la constitution concernant la liturgie. Il s'étale de manière particulièrement complaisante au début de Gaudium et spes.

Deuxième point : de manière constante (et au fond très rationaliste) Vatican II considère les réalités sacrées comme étant "au service de l'homme" et non l'homme au service de l'Eglise et de Dieu. Interversion de la fin et des moyens.

Troisième point : la conscience humaine est tenue pour le criterium de vérité  Ce seul point suffirait, appliqué avec un peu de suite dans les idées, à détruire le christianisme.

Quatrième point : le salut n'est plus un enjeu parce qu'il est assuré pour tous. Le christianisme est avant tout une sagesse (voir le discours du cardinal Ravasi).

Tout cela définit cet esprit du Concile qui est nocif à l'Eglise.

A demain !

lundi 9 janvier 2012

Vatican II : Questions

Certains ne manqueront pas d’opposer à mon projet de conférence sur les vrais dangers de Vatican II, la note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi datée du 6 janvier, qui recommande, comme parfaitement orthodoxe le même concile Vatican II. Je voudrais répondre par anticipation que je n'ai jamais été de ceux qui doutent ou ont douté de l'orthodoxie de ce Concile. Le problème n'est pas là, mais dans la religion nouvelle initiée par ces textes d'allure modérée et parfaitement orthodoxe. Le problème, si vous voulez, n'est pas théologique d'abord, mais philosophique.

La théologie en tant qu’elle est chrétienne est gouvernée par l’épistémologie de la vérité contraire, comme l’a expliqué Pascal une fois pour toutes. Le paradoxe originel est le Christ, qui est à la fois Dieu et homme, fini et Infini, Tout puissant et infiniment fragile. Du moment que demeure « le nœud » (Pascal) qui lie les vérités contraires, on peut imaginer des théologies orthodoxes qui insiste davantage sur l’un ou l’autre des contraires. Exemple ? L’humanisme chrétien exalte à bon droit la dignité de l’homme, mais cette exaltation ne peut jamais aller jusqu’au point où l’on oublierait le péché originel et ce qu’il signifie de foncière indignité pour les fils d’Adam. L’hérésie n’est pas dans l’exaltation d’un des deux termes (dignité ou indignité de l’homme) mais dans le fait qu’en exaltant un aspect (la dignité de l’homme par exemple) on oublierait totalement l’autre (son naturel pécheur).

Avec la théologie, du moment qu’elle est romaine, on peut faire fonctionner l’herméneutique. Qu’est-ce qui y résiste ? Des principes philosophiques antérieurs à l’élaboration théologique et qui la conditionnent. Ce sont eux qu’il faut identifier.

Vatican II est providentiellement voulu par Dieu pour son Eglise, il ouvre une ère nouvelle de son histoire et même ceux qui le critiquent vivent de cette nouveauté, j'expliquerai pourquoi, et pourquoi en ce sens, il peut être dit notre boussole pour reprendre une expression de Jean-Paul II. Mais il me semble qu'il y a, dans sa conception même de la religion, c'est-à-dire de la relation entre l'homme et Dieu, une sorte de virus incapacitant. Je suis personnellement un produit de Vatican II. Durant mon enfance et mon adolescence, j'ai été formé par des gens qui croyaient en ce Concile. Je me refuse à penser que mes maîtres, à Passy Buzenval (où par ailleurs vieillissait Jean Guitton) avaient déformé ce Concile. Ils l'appliquaient loyalement et sans fantaisie. Qu'est-ce qui a fait que, rencontrant par hasard la Tradition catholique, par l'intermédiaire d'un élève, alors même que je connaissais des liturgies grégoriennes, j'ai eu l'impression de découvrir un autre monde, où la Parole de Dieu gardait toute sa puissance ?

Je tâcherai d'apporter une réponse précise mardi prochain à 20 H 15 au Centre Saint-Paul.

Question purement personnelle direz-vous, et réponse itou. Je ne crois pas. Vous pourrez juger de la parfaite objectivité textuelle de ma réponse. Et puis... d'autres que moi ont fait cette expérience.

La note de la Congrégation pour la Doctrine de la foi nous rappelle que Vatican II appartient au magistère authentique de l’Eglise. Le cardinal Levada nous offre un certificat de garantie.  Mais pourquoi diable devrions-nous nous précipiter sur le certificat de garantie du produit, sans même prendre la peine de le goûter ? Non ! Il ne faut pas se contenter du certificat. Il importe d'étudier ce Concile qui est fondateur de notre histoire chrétienne que nous le voulions ou non. 2012, année de la lucidité... Ce n'est pas vrai seulement de l'éclatement des bulles spéculatives. Ou plutôt, c'est vrai dans tous les sens du terme spéculatif : plus de bulle ! Benoît XVI nous a ouvert la voie de l'herméneutique. Il nous a demandé d'interpréter. Le cardinal Ricard avait magnifiquement repris cet ordre dans le discours qu'il fit à la Conférence épiscopale française avant de quitter sa fonction de président. La foi (et l'année de la foi) ne nous dispensent pas de réfléchir mais nous commandent de le faire.

Si je propose de réfléchir sur les dangers de Vatican II, à l'heure de l'herméneutique, c'est pour que nous puissions utiliser tout ce que l'Esprit saint a voulu nous dire à travers ce Concile qui a changé le visage de l'Eglise.
 
Je ne suis personnellement pas de ceux qui pensent (avec l’abbé Barthe, par exemple, je le salue amicalement) que la théologie romaine des années 50 avait tout compris et qu’aujourd’hui mons. Gherardini va nous sortir du pétrin. Le même Gherardini nous vante comme une extraordinaire nouveauté et une découverte de sa part la distinction que depuis 50 ans, Madiran fait – avec raison, mais sans bâtir aucune théorie là dessus - entre concile pastoral et concile doctrinal. Cette distinction a permis aux chrétiens du rang d’attendre. Elle ne suffit pas pour interpréter.

Car aujourd’hui c’est bien d’une interprétation dont on a besoin. Il ne sert à rien d’annuler Vatican II, de « l’oublier » comme je l’écrivais en 2003, ou comme je l’ai entendu ici ou là de « le mettre à la poubelle ». Ceux qui parlent ainsi sont dans le déni, pas dans la réflexion. Quant à moi, au nom de l’empirisme organisateur et de la spiritualité magnifiquement jésuite du Père de Caussade, je considère que les événements sont les grands instituteurs de notre vie spirituelle, « les ambassadeurs de la grâce divine » dit joliment Caussade. Vatican II est un événement, à travers lequel Dieu nous parle. Il ne suffit pas de remettre en selle ceux qui ont perdu face à la déferlante conciliaire pour que l’Eglise retrouve le chemin.

Mais, en un autre sens, il faut aussi s’instruire des « vrais dangers » du Concile, des erreurs philosophiques (ou « religieuses ») qui ont mené la Barque de Pierre à « faire eau de toutes part » (Benoît XVI dixit) : que l’Eglise ne les commettent plus jamais ! Elles lui ont coûté trop de désertion, trop de larmes !

dimanche 8 janvier 2012

[Conf'] 1962-2012 : Les cinquante ans du Concile - Et si on disait enfin les vrais dangers de Vatican II - Abbé Guillaume de Tanouarn

Mardi 10 janvier - 20H30 - Conférence au centre St Paul, par G. de Tanoüarn - P.A.F : 5 €  - 2 € pour les étudiants et petits revenus - Un verre de l'amitié prolonge la conférence.

L’abbé Guillaume de Tanoüarn a publié en 2003 un petit livre, Vatican II et l’Evangile, dont le but n’était pas d’ajouter une analyse théologique à beaucoup d’autres, mais de cerner le virus caché dans les textes, souvent il faut le dire très modérés d’aspect, qui constituaient cette nouvelle somme à l’usage du XXème siècle. Benoît XVI disait « Vatican II ouvre des pistes… » Cette modestie du pape, l’abbé de Tanoüarn la prend comme un ordre dans une analyse à bien des égards inédite et en même temps parfaitement accessible aux chrétiens de « la base ». Au cours de cette année 2012, on pourra affiner et raffiner l’approche. Mais il importe pour commencer de souligner ce que l’Eglise ne peut pas supporter, ce qui stérilise sa prédication, ce qui obère son avenir. Ce qui nous dé-christianise tous dans ce Concile. Audacieux? Nécessaire! Et le débat même contradictoire est bienvenu au cours de cette soirée.

samedi 7 janvier 2012

500 personnes à Orléans avec Jeanne [+vidéo]

Pour la vidéo: se reporter à la suite de ce message

"Jeanne d'Arc je n'y ai jamais rien compris" dites-vous Julien. Eh bien ! Je pense que les Parisiens et les Orléanais que je salue et qui avaient fait le déplacement dans le froid glacial de la cathédrale Sainte-Croix ce matin, ces gens qui ont entendu le recteur de la cathédrale, le Père Claude Girault, évoquer avec feu la plus longue cathédrale de France ouverte pour l'épiphanie aux fêtes johanniques d'Orléans, ces gens qui ont écouté Yves Avril évoquer avec beaucoup de pudeur et de savoir la fabuleuse espérance qui est commune à Jeanne d'Arc et à Charles Péguy, ceux qui ont eu le temps de visiter la salle consacrée tout entière à notre héroïne au Musée historique d'Orléans, ceux là ne peuvent pas dire que Jeanne, ils ne la comprennent pas. Mais une chose est vraie Julien, dans ce que vous dites : Jeanne ne se laisse pas arraisonner par des réflexions théoriques, il faut "rêver avec Jeanne" selon le programme de cette journée bien remplie, il faut vivre à ses côtés, la suivre du regard, le coeur battant, dans ses chevauchées, avoir peur pour elle, être scandalisé ulcéré avec elle et pour elle si on veut tenter de la comprendre. Il ne s'agit pas de se représenter Jeanne, il faut vivre avec elle, sentir son rythme, le rythme qu'imprime sa foi si pure à toute son existence. Jeanne d'Arc ? Ce n'est pas un concept, c'est un exercice spirituel.

Il me semble que les cinq cents personnes que nous étions sous les voûtes de Sainte-Croix d'Orléans, nous avons loyalement essayé de faire cet exercice spirituel. Des évocations de Jeanne que nous avons entendues, nous sommes sortis plus ardents, plus fermes, plus conscient du réalisme de la foi. Jeanne d'Arc ne dit pas au gentil Dauphin : "nous allons prier pour remporter la victoire, Dieu veuille que nous soyons vainqueurs", dans le style inimitable que vous reconnaissez entre mille comme celui de la terrible "Prière universelle". Non, Jeanne d'Arc n'est pas venue nous inviter à une prière universelle. Elle dit au futur Charles VII : "Gentil Dauphin, je vous dis que Dieu a pitié de vous, de votre royaume, de votre peuple". Ca y est. C'est maintenant. Pas demain.

Qui dira, dans chacune de nos vie, ce présent de la foi, toujours à notre disposition et comme à portée de main ? "Si tu veux..." dit le Christ au Jeune homme riche de l'Evangile.

La Liturgie, sobrement célébrée par l'abbé Ribeton selon l'extraordinaire rite qui nous est habituel, était tout entière dans cette autoréalisation du Royaume de Dieu sur la terre. Et les chants du Choeur Fra Angelico nous ont transporté dans cet autre monde qui n'est pas un au-delà à venir, mais comme l'envers du décor qui nous fascine, la Réalité qui nous attend si nous savons la désirer. J'ai retrouvé avec joie la Messe des anges harmonisée par Gaston Roussel, cette puissance d'une musique si tranquillement si fermement croyante. Confidence : je l'avais choisie pour ma première messe voici... 23 ans. Et c'était déjà le Choeur Fra Angelico qui l'interprétait. Il y a 23 ans : une paille ! Merci aux choristes qui avaient fait le déplacement et aux deux chefs du choeur parce qu'ils ont compris et deviné l'importance spirituelle de cette journée, en acceptant immédiatement d'y participer. Merci aussi à tous ceux qui ont organisé cet hommage à la Pucelle d'Orléans, et qui en ont fait, pour chacun des présents, une petite tranche de vie, vécue "avec Jeanne".

Sainte Jeanne et l’Epiphanie - Sermon à la cathédrale d'Orléans

La date de naissance de Jeanne d’Arc est traditionnellement placée au 6 janvier 1412, il y a juste six siècles. Ajoutons que Péguy, le plus grand héraut de Jeanne à travers les temps est né le 7 janvier 1873, à Orléans. On peut voir sa maison natale rue de Bourgogne à quelques centaines de mètres de cette cathédrale. Y a-t-il un esprit du calendrier ? Je trouve que la coïncidence est belle et, en ce 7 janvier 2012, nous en héritons. Tout à l’heure Yves Avril nous parlera de Jeanne, de Péguy et de leur espérance commune.

Quelle est cette espérance ? On a trop tendance à s’imaginer l’espérance comme une vertu passive, simple capacité à attendre ce que la Providence nous aura ménagé. Le paradoxe de Jeanne d’Arc, c’est qu’elle est à la fois le signe historique de cette attente et sans doute le personnage historique qui aura le plus détesté attendre. Toute sa carrière, ses hauts faits, ses faits d’arme elle les doit à son refus du statu quo, à son dynamisme, à son élan.  Devant Troyes, par exemple, la ville où a été signé il n’y a pas vingt ans le honteux traité, son gentil Dauphin tergiverse. Elle fait irruption dans son conseil pour lui signifier qu’il faut attaquer. Et elle-même n’attend pas son accord pour dire à ses hommes : « aux fagots ! Aux fagots ».  La ville sera prise dans cet élan.

Mais d’où vient cet élan ? De ses voix, de l’assurance qu’elle en a reçu. « Va, Va, fille Dé, Dieu t’aidera ». Nous ne savons pas quel fut le colloque de Jeanne avec ses voix. Mais dans ce qu’elle en dit à ses juges, on comprend que très souvent, loin de lui imposer telle ou telle forme d’avenir, ces voix, infiniment respectueuses du tempérament originel de Jeanne, ne lui annoncent rien de façon précise. Il n’y a que dans certaines circonstances bien particulières qu’on a l’impression d’une prescience véritablement divine. Ainsi, avant de monter sur Orléans, l’affaire de son épée dont il est question dans le procès à charge. Nous n’avons aucune raison de douter des circonstances qui sont décrites par les ennemis de Jeanne, qui voient dans ce symbole un sortilège. En passant près de Sainte Catherine de Fierbois, elle envoie chercher cette épée, d’une manière pour le moins originale, inspirée,  en demandant de creuser derrière le chœur de l’église. Ce qui fut fait. On découvrit l’épée à quelque profondeur. Et on la lui rapporta immédiatement : c’était une belle épée qui n’avait qu’à peine servi. Pourquoi cette épée ? Pourquoi là ? A Sainte Catherine de Fierbois, Charles Martel passait pour avoir offert l’épée avec laquelle il avait fait reculer les Maures. C’est cette épée que Jeanne, mue par une étrange prescience a envoyé chercher. Avec cette épée, elle va combattre, sans jamais tuer, elle va donner des grands coups du plat de cette épée, pour disperser l’adversaire. Le fait est symbolique de toute sa mission, mais, cela dit, cette mission elle la remplit sans autre assistance apparente. Elle n’est absolument pas invulnérable. Ce n’est pas superwoman. A Orléans, elle sera blessée, comme plus tard devant Paris, Porte Saint Honoré.

Ainsi en est-il aussi de la prison, qu’elle craint tant. Ses voix l’ont prévenue qu’elle serait prise. Cela ne diminue pas son enthousiasme ni sa vaillance. Jusqu’au bout elle prendra tous les risques, toujours devant quand il s’agit d’attaquer, elle est la première à poser l’échelle contre le mur de la redoute qu’elle a décidée d’emporter. Et quand il faut défendre, couvrir, elle est toujours la dernière, dans le plus pur esprit de la chevalerie, comme ce »la est raconté dans la Chanson de Roland. C’est ainsi d’ailleurs qu’elle sera prise devant Compiègne, par la trahison de Guillaume de Flavy, qui fait baisser la herse avant qu’elle ait pu rejoindre la ville, alors que ses hommes, eux, ont eu le temps de rentrer à l’intérieur de Compiègne.

Ce qu’elle sait – oh ! Ce n’est pas compliqué ! elle le dit roidement à ses juges - c’est qu’elle doit, toujours et partout « s’en remettre .à Notre Seigneur ». C’est en lui et c’est pour lui qu’elle agit. Elle n’a pas d’autre garant, pas d’autre garantie. Jusqu’au dernier moment de son procès, elle croit à une possible délivrance : « Je m’en attends à Notre Seigneur ». Comme le dira Charles Péguy, admiratif, « la plupart du temps, hormis dans telle circonstance marquée par Dieu, elle mène un combat, elle poursuit une mission surnaturelle avec des moyens purement naturels ».

Sa vie de soldat est une vie ordinaire. Dans un premier temps, son dauphin aux abois lui confiera les derniers moyens dont il dispose pour aller « délivrer Orléans ». Ensuite, il ne lui donnera rien. Elle groupe autour d’elle quelques mercenaires piémontais et elle tentera, avec des fortunes diverses, des coups de force ici et là, toujours attaquant.

Ce qui est admirable au fond chez Jeanne, c’est que sa science de prophétesse, elle va toujours et immédiatement se transformer en action. Et cela nous ramène à l’Epiphanie que nous célébrons.

Les Mages, disciples de Zoroastre, savants personnages venus d’Iran, ont eux aussi cette science qui se tourne en action. Le refrain de cette messe, dans le propre grégorien, c’est leur parole à Hérode : Vidimus et venimus. Nous avons vu et nous sommes venus. Nous avons vu son étoile en Orient et nous ne nous sommes pas contentés de voir et de chercher tous les renseignements de loin sur ce phénomène astrologique non répertorié. Nous savions qu’il devait se passer quelque chose en Palestine qu’un roi devait venir qu’un enfant du miracle devait naître. Les prophètes l’avaient annoncé à tous. Nous ne savions pas qui il était. Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. Eh bien ! Nous sommes venus pour l’apprendre.

Jeanne d’Arc est de la race spirituelle des mages. Elle n’est pas comme toutes ces prophétesses et toutes ces devineresses – cette Catherine de La Rochelle par exemple - qui se contentent d’annoncer bonnes ou mauvaises nouvelles sur l’air horripilant d’un « Je vous l’avais bien dit ». Elle aussi, elle est venue. Elle est venue sur les champs de bataille. En quelques semaines, entre Orléans et Patay, elle a changé le visage d’une guerre déjà presque centenaire. Son message est une action. Sa science est une action. On pourrait dire d’elle ou plutôt lui faire dire : « J’ai vu, je suis venu, j’ai vaincu ». C’est en quoi elle a trouvé grâce devant Dieu - par son action : « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le Royaume de Dieu, mais ceux qui font la volonté du Père ».

Face aux Mages, il y en a un autre dont la science se tourne en action, mais celui-là il n’a pas la pureté de cœur des astronomes de Chaldée. Il ne vient pas pour s’adorer, pour s’humilier, pour s’anéantir. Il ne supporte pas cette perspective. Son action est pathologiquement liée à son ego. Je veux parler de ce petit despote oriental qui a nom Hérode. A l’heure où commence notre histoire, sa réputation n’est plus à faire.. Il a tué quelques uns de ses propres enfants pour leur ôter l’envie de lui succéder. Il entend parler de « ce roi des Juifs qui vient de naître ». Il ne lui en faut pas davantage pour mettre en route la machine à tuer, qui va aboutir à l’élimination de tous les enfants de Bethléem. Lui aussi, il a entendu de la bouche des sages d’Israël a lecture du Prophète Michée : Et toi Bethléem, terre de Judas, tu n’es pas la moindre parmi les principautés de Judas car de toi va naître un fils qui sera le berger d’Israël mon fils ».

Jeanne aussi a eu son Hérode. Il s’appelait Cauchon, Pierre Cauchon. Passionné par le pouvoir, cet ancien chancelier de la Sorbonne, devenu évêque de Beauvais, avait de lui-même revendiqué l’honneur de juger et de condamner Jeanne. Elle ne s’y est pas trompé et le marqua pour les siècles des siècles de cette terrible sentence : « Evêque, c’est par toi que je meurs ». Qu’a fait Cauchon ? Il a  contribué à maquiller un procès politique en procès religieux. Sur le plan religieux,  il avait déclaré Jeanne hérétique, relapse, à brûler. Mais il était tellement peu convaincu de sa culpabilité réelle, que de guerre lasse, à la fin des fins, alors que sa condamnation est prononcée, il l’autorise à se confesser et à communier. Etrange condescendance envers une « hérétique ». Etrange hommage du vice à la vertu ! Pourquoi tant de cynisme chez cet évêque ? Il savait bien que son procès religieux ce « beau procès » qu’il avait appelé de ses vœux ne tenait pas la route. Mais il lui importait de voler au secours de la victoire anglaise. Le petit roi Henri VI devait devenir le roi de France. C’était écrit. Le sort des armes en avait décidé ainsi. Cauchon représente ce Pouvoir intellectuel que stigmatise Péguy au XXème siècle, toujours du côté du manche. Pour lui, la justice ne pèse rien. Il la reconnaît comme malgré lui en autorisant Jeanne à communier. Mais cette justice il ne veut pas la servir. C’est lui-même, c’est sa carrière, qu’il sert. Il devra d’ailleurs s’exiler, il ira poursuivre cette carrière en Angleterre lorsque les mêmes armes dont il avait passionnément suivi le premier verdict, auront donné tort finalement à la cause qu’il avait embrassé.

Face à tous les Cauchons, face à tous les Hérode, Jeanne représente la résistance spirituelle. Pas politique. Pas nationaliste d’abord. Non : spirituelle. Dans les grandes crises, dans la crise sociale sans précédent que traversait un Royaume livré aux écorcheurs et aux grandes compagnies, c’est le spirituel qui décide de l’issue bonne ou mauvaise de la conjoncture. « Tous ceux qui guerroient au sainct Royaume de France, guerroient contre le Roi Jésus » écrit-elle au Duc de Bourgogne le 17 juillet 1429. C’est cette certitude qui l’anime, cette certitude spirituelle qu’elle fera triompher. Elle est comme le jeune David dans la Bible, décochant une pierre contre le géant Goliath et obtenant la victoire, parce qu’il n’en a pas douté.

Il faut que nous ayons aujourd’hui la foi de David et la foi de Jeanne, la foi des mages qui sont venus de loin. Il faut qu’au lieu de douter de la victoire de la sainte Eglise, dans un monde matérialisé, nous sachions l’anticiper contre toutes les apparences, qui sont trompeuses. Au lieu de douter de notre foi, il faut que nous soyons les hérauts tranquilles de la contestation chrétienne. Au lieu de collaborer avec le monde, avec les Hérodes, avec les Cauchons de ce monde, parce qu’au plus intime de nous mêmes nous serions acquis à leur victoire, il faut que nous nous laissions gagner par l’enthousiasme de Jeanne et que nous disions, comme elle l’a dit à Charles VII, non pas comme un  voeux, non pas comme un souhait, mais comme une réalité : Dominus nobiscum. Dieu est avec nous. « Dieu a eu pitié de vous, de votre Royaume et de votre peuple » comme dit Jeanne à Charles VII.

Il faut qu’avec Jeanne nous soyons capables de cette prodigieuse anticipation de la victoire que seule autorise une foi pure. Un Péguy, dans son engagement par la plume, dans son engagement au combat, vivait de cette espérance. C’est ici, à Orléans, la ville de Jeanne, que cette espérance l’avait définitivement conquis. Laissons nous conquérir à notre tour par l’espérance de Jeanne !

mercredi 4 janvier 2012

Jean-Jacques encore une fois

Julien prend ici même la défense de Jean-Jacques Rousseau. Il a raison sur un point : la langue. Elle s'est délivrée du latin, ce qui n'est pas vrai de la langue de Bossuet autre très grand styliste. Elle est admirable de simplicité et de puissance. Lorsque j'enseignais le Contrat social (à l'IUSPX), je montrai aux étudiants comment Rousseau est capable de réunir, en quelques mots, des sens divergeants, des intentions distinctes,des perspectives qu'il voudrait manifestement complémentaires et qui sont opposées.

Plus je lis Pascal, plus je comprends Rousseau. Ne serait-ce que parce que l'on retrouve, chez l'un et chez l'autre cette puissance de significations des sens divergents de l'être. Mais chez Pascal, c'est la théologie qui unit ce qu'il appelle "les vérités contraires", dans une transcendance inconnaissable. Chez Rousseau, c'est la politique et la pédagogie qui sont censées faire ce travail : la démo-cratie selon Rousseau est forcément autoritaire. Cela donnera naissance à ce que nous appelons non sans fierté la République, régime dans lequel l'unanimité présumée des citoyens et celui qui sait l'endosser (De Gaulle, Mitterrand) l'emportera toujours sur les partis quels qu'ils soient. La République est une et indivisible. Cela vous fait froid dans le dos ? Moi aussi. Lisez les chapitres 6 et 7 du premier livre du Contrat social. Je ne résiste pas à vous en copier un passage sur l'intention fondamentale de Rousseau : "Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution". Voyez les vérités contraires de l'autorité absolue (indivisible) et de la liberté absolue (personnelle) - de la sociabilité intégrale et de l'individualisme triomphant... Rousseau a trouvé la solution pour les faire tenir ensemble : c'est le Contrat social, substitut laïc de Dieu, qui seul pouvait être invoqué par Pascal pour faire tenir ensemble les vérités contraires. Je parle évidemment spécifiquement ici du Dieu des chrétiens qui s'est fait Dieu et homme à a fois, dans un "paradoxe" (le mot est d'abord dans Pascal) qui comprend toutes les vérités contraires du fini et de l'Infini.

Face à Rousseau, les interprètes ont trois solutions ; je n'admets aucune des trois.

Soit ils séparent ces vérités contraires, en insistant sur le côté profondément traditionnel de la politique de Rousseau (dont le modèle incontesté est la République romaine) : j'avais un ami à l'Action Française (haut fonctionnaire aujourd'hui) qui ressentais profondément la beauté de cette sociabilité vertueuse à laquelle Jean-Jacques nous invite ; un moment il ne voyait plus que ça. Rousseau traditionaliste ? C'est moins bête que cela n'en a l'air. Voyez ses essais de constitution, ses modèles corse ou polonais. Il est sociétal en diable, totalisant comme le fut Aristote. L'individu isolé n'a d'ailleurs aucune dignité. C'est à peine s'il faut le défendre.

Soit les interprètes oublient le côté moralisateur et "antique", "vieux romain", du Vicaire savoyard et ils ne retiennent que l'exaltation de la personne, c'est-à-dire de l'individu dans tous ses états. La société selon Rousseau a toujours tort, elle est l'origine de tous les maux. Il en faut le moins possible. Rousseau a su penser la victoire moderne de l'individu. - De quel individu s'agit-il ? - Les crétiens, un moment, ont cru dans "la personne", l'individu en gloire, le spirituel. Il a fallu déchanter. Nous savons aujourd'hui que l'individu selon Rousseau c'est historiquement... le consommateur.

Soit enfin ils critiquent le caractère composite de l'univers rousseauiste, fait de bric et de broc et ils essaient de le simplifier - en le ramenant à l'un des deux modèles précédents, le traditionaliste ou le consumériste.

Ce que je proposerais volontiers moi, c'est de ramener Rousseau à Pascal. Il faut comprendre que la dualité que saisit Rousseau dans l'homme ne se comprend vraiment qu'à travers la doctrine chrétienne du péché originel. Rousseau l'a reprise tranquillement en l'expurgeant de toute trace de péché originel. Sa dialectique s'exerce entre "moi" comme membre du "Moi commun" et "les autres", la société à laquelle je n'ai point de part et d'où vient tous les maux. Le mal c'est les autres, c'est la société, c'est la famille, les parents etc. Quoi de plus antichrétien ? quoi de plus contraire à cette responsabilité personnelle que le Christ nous inculque ? Pour un chrétien, la pénitence c'est toujours la pénitence de soi. Le mal est dans l'homme (voir notre post 2012 année lucide).

Il est aux antipodes du christianisme, mais il n'a pas pu s'empêcher, notre bon Jean-Jacques, de reprendre une expression à la théologie chrétienne : l'état de nature. Hobbes avait fait de même. Mais Rousseau donne bien sûr une signification totalement différente à cette expression, une signification qui est propre à son lexique personnel. L'état de nature, pour les théologiens, c'est l'état de l'homme sortant parfait des mains de Dieu (état qui pour les théologiens toujours, notez-le, n'existe pas et n'a jamais existé, car l'homme est immédiatement créé dans la grâce et dans l'amitié divine). Pour Hobbes, l'état de nature, c'est celui dans lequel l'homme est un  loup pour l'homme, celui dont le Christ vient nous sauver, en substituant à tous les désirs humains trop humains sa charité : cupiditas fit caritas.

Eh bien ! Comme souvent, Rousseau est plus prêt des théologiens augustiniens que de Hobbes. Mais il laïcise tout. Pour lui, l'état de nature, c'est la bonté originelle de l'homme, qui a tout en lui et que la société vient aliéner de ses richesses intérieures. Il a simplifié la vérité contraire de Pascal, en maintenant une dualité (entre personne et société), mais pour créer une dialectique, c'est-à-dire pour se débarrasser de cette dualité le plus vite possible. (Hegel ne fera que mettre cette dialectique en syllogisme). Pour Rousseau déjà, il faut envoyer par dessus les moulins la sociabilité d'Ancien régime, oui cette fameuse douceur de vivre dont parlait Talleyrand, parce qu'elle est fondée sur la soumission des personnes les unes ou aux autres. Et il faut une société nouvelle, qui soit un véritable "moi commun". Voilà le constructivisme et le totalitarisme, sous couleur d'utopie antiquisante.

Pascal lui ne dialectise pas la dualité qu'il observe partout dans les choses humaines. Il lui donne un sens en distinguant des ordres différents au sein desquels cette dualité peut survivre. Exemple ? C'est au nom de la concupiscence que l'on a construit la société, en cherchant à protéger les biens et à faire reconnaître des supériorités, même purement sociale. Eh bien ! Cette société, née de la concupiscence, qui fait vivre des corps les uns avec les autres, en usant de toutes sortes de subterfuges pour qu'ils se respectent, elle offre "un beau tableau" de la charité. Un beau tableau : c'est son expression.

Là où Rousseau aurait dit : c'est inadmissible ce que cette société doit aux vices des hommes, Pascal utilise la théorie des ordres pour faire cohabiter analogiquement l'imparfait humain avec l'exigence de perfection qui est dans toute charité vraiment divine.

Quand Rousseau dit : c'est inadmissible... Ca fait des morts. Seule la violence résorbe la dialectique que Jean-Jacques découvre entre l'individu et la société. Les nobles ont payé pendant la Révolution française ; les koulaks pendant la Révolution russe : tous des ennemis du peuple. Et qu'est-ce que le peuple ? C'est ce "Moi commun" foncièrement égalitaire et dans lequel on ne peut être libre que... tous ensemble, comme l'avaient bien compris les clubs de sans culottes, avec leur ferveur révolutionnaire.

Quand Pascal dit : ce sont des ordres différents, cette tolérance analogique, qui est propre au christianisme et qui est, oui, tout le conservatisme chrétien, laisse une chance à la sainteté en en faisant non pas une obligation sous peine de mort (la sainteté sous peine de mort, ça ne marche pas) mais l'expression d'une liberté et le résultat d'une tolérance - bref un amour.

lundi 2 janvier 2012

[conf'] L’utopie pédagogique - par Jean de Viguerie

Ce mardi 3 janvier, juste après les fêtes, nous recevons Jean de Viguerie, l’un des historiens les plus intelligents de sa génération. Dans Les deux patries, il nous a montré que l’histoire pouvait s’élever jusqu’à une réflexion sur les réalités dont nous vivons aujourd’hui : qu’est devenue la patrie ? Dans son dernier livre sur Les pédagogues, publié aux éditions du Cerf à la fin de l’année 2011, il fait la même démonstration à propos de l’éducation : pourquoi les pédagogues d’aujourd’hui sont-ils parvenus à suicider le mammouth ? En partant d’Erasme et de Comenius, Jean de Viguerie s’attarde sur Locke et sur Rousseau (sur lequel il propose une somptueuse mise au point). Nous comprenons que le grand bazardage de l’Education nationale était inscrit dans la longue histoire. Décidément il ne suffit pas de s’intituler pédagogue pour être un bon éducateur. A travers la critique de l’utopie pédagogique, on voit apparaître les constantes qui font la qualité de toute éducation, hier aujourd’hui et demain. Décidément, le malaise est bien dans l’homme !

P.A.F : 5 € /2 € pour les étudiants et petits revenus

2012 : année de la lucidité

En offrant mes voeux aux très nombreux lecteurs de Métablog, je réfléchis à ce que pourrait bien être 2012 : une année où craquent, avec l'euro, les systèmes de défense de la Correctness, une année où la crise nous force à la lucidité, une année où le principe de réalité sera plus fort que le principe de plaisir... Oh ! Pas seulement à la lucidité sur le monde, mais d'abord à la lucidité sur nous-mêmes. La Révolution chrétienne est la seule qui tienne depuis 2000 ans (alors que les Révolutions humaines se sont effondrées, dérisoires, dans le sang des victimes). Pourquoi ? Parce que le Christ nous a averti sur notre responsabilité personnelle.

Jean-Jacques Rousseau nous a appris à considérer que le mal c'est les autres, que tout vient de la société et de son faux "ordre" pourri, qu'il faut changer tout cela, se fonder sur la bonté de l'homme pour envoyer par dessus les moulins les étroitesses de la coutumes, les injustices d'un régime inégalitaire et les mensonges d'une religion dominatrice dans la mesure où elle est cléricale. Résultat de cette belle prédication ? Du sang. Le XXème siècle, siècle de Jean-Jacques, a réitéré les bêtises monstrueuses de la Révolution française, matrice sanglante des Révolutions en tous genre. Que ce soit au XVIIIème siècle ou au XXème siècle, ou même au XXIème siècle : une Révolution ça se termine toujours mal. Il s'agit d'exorciser dans le sang les démentis du réel à la théorie optimiste.

Vous croyez que ce principe utopique est mort ? Mais la dernière des grandes utopies, c'est l'idée d'un libre échange mondial, sans barrière et sans lois. La Révolution aujourd'hui est libérale. D'aucuns diraient : le libéralisme aujourd'hui enfin montre son vrai visage : celui de la Révolution, "la haine de tout ordre que l'homme n'a pas établi et où il n'est pas roi et dieu tout ensemble" comme disait Mgr Gaume. Il faudrait simplement ajouter à cette vieille phrase : "la haine de tout ordre que l'homme n'a pas établi dans l'instant". François Huguenin, dans un livre récent se demandait comment "résister au libéralisme" : autant dire comment résister à la Révolution - à celle qui est d'aujourd'hui.

Ajoutons que cette Révolution libérale utilise le fléau de l'islamisme radical pour parvenir à ses fins et produire enfin le chaos à partir duquel l'ordre devra naître, l'ordre vraiment juste, l'ordre nouveau. Le printemps arabe correspond certainement à une longue incubation de beaucoup de facteurs de malaise. Mais pour l'instant tout va vers une destruction accélérée de tout ce que ces sociétés égyptienne aujourd'hui syrienne demain, conservent d'ordre traditionnel et de richesses historiques. L'euro, cette monnaie trop forte pour nous et qui, comme le reconnaît le président dans ses voeux, "désindustrialise" notre pays, le privant petit à petit de ses forces vives, joue objectivement le même rôle que l'islamisme en Egypte : appauvrir, dénationaliser, déculturer. Réduire les hommes à leur force de travail.

Nous n'avons qu'une seule certitude, c'est que comme tous les processus révolutionnaires, ce processus économico-culturel hégémonique n'aura qu'un temps. Son arme, c'est la ruine de tous pour le profit de quelques uns... Ca marche aujourd'hui, mais demain ? Comme les constructivismes socialistes, le constructivisme libéral finira par apparaître comme ce qu'il est : une supercherie idéologique, qui pour la liberté absolue de quelques uns programme l'esclavage de tous. Ainsi disait Chigalev dans les Possédés, "de la liberté absolue, j'en arrive au despotisme absolu". L'individualisme forcené qui est le nouvel évangile va finir par s'écrouler dans son mensonge, l'ivresse démocratique célébrée par Alain Minc va finir en banale cuite, avec les lendemains de cuite qui déchantent. 2012 pourrait être pour beaucoup l'année de la lucidité, l'année où craquent les conformisme sous le poids réel de la crise et sous le fouet d'un nouvel impératif : faire face.

Et d'ici là ?

Eh bien ! C'est la Révolution chrétienne qu'il faut mettre en place, la seule qui dure depuis 2000 ans, la seule vraie, la seule qui désigne le vrai problème. Les idéologies nous disent que le mal est dans la société, que le problème c'est l'héritage, que c'est notre héritage culturel qui est mauvais. La Révolution chrétienne est beaucoup plus lucide parce qu'elle nous fait croire au éché originel. Le mal est dans l'homme. Le mal est en chacun d'entre nous, dans "notre coeur rempli d'ordures" (Pascal). C'est en nous-mêmes qu'il faut travailler, c'est à reconquérir la transparence perdue, non pas la transparence sociétale qui est un ersatz, un succédané de la vraie transparence : "Heureux les coeurs purs car ils verront Dieu". C'est dans notre propre coeur qu'il faut essayer de voir clair, et cette exigence de clarté s'appelle la pureté.

Clarté... "De clarté en clarté" dit saint Paul, nous allons jusqu'à Dieu, qui est la Lumière de notre esprit, la clarté supérieure qui "éclaire tout homme venant dans le monde". Nos vie sont souvent embrouillées, compliquées. A cause du péché, qui dérègle tout avec sa logique propre, sa logique de satisfaction immédiate. La Révolution chrétienne consiste à opposer au principe de plaisir et à ses nuées - à ses imaginations, à ses complications - le principe de réalité, celui qui se fonde avant tout et pour longtemps sur l'amour, sur la certitude que, depuis la première éducation du petit d'homme, rien n'EST sans l'AMOUR et rien ne demeure qui ne vienne de l'amour qu'on y a une fois mis.