jeudi 30 juin 2011

On n'est pas en vacances !

Le Centre Saint Paul n'est pas encore en vacances ! On peut même dire qu'il ne se met pas en vacances cet été puisque les messes sont maintenues le dimanche à 9H00, 10H00, 11H00 (Grand messe), 12H30 et 19H00... L'abbé Willy qui était là l'été dernier revient dès le 3 juillet, nous permettant de conserver les messes quotidiennes (pour l'instant à 8 H et 19 H) et les cinq messes du dimanche. Je serai là chaque dimanche : si vous êtes de passage à Paris cet été, n'hésitez pas à passer par le Centre Saint Paul. Voilà pour la partie cultuelle de nos activités culturelles.

Au plan culturel, les cours sont finis. Nous préparons les programmes de l'an prochain. Le Metablog bien entendu ne sera pas en vacances. Quant au frère Thierry, avec son très select Club de l'Aréopage, il vous propose, de 14H00 à 18H00, une après-midi géopolitique samedi prochain sur les Balkans, coeur méconnu de l'Europe.

Autant que je comprenne la perspective de cet Aréopage, elle est originale. Il s'agit de poser "un regard russe sur les Balkans" (selon le titre de la conférence de Romain Bessonnet). L'ancienne Yougoslavie se déchire. Le Kossovo, indépendant, reste un enjeu affectif important pour les Serbes (exposé de Maurice Gendre sur ce sujet). Andrei Korliakov, en évoquant "le grand exode des Russes blancs" dans les Balkans, désignera la Serbie comme ce qu'elle est : une petite soeur orthodoxe pour la Russie. Bref David Mascré, qui promet une synthèse sur "la géopolitique des Balkans", ne versera certainement pas dans les slogans ordinaires qui caractérisent la Politique internationale dans l'ex-Yougoslavie.

Il faut reconnaître que les Croates catholiques auraient aussi sans doute leur mot à dire dans cet imbroglio. Je rappelle simplement que c'est à eux que Benoît XVI a déclaré il y a une paire de semaines que les chrétiens devaient être des "contestataires". Ces Croates ne sont pas seulement des catholiques de vieille culture comme les Polonais par exemple. Ce sont des catholiques qui ont connu un retour de ferveur après la Chute du Mur, en particulier sous l'influence de Notre Dame de Medjugorje. Leur contestation du monde contemporain n'est pas une vieille habitude, mais un élan nouveau. A Maltes, vielle île catholique d'un ordre autrefois souverain, le Saint Père n'a pas hésité. Il a carrément parlé du christianisme comme d'une "contre-culture". Je crois que c'est en ce sens que nous essayons de travailler à Metablog, le webmestre et moi.

mercredi 29 juin 2011

Actualité du Péché originel

Le Père Michel Viot a été étourdissant hier, à la fois subtil et puissant ce qui n'est pas donné à tout le monde. Et il a lancé le même mot de la fin que lors de l'entretien que j'ai réalisé avec lui pour Monde et Vie : le problème, c'est l'oubli du Péché originel. Il boucle la boucle en quelque sorte ce disant et confirme ses engagements "de Luther à Benoît XVI", en passant par... la franc-maçonnerie régulière.

Son combat actuel ? Depuis le Vrai et le Faux (2008), mais sans doute déjà depuis Chrétiens sans religion (1975), il s'oppose au curieux amalgame qui se réalise sous nos yeux entre la foi chrétienne et l'esprit des Lumières. On peut dire que cette opposition l'a mené jusqu'au catholicisme puisque le protestantisme se caractérise, dit-il, par son absence de défense immunitaire et par sa porosité aux Lumières. Au protestantisme il manque cette institution historiquement sublime qu'est la papauté.

Mais que nous font les Lumières ?

Il faudrait plusieurs posts pour répondre à cette question. Hier, le Père Viot a parlé surtout de cet optimisme béat du "tout est bien quoi qu'on fasse" qui caractérise le "progressisme enluminé" (l'expression est de bibi).

Il est clair que l'on ne peut pas être chrétien si l'on n'a pas compris ce que saint Ignace appelait la "gravité du péché", non pas forcément la gravité de tous nos péchés actuels, mais la gravité ou la terible déclivité de cette pente sur laquelle il vaut mieux ne pas se laisser aller et qui nous mène, croyant faire l'ange (ou le saut de l'ange) à faire la bête...

Moi qui suis dans les jansénistes jusqu'au cou, je me retrouve en sympathie augustinienne avec l'ancien Inspecteur luthérien qu'est Michel Viot. Oui, il faut reparler du Péché originel. Pas de façon caricaturale. Mais de manière profonde et qui nous fasse comprendre ce que Terence Malik dans The tree of life appelle les deux voies, celle de la nature, égoïste et violente, celle de la grâce, légère et enivrante.

Dans la voie de la nature la légèreté est "insoutenable" comme aurait dit Kundera. Dans la voie de la grâce, elle est seule désirable.

mardi 28 juin 2011

[conf'] «De Luther à Benoit XVI . L'itinéraire d'un ancien franc-maçon», par Père Michel VIOT

Mardi 28 juin 2011 à 20H00: «De Luther à Benoit XVI . L'itinéraire d'un ancien franc-maçon», par Père Michel VIOT - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié - au Centre St Paul

samedi 25 juin 2011

Amours, délices et... orgues !

Qu'est-ce que ces trois mots ont en commun ? Ce sont trois mots masculins qui passent au féminin lorsque on les emploie au pluriel. Je ne chercherai aucune explication dans je ne sais quelle métaphysique des sexes, car la métaphysique des sexes, contrairement à Julius Evola et parce que je suis chrétien, je n'y crois pas. Mais le fait est que l'on dit : Des amours tumultueuses. Des délices victorieuses (mais oui !). Et des orgues ? Des orgues harmonieuses, douces et tempétueuses, mais toujours... majestueuses. On dit : des grandes orgues.

Nous venons d'acheter un petit orgue pour le Centre Saint Paul, car l'ancien biniou était criard et poussif. Bref : inutilisable. Eh bien ! Nos grandes orgues sont merveilleuses. Expérience faite jeudi soir pour la fête du Saint Sacrement ! Je ne suis pas un esthète et ne crois pas qu'il faille mélanger esthétisme et spiritualité. Mais le fait est que notre prière s'en est trouvée efficacement soutenue, portée. Là comme ailleurs la technique fait des miracles. Ce sont les sons de véritables grandes orgues qui sont enregistrés et restitués sur notre petit orgue Allen. Nous entendons des orgues de cathédrales et nous avons devant nous un instrument de taille modeste. Quand on ouvre le capot, c'est impressionnant comme le moteur ne paie pas de mine. Tout est miniaturisé aujourd'hui !

J'invite tous ceux qui le souhaitent au baptême de notre orgue à 11H00, dimanche prochain à la grand-messe que je célèbrerai pour la solennité du Corpus Christi...

On aspergera d'abord la bête d'eau bénite : on ne peut pas faire moins. Et puis on écoutera Nanon Bertrand, spécialiste de l'école française du XIXème siècle et qui a plus d'un tour dans sa musette. Nous aurons l'occasion d'apprécier aussi l'efficacité de l'accompagnement en chantant avec foi le Lauda Sion. Et puis naturellement tout cela finira par un kir royal, à la pêche ou à la mûre. Ou par un petit vin blanc du Luxembourg.

Une occasion pour les Parisiens qui me lisent de découvrir la messe traditionnelle si ils ne la connaissent pas ou de la retrouver dans le cadre chaud et parfois vibrant de notre petite chapelle saint Joseph [12 rue Saint-Joseph  - 75002 Paris]

Bref dimanche, la fête spirituelle et liturgique se doublera comme il se doit d'une fête pour nos tympans. je m'en réjouis à l'avance, encore ému par la très belle messe de jeudi, où la voix souple de l'abbé Baumann soutenue par l'orgue, nous entraîna naturellement vers les cieux.

Faut-il se moquer de l'émotion ? Dans l'ordre religieux, l'émotion est l'un des véhicules du voyage. On aurait tort de l'oublier.

mercredi 22 juin 2011

Lions! (TradiLien#1)

Je suis en train de faire une page de liens internet selon un principe tout bête: chaque lien peut relever de plusieurs thèmes. Un exemple: le site de la Fraternité St Vincent Ferrier (http://www.chemere.org/) figure dans le thème "" mais c'est aussi le "" d'un groupe "". Pour le moment l'heure est à engranger un certain nombre de sites, pas forcément des sites tradis (La Vie est dans liste) mais à tout le moins: des sites qui peuvent intéresser un tradi (ne serait-ce que moi).

C'est là que vous intervenez: vous connaissez très certainement quelques sites qui vous tiennent à coeur, ne serait-ce que votre site favori. Je vous suggère:
  1. de vous rendre sur la page de liens
  2. de vérifier que votre favori n'est pas déjà listé (éventuellement, en utilisant à cette fin le moteur de recherche)
  3. s'il n'est pas listé, d'utiliser le formulaire du bas de page pour donner: le titre du site (en restant sobre) et le lien - sans renseigner la partie 'commentaires'
... en vous rappelant que votre site n'apparaitra pas tout de suite - il faut auparavant que je le valide (ce qui ne se fera pas dans l'ordre d'arrivée). Par ailleurs, vous voudrez bien ne pas proposer de sites politiques - ce n'est pas le sujet.
Dans un second temps je travaillerai la présentation du site, l'idée étant d'offrir dès la page d'accueil de la lecture - en plus de la recherche par thème.

La gnose ? Mais je suis pour !

Très grande leçon de philosophie, très belle leçon de modestie avec Jean Borella, ce soir au CSP. Il nous a fait l'histoire du terme "gnose" des origines à Bossuet... Et sa démonstration, que je ne reprendrai pas ici en détail, est terriblement convaincante.

Il montre que le terme de "gnose" n'a pas été employé durant tout le Moyen âge et qu'il ressurgit au XVIIème siècle. Auparavant on le trouve chez saint Paul (24 fois), chez saint Pierre (trois fois) et dans une formule énigmatique du Christ : "Malheur à vous docteurs de la loi, parce que vous avez enlevé la clef de la connaissance (gnosis). Vous-mêmes n'êtes pas entré, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêché" (Lc 11, 52).

Ce terme de gnose est utilisé ensuite dans un autre cadre que celui des Evangile, pour désigner une connaissance ésotérique, portant sur la nécessaire révolte contre le mal (qui est le monde lui-même) et donnant à chacun la conscience de son caractère divin.

Faut-il, parce que d'autres ont utilisé le terme, le leur abandonner ? On risque ainsi de valider l'image d'un christianisme bébête, reposant avant tout sur un altruisme moral, mais n'apportant ni connaissance ni mystère : le christianisme de mon enfance, années 70.

Jean Borella a énormément cherché autour de cette question de la gnose... Et il a trouvé un texte de Bossuet, qui, je crois, dit tout : "Je ne vois point qu'il faille entendre sous le nom de gnose un autre mystère que le grand mystère du christianisme, bien connu par la foi, bien entendu par les parfaits à cause du don d'intelligence sincèrement pratiqué" (il y a une page de ce tonneau). Plus loin, de manière encore plus forte, Bossuet équipare gnose (il écrit : gnosis, en caractères grecs) et tradition non-écrite: "Tout cela pris ensemble compose la tradition de la science du salut que l'on appelle gnosis".

Dans les deux passages que j'ai cité, Bossuet insiste sur le caractère pratique (et non purement spéculatif ou spéculaire) de ce savoir nouveau, qui réalise en nous ce qu'il signifie. Il oppose ce caractère pratique à "la passivité des nouveaux mystiques" qui tentent de récupérer la gnose mais la déforment puisqu'ils en font un pur savoir. Cette vérité toute pratique et réalisant ce qu'elle signifie, je l'appelle quant à moi l'évidence chrétienne...

J'ai tendance à dire que sur un tel sujet - la gnose - si Bossuet a parlé, la cause est entendu. Merci et honneur à Jean Borella !

mardi 21 juin 2011

Jean Borella au Centre Saint Paul ce soir

C'est un des grands penseurs catholiques d'aujourd'hui que nous accueillons ce soir, mardi au Centre Saint Paul. Jean Borella a un long itinéraire intellectuel, commencé dans les parages de Frithjof Schuon et qui se conclut dans la magnificence de l'orthodoxie catholique intégralement et tranquillement assumée.

Il y a des critiques grincheux de Jean Borella, en particulier dans le monde traditionaliste. L'abbé Coache en fit partie. C'est un des premiers souvenirs de ma vie intellectuelle. Je lisais Borella dans La Pensée catholique de l'abbé Luc Lefèvre. Et voilà que l'ancien curé de Montjavoux partit en guerre contre ce pelé, ce galeux, ce gnostique dont vient tout le mal.

Je me souviens d'une phrase de Borella dans La charité profanée, sur laquelle l'abbé Coache avait achoppé : "Le trisagion sacré monte vers la théarchie suressentielle".

Pour Coache, c'était clair : trisagion = Trinité. Théarchie suressentielle = Hypertheos gnostique. Pour Borella, il y avait un Dieu au dessus de la Trinité. J'ai d'abord été assomé par tant de certitude. Puis... à l'époque du haut de mes vingt ans, dans mon loden beige, j'ai eu comme un doute et j'ai pris un dictionnaire. Trisagion : est-ce la Trinité ? comme le prétend l'abbé C. Y a-t-il deux Dieux pour Borella ? Dans le Larousse de l'époque, trisagion était référencé. On nous apprenait qu'il s'agissait du Sanctus, le chant au Dieu trois fois saint. Borella était lyrique en évoquant le Sanctus en grec mais certainement pas hérétique. Quant à Coache... il était au moins léger dans cette affaire, qui pouvait bien relever de la diffamation. J'étais jeune à l'époque. Je crois que c'est cette petite méprise, orchestrée avec tant d'assurance et sur laquelle l'abbé Coache n'a jamais voulu revenir, qui m'a fait mépriser l'intégrisme. Pour toujours.

Je suis heureux de recevoir Jean Borella. Autant que je connaisse sa pensée, il s'est beaucoup rapproché du néothomisme, qu'il interprète avec toute la rigueur d'un philosophe de profession, en lui donnant son aura mystique - préeckhartienne. Hum ! Cajétan et moi, ce n'est pas notre tasse de thé, cette analogie d'attribution extrinsèque (ou quelque chose ainsi) que défend Borella (dans son livre Penser l'analogie). Borella, ce faisant, a avec lui toute l'Ecole néothomiste - Geiger, Fabro et bien sûr Gilson. Et je crois être l'un des rares apprentis théologiens à en tenir de mon côté non pour l'analogie d'attribution, mais pour l'analogie de proportionnalité. Aussi bien j'écouterai Jean Borella avec attention.

D'autant que son sujet ne sera pas l'analogie, mais la gnose. Le christianisme est-il une connaissance ? Un certain "christianisme pratique" dit aussi "christianisme progressif" qui sévit depuis le début du siècle vingtième, prétend qu'il n'y a aucune connaissance dans le christianisme. La révolution culturelle de l'Après concile a largement suivi cette piste, avec les résultats que l'on sait. Jean Borella a appelé cette situation : la charité profanée.

J'oubliais de dire que Jean Borella m'a fasciné par son éloquence, son aisance, sa puissance de conviction et de pensée lors du premier colloque de l'Institut Saint Pie X, où il était invité. Je crois que ce soir je serai encore ébloui. Et je souhaite à beaucoup de liseurs cet éblouissement là !

lundi 20 juin 2011

Merci à Jean Madiran

Au moment où les Presses de l'Université Laval (Québec), sous la responsabilité de Sylvain Luquet, rééditent somptueusement la polémique qu'entretint le philosophe Charles de Koninck, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, contre ceux qu'il appelait "les personnalistes", Jean Madiran, avec l'acribie qui est la sienne depuis toujours, souligne l'importance et l'actualité de cette polémique. C'est à la première page de Présent dans le numéro du 18 juin. En invoquant le philosophe canadien qu'il a très bien connu et qu'il a édité naguères dans la Collection Itinéraires, Jean Madiran, à la manière de l'Arbiter elegantium au milieu d'un substantiel Banquet, entend ainsi s'introduire dans une polémique naissante : d'un côté voici Dom Basile Valuet, moine du Barroux, auteur d'une somme sur la liberté religieuse et d'une récente mise au point sur l'oecuménisme et son importance. De l'autre il y a Arnaud de Lassus, le patron de l'Action Familiale et Scolaire, qui, s'appuyant sur un autre philosophe, Michel Villey,grand aristotélicien devant l'Eternel, veut pourfendre le personnalisme de Vatican II en général et de la Déclaration Dignitatis humanae en particulier.

Compliqué ? Cela montre simplement que le monde catholique traditionnel est riche de polémiques rentrées, mais qui ne demandent qu'à sortir sur la place publique pour la plus grande gloire de Dieu.

Lassus s'oppose de façon radicale à l'affirmation selon laquelle : "La Cité est pour l'homme". Au nom de la primauté du Bien commun sur le bien particulier, au nom du Grec Aristote et du Français Michel Villey, souligne-t-il, on devrait dire le contraire. Devrait-on aller jusqu'à prétendre que c'est l'homme qui est pour la cité ?

Madiran ne manque pas d'invoquer l'autorité de Charles de Koninck qui dit le contraire de Lassus. C'est même la première phrase de son ouvrage récemment réédité : "La société humaine est faite pour l'homme".

Que faut-il croire dans cet imbroglio ? L'homme est-il une fin de l'action politique ? Ou est-ce seulement le "pacificum status civitatis" (le bien commun) qui est une fin ?

Pour Aristote, Villey a raison de le souligner, la seule fin de la Cité c'est... elle-même. C'est dans la Cité en effet, explique le Stagirite, que l'homme atteint à une autonomie, à une indépendance qui le fait ressembler aux dieux. La Cité a donc un pouvoir absolu sur l'individu qui n'existe pas en lui-même mais uniquemlent par le rang qu'il a dans la cité. Et voilà d'ailleurs ce que les veux Romains, les Romains païens appelaient "dignitas", la dignité de l'homme : son rang social. Aristote n'est pas chrétien : grande découverte pour certains philosophes réalistes ? Au Livre VII de ses Politiques, par exemple, il explique qu'une Cité bien oprdonnée doit exposer à la naissance les enfants mal formés qui seraient une charge pour elle... Il est clair que pour lui, on ne peut pas dire que "la société humaine est pour l'homme".

Il explique aussi que la morale change selon le type de constitution (monarchique oligarchique ou démocratique) qui existe dans la Cité. Pour lui, c'est clair, le principal sinon le seul agent moral est la Cité. C'est par la Cité que les hommes deviennent bons. la Cité est donc plus que l'homme.

Mais depuis le Christ ? Depuis que le Christ s'est fait homme ? N'existe-t-il pas une dignité de l'homme qui n'a rien à voir avec le rang social, mais qui vient de l'appel de Dieu à tous les hommes et de la liberté que possède chacun de lui dire Oui ou Non ? La dignité de l'homme n'est plus un fait social. C'est une donnée... foncièrement catholique. Catholique ? Pourquoi emploe-je ce terme ? Non pas pour faire de la dignité de l'homme un acquis confessionnel, mais pour souligner, selon le sens grec du mot catholique que c'est une donnée universelle, qui ne se slimite pas aux chrétiens, car l'Evangile de la Vie est universel.

Depuis le Christ, il est interdit d'exposer les enfants à la naissance (même si la coutume s'est gardé longtemps dans les sociétés chrétiennes), car c'est une atteinte à la vie humaine, don de Dieu. Depuis le Christ, la morale ne dépend pas du type de constitution d'une Cité donnée, mais du dessein d'amour que Dieu a sur l'homme.

Nous sommes en train de retrouver la morale d'Aristote qui autorise l'infanticide pour favoriser la santé publique. N'est-ce pas ce que l'on fait lorsqu'on soumet les femmes enceintes à toutes sortes de dépistages prénataux : un enfant anormal ne doit pas manger le gâteau collectif : il ne fait que diminuer la part qui revient à chacun sans contribuer en rien à fabriquer le gâteau qu'il consomme. C'est un inutile. Il coûte trop cher à la sécurité sociale. Quand on aura fini de faire des économies sur les programmes et les profs de l'Education nationale, on pourra attaquer cette délicate question du droit de naître, que l'on soumettra à certaines conditions de rentabilité, ultimement financière.

Dire que la Cité est pour l'homme, c'est reconnaître des principes supérieurs au fonctionnement des technostructures qui nous gouvernent. Voilà ce dont on ne veut plus. "Français encore un effort" comme disait un Marquis peu fréquentable. Les derniers restes de christianisme collectif, il faut les jeter par dessus bord.

Refuser de dire que la Cité est pour l'homme, c'est prétendre qu'elle est au-dessus de lui, parce qu'elle est seule capable de le rendre bon (Aristote encore : Ethique à Nicomaque 10, 10). Nous savons bien nous que ce n'est pas la Cité qui rend l'homme bon. La Cité qui impose ses principes quels qu'ils soient à l'homme détruit la véritable bonté de l'homme et selon la formule d'Hannah Arendt, elle finit toujours par banaliser le mal.

Mais alors direz-vous, faut-il encore prétendre que le bien commun est supérieur au bien individuel ? Oui, et je cite De Koninck dans l'édition passionnante de Luquet : "Le bien commun diffère du bien singulier parce qu'il est plus communicable. Il s'étend davantage au singulier que le bien singulier. Il est le meilleur bien du singulier". Voilà un langage intégralement chrétien sur le bien commun. Un langage qui réconcilie les personnes et les communautés au lieu de les opposer.

Certes, ce n'est pas tout à fait le langage d'Aristote, pour qui la Cité est fin car hors d'elle il n'y a pas de bien pour l'homme. Nous avons vu ce qu'il fallait penser de cette "socialisation du bien" au XXème siècle. N'y revenons pas !

[conf'] «Vraie et fausse gnose», par Jean Borella

Mardi 21 juin 2011 à 20H00: «Vraie et fausse gnose», par Jean BORELLA - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié - au Centre St Paul

Mardi 28 juin 2011 à 20H00: «De Luther à Benoit XVI . L'itinéraire d'un ancien franc-maçon», par Père Michel VIOT - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié - au Centre St Paul

jeudi 16 juin 2011

le pélé en photos, de Paris à Chartres

Un double merci à mon ami Eric ! Personnel d’abord : c’est lui qui m’a fait découvrir le Pèlerinage de Chartres. C’était en 2001, et depuis il n’y a pas eu de Pentecôte sans que mes jambes ne me portent là-bas, d’une manière ou d’une autre. Collectif ensuite pour la formidable série de photos qu’il a prises durant ces trois jours : série cohérente et fournie, de ND de Paris à ND de Chartres. Eric m’explique que des photos de marcheurs, il y en a partout autant que l’on veut, qu’il a pris le parti de photographier la logistique – ceux qui font que « ça marche » dans les deux sens du terme. Voyez les photos sur Picasa, ou en lançant le diaporama ici-bas (qui peut nécessiter quelques secondes à se charger - et dont on peut accélérer sensiblement le défilement en se rapportant aux indications situées en bas de l'image):
 

lundi 13 juin 2011

Marx et la Pentecôte

Tout se passe comme si, en Jésus-Christ, Dieu, se faisant semblable à nous, s’était approché trop près de nous pour que nous le reconnaissions… Il nous promet le Saint Esprit : « Lui vous enseignera à pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Il vous conduira à la vérité tout entière ».

L’Esprit saint c’est à la fois une Puissance nouvelle et une science nouvelle.

Quelle science ? La seule qui soit vraiment utile, celle qui contribue à répondre à la question que posait brutalement le poète breton Victor Segalen : « Qui suis-je ? Quoi suis-je ? ». Dans le Saint Esprit nous découvrons que nous sommes avant tout une volonté de Dieu et que Dieu doit être notre centre, notre vie. Et pour cela, impérativement, rester toujours en dialogue avec Dieu. Madame de Sévigné, qui voulait tant "être une chrétienne" comme elle disait, écrit à sa fille la manière - très simple - dont elle envisage ce dialogue : « Un peu rêver à Dieu et à sa Providence, posséder son âme, songer à l’avenir ». Avons-nous déjà rêvé de Dieu ?

La vie actuelle nous laisse-t-elle ce « saint loisir » ? Il faut que nous lui reprenions un peu du temps qu’elle nous arrache pour retrouver cette épaisseur de notre âme, habitée par le Saint Esprit. Si nous nous laissons vivre, nous sommes littéralement plaqués à la surface de nous-mêmes par toutes les sollicitations (bonnes souvent, mauvaises parfois) que la vie nous envoie… Et nous oublions ce centre caché, cette présence secrète, ce dialogue continuel que nous devons avoir avec l’Esprit saint, c’est-à-dire avec l’Esprit de Dieu.

Quel est l’Esprit de Dieu ? Comment le reconnaître par rapport aux autres esprits "répandus dans le monde pour perdre les âmes" ? C’est lui qui nous donne la foi, l’espérance et la charité. Ces vertus sont appelées théologales parce qu'elles ne sont pas concevables sans l'Esprit saint. Elles ne nous appartiennent pas. Elles affirment bien plus que ce que nous sommes.

La foi ? Ce saut au dehors de nous-mêmes quand nous avons compris que nous ne nous sauverons pas par nous-mêmes.
L’espérance ? Cet élan au-delà de nous-mêmes, quand nous avons perçu que les espoirs de ce monde sont tous relatifs et que nous devons nous jeter plus loin.
La charité ? C’est le mystère de l’amour ou l’amour comme mystère. Au delà des désirs qui nous agitent, c’est l’un en deux, l’unidualité. Entre Dieu et l’homme d’abord. Entre les hommes ensuite.

La Pentecôte n’est pas un moment d’excitation particulière auquel n’auraient accès que le happy few des élus de Dieu. L’Esprit de Dieu est offert à tous comme une science nouvelle.

L'Esprit saint est offert à tous comme nous manifestant la puissance du Dieu qui nous transforme. Il est l’Esprit créateur, qui planait sur les eaux au commencement du monde. Il est l’esprit du Rédempteur, l’esprit du Christ, enfin accessible après son Ascension, esprit re-créateur, esprit divinisateur.

Quand l'Esprit de Dieu s'unit à notre esprit, nous devenons comme Lui, nous nous transformons en Lui, nous changeons de dimension, nous aspirons à l'Infini, qui seul nous captive, même si mille désirs étrangers à son Règne peuvent nous capturer.

Réfléchir à ce qu'est le désir de vérité dans notre coeur. Marx dans sa fameuse 11ème thèse sur Feuerbach expliquait : "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde. Ce qui importe, c'est de le transformer". Ecrivant cela, il faisait prendre à la critique sociale et à la science économique un incroyable virage, en leur donnant, sans crier gare, l'antique régime de la Vérité chrétienne. C'est la vérité chrétienne qui est accessible à la pratique, cela parce qu'elle est surnaturelle, hétéronome, aspirée par le Saint Esprit dans des dimensions qui nous dépassent.

Marx a voulu "temporaliser le Royaume de Dieu", en imaginant une vérité politique accessible seulement à la pratique, et qui devait se construire devant l'homme et pour l'homme au cours de l'histoire, comme se construisait soi disant la société parfaite, la société sans classe qui sonnerait la fin de l'histoire. Il a déplacé le régime de la vérité chrétienne en le ramenant du ciel sur la terre. Inutile d'épiloguer sur les échecs retentissant de tous les marxismes, les intransigeants à la mode chinoise ou les transigeants à la mode trotskiste.

Quant à nous, instruits de ces échecs, nous voulons replacer le régime chrétien de la vérité là où il a toujours été, nous voulons retrouver cette vérité vraiment surnaturelle et accessible non à l'essence humaine, mais à la pratique graciée dont l'animal humain devient capable par le Saint Esprit. Nous voulons remettre la Onzième thèse à sa place.

Le Saint Esprit nous donne une science nouvelle, mais cette science nouvelle est en même temps une Puissance nouvelle : une puissance de transformation. Pensons nous à ce que nous disons lorsque nous nous écrivons en latin : Emitte Spiritum tuum et creabuntur et renovabis faciem terrae : Envoie ton Esprit et toutes choses seront créées et tu renouvelleras la face de la Terre ? La vérité chrétienne est celle que la Puissance de Dieu manifeste en avant de nous-mêmes.

Quelle est cette transformation ? La véritable "praxis". La véritable "quête de vérité". Je l'ai souvent appelée "l'évidence chrétienne".

On peut la caractériser de deux façons : premièrement il s'agit de mettre l'amour au coeur de toute notre vie, d'en faire le véritable moteur de la morale, le commandement unique et non négociable : Tu aimeras ! Il faut que cet amour purifie et rectifie nos désirs, qu'il corrige notre trajectoire vitale, qui d'elle-même ne sait aller que de satisfaction en satisfaction, c'est-à-dire de néant en néant. Cet amour est la seule chose qui puisse justifier que nous devions continuer de vivre, car il est seul capable de nous projeter en dehors de nous-mêmes (en dehors de ce piège que nous constituons pour nous-mêmes dans ce qui s'appelle le péché). Cet amour, parce qu'il nous fait accéder à l'être, est forcément infini : il est l'amour de l'Infini, qui est Dieu.

Deuxièmement : après que nous ayons mis de l'ordre dans nos désirs, il faut nous purger de toute occasion de peur : "Que votre coeur ne s'effraie pas, qu'il ne se trouble pas" nous dit Jésus dans l'Evangile de la Pentecôte. Comment avoir peur si Dieu est en nous, si "le Royaume de Dieu est à l'intérieur de nous", si nous portons l'Infini ? Éprouver la peur, sans doute oui : la peur est une passion. Qui le sait ? elle est apparemment la plus terrible, la plus secrète, la plus tabou, la plus honteuse, parce qu'elle est la plus totale, la plus totalitaire. Le saint Esprit ne nous délivre pas de cette épreuve, mais Il ne permet pas que nous nous installions dans la peur.

En nous faisant vaincre nos peurs, le Saint Esprit les fait servir à notre promotion ontologique, à notre métamorphose annoncée.

En effet, si Dieu "a fait chez nous sa demeure", cela signifie qu'il y a en nous plus puissant que la Peur, c'est que nous avons toujours, à portée de main, si nous le voulons, de quoi la vaincre.

- Comment vaincre la peur ? - Il suffit de le vouloir, répondait saint Thomas à sa soeur, dans une lettre aussi célèbre que laconique... Le vouloir et se sentir dans la Main de Dieu, c'est mon souhait de Pentecôte.

dimanche 12 juin 2011

Juin 2011: Marcher vers Chartres

Le Centre Saint-Paul organise un chapitre Saint Paul de Bonne Nouvelle pour le Pèlerinage de Chartres du 11 au 13 juin 2011. Contacter Henri (06 63 81 54 70) et/ou Sébastien (06 19 65 03 61)

samedi 11 juin 2011

La Croix parle des Pèlerinages de la Pentecôte !

Ça m’a fait tout drôle quand j’ai vu l’alerte actualité: La Croix parlant du pèlerinage de la Pentecôte! L’article mentionne en fait… le pélé de Liesse-Notre-Dame (diocèse de Soisson), le pélé de Saint-Maurice (Valence), un certain nombre d’autres, et même le «pèlerinage à Echternach». Mais le pélé des traditionalistes? La Croix ne dit rien de ces 15 et 20.000 personnes parties aujourd’hui, qui marchent trois jours entre Paris et Chartres, dans un sens ou dans l’autre.

Pourtant l’article («Une multitude d’initiatives pour la Pentecôte») assure avoir «recensé les principaux événements qui se déroulent dans les diocèses». Mais voila peut-être l'explication: la marche de Paris à Chartres traversant (par définition) plusieurs diocèses, elle ne répond pas au critère? On se gardera de penser que ce critère est choisi justement pour laisser de côté les tradis…

… lesquels ne sont pas mieux lotis dans la presse «laïque» - rien cette semaine dans le Figaro, par exemple – juste une maigre dépêche AFP tombée automatiquement le 11 à 16H09. En général (les autres années) ils en parlent tout de même un peu (c'est que les parents des marcheurs lisent le Figa plus surement que Libé), mais «après». Disons… le troisième jour. Par peur qu’un papier publié «avant» fasse venir quelques personnes? je n’ose l’imaginer.

vendredi 10 juin 2011

Le temps de la contestation chrétienne

Ce qui est extraordinaire avec Benoît XVI, c'est qu'il ne dit jamais un mot plus haut que l'autre. Concentré sur l'essence intemporelle de son Message, il semble dédaigner les mille péripéties, les accidents, les changements d'accent qui affectent toujours de la vie ordinaire. Il peut dire des énormités : c'est sur le même ton : mono-tone.

En Croatie, il vient de nous expliquer qu'il nous fallait être des "contestataires". A Malte en 2010, il avait parlé de "contre-culture". Mais comme il ne hausse pas un sourcil en lisant ces expressions, personne ne bouge. Celui qui peut comprendre le prend pour lui et on n'en parle plus.

Il me semble qu'il faudrait que nous soyons de plus en plus nombreux à le prendre sur nous, ce message contestataire chrétien. Mais il faut le comprendre : c'est avant tout une invitation à la liberté des enfants de Dieu, à la liberté dans la foi, dans l'amour de Dieu et dans la fidélité. Affrontant une société déchirée par les haines religieuses, un Montaigne, catholique et monarchiste, était ainsi : "libre et fidèle" selon la belle expression de Georges Laffly. Ce n'était pas un mystique, mais c'était un homme de compréhension et d'action.

Compréhension de la foi chez Montaigne, est-ce possible ? N'est-il pas avant tout un épicurien ? Sans doute, mais il n'y a pas que "les pourceaux d'Epicure". Il y a aussi un épicurisme chrétien ! La théologie renfermée dans l'Apologie de Raymond de Sebond (Essais II, 12) devrait d'avantage motiver les théologiens d'aujourd'hui, puisque, fait rarissime, c'est une théologie de laïc. Elle contient un mot que beaucoup de nouveaux théologiens n'osent plus utiliser - sinon parfois entre guillemets (!) : le mot surnaturel. Montaigne ne confond jamais le sacré et le profane. Est-il souvent trop profane ? Sans doute, mais en tout cas, il ne mélange pas. C'est son point fort.

Il connaît "notre condition fautière" et nous exhorte à ne recevoir que de Dieu : "Les choses qui nous viennent du Ciel ont seul droit et autorité de persuasion : seules, marque de vérité. Laquelle aussi ne voyons-nous pas de nos yeux ni ne recevons par nos moyens : cette sainte et grande image ne pourrait pas en un si chétif domicile, si Dieu pour cet usage ne le prépare, si Dieu ne le réforme et foprtifie par sa grâce et faveur particulière et supernaturelle (...) Que la fortune nous remue cinq cents fois de place, qu'elle ne fasse que vider et remplir sans cesse, comme en un vaisseau, dans notre croyance autres et autres opinions, toujours la présente et la certaine c'est la dernière et l'infaillible. Pour celle-ci il faut abandonner les biens, l'honneur, la vie..." (Essais LdP t. 2 p. 241).

Le personnalisme chrétien se cache dans le mots de Montaigne : "grâce et faveur particulière et supernaturelle", "seules, marque de vérité". On est déjà dans la grâce efficace dont parlera Pascal, lecteur de Montaigne, au siècle suivant... Une grâce "particulière", appropriée à chacun et qu'il importe de suivre, au-delà de tous les enseignements humains. C'est pas mal pour un sceptique, non ?

Action chez Montaigne ? N'est-il pas ce grand indifférent, qui fait de la distance entre lui et les autres une valeur ? N'est-il pas ce grand Seigneur lassé du monde qui s'enferme dix ans dans la "librairie" de son château ? Sans doute. C'est ce long travail qui s'ébaudira dans la sagesse des Essais. Mais pour autant, il ne cesse de rendre témoignage de sa double fidélité, catholique et monarchique, sans en rajouter, mais hardiment. "Nul vent fait pour celui qui n'a point de port destiné". "L'âme qui n'a point de but établi, elle se perd". Son rôle auprès d'Henri de Navarre, successeur naturel d'Henri III, et qui deviendra Henri IV, ne saurait être majoré. Est-ce lui qui le convainc de devenir catholique ? Ce n'est pas impossible. En tout cas il est le médiateur entre Henri III et le futur Henri IV, auquel il semble bien avoir transmis quelque chose de sa sagesse.

Montaigne n'est pas un héros. Il n'est pas un saint. Mais il a le mérite d'avoir toujours su mobiliser sa liberté intérieure pour la faire servir à ses concitoyens dans les grands moments. Et il a gardé sa foi en Dieu, au-delà de tous les contre-témoignages humains. Et au-delà même de ce qu'il appelle sa propre "volubilité" : "Autant je m'étais jeté en avant, je me relance d'autant en arrière".

Je ne donne pas Montaigne inconditionnellement en exemple. Je trouve simplement que son sens du surnaturel, de l'Absolu peut être médité. C'est la source de sa liberté d'esprit. S'il y a une contestation chrétienne, c'est avant tout au nom de cette perception secrète, intime, "particulière" dit Montaigne, de la grâce de Dieu, qui nous pousse en avant, en sorte que nous devons "aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement" (Saint-Cyran)

lundi 6 juin 2011

[conf'] «La fete de la Pentecôte vue par un rabbin converti» - par Jean Marie ELIE

Mardi 7 juin 2011 à 20H00: «La fete de la Pentecôte vue par un rabbin converti» - par Jean Marie ELIE - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié - au Centre St Paul

Mardi 14 juin 2011 à 20H00: «Devoirs et droits fondamentaux des laics dans l'Eglise», par Mgr Dominique LE TOURNEAU - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié - au Centre St Paul

Homme et femme Il les créa

"L'abbé Vella m'a dit, droit dans ses bottes, franco de port, que les femmes, puisque ce sont des femmes, n'ont pas de contact direct avec Dieu et par conséquent avec le Christ, sauf par l'intermédiaire du prêtre, ou de son mari ou de son père".

Chère Anisvert, ce que vous dites ressemble trop à une énormité pour que l'ab. V soit l'auteur de cette pensée...

On constate dans l'Evangile que les femmes ont une place importante et que souvent elles comprennent mieux que les hommes ce qui se passe. Sur l'incompréhension des hommes, voyez la lecture des Actes des apôtres pour la fête de l'Ascension. C'est après la Passion. Après la Résurrection. le Christ leur est apparu pendant quarante jours et le quarantième jour, il y a quand même un apôtre (anonyme) pour lui demander : "Est-ce maintenant que tu vas rétablir la Royauté en Israël ?". Sur la compréhension des femmes, voyez la Vierge marie, "celle qui a cru" comme le lui dit Elisabeth. Voyez aussi Marie Madeleine, l'apôtre des apôtres, qui apprend aux apôtres la Résurrection. Sur la réacton des hommes à cette nouvelle, voyez les pèlerins d'Emmaüs : "Il est vrai que quelques femmes d'entre les nôtres nous ont bouleversé. Elles n'ont pas trouvé son corps Elles sont revenues dire qu'elles avaient même vu une apparition d'anges qui le déclarent vivant. Quelques uns de nos compagnons sont allés, ils ont trouvé les choses comme les femmes avaient dit. Mais pour lui, ils ne l'ont pas vu" (Lc 24, 22 sq). Peut-on dire plus clairement que la foi en la résurrection du Christ est d'abord le fait des femmes et que les hommes se la joue "positivistes" : nous n'avons rien vu !

Je crois que dans bien des couples, loin que la femme doive passer par l'homme, sur le plan spirituel, c'est l'homme qui s'en remet à la femme. Bref ce qu'on observe dans l'évangile, on peut continuer de le remarquer non pas dans tous les couples (pas de généralité !) mais dans beaucoup d'entre eux.

L'un des drames de l'Eglise, c'est que depuis les lois sur la Pilule et sur l'avortement, elle a souvent perdu les femmes...

La question d'Anisvert me fournit l'occasion d'essayer de mener clairement une réflexion sur ce qu'est la différence des sexes. C'est important d'insister sur ce point alors que l'enseignement de l'idéologie du "gender" devient obligatoire en classe de Première.

Que dit l'Eglise sur ce point délicat ?

Hommes et femmes partagent la même nature humaine. Au Ciel d'ailleurs, nous dit saint Paul, il n'y aura plus ni homme ni femme" (Gal. 3). Je crois que dans un couple, la conviction souvent masculine) que la nature féminine et la nature masculine existent avec leurs profils propres (des clichés le plus souvent) peut avoir des conséquences dramatiques sur l'équilibre puis sur la durée du couple.

L'homme et la femme, éternelle question. Leurs rôles naturels sont évidemment différents, mais ils ne sont pas différents en nature. Il faut bien peser ce paradoxe. Comment distingue-t-on l'homme et la femme dans la vie concrète et, va sans dire, en dehors de leur conformation différente ?

Jean-Paul II qui a étudié ces questions attentivement, préfère dire dans Mulieris dignitatem, que l'homme et la femme se distinguent l'un de l'autre dans leurs personnes et dans leur vocation...

"Quelle différence me direz-vous ? - surtout si vous êtes une femme. Vous faites du sexisme williamsonien. Vous avez arrêté votre pendule à l'heure très rétro de Féminisme et pantalon...".

La différence est très importante. Il ne faut jamais dire qu'il y a une nature masculine et une nature féminine auxquelles chacun des sexes devraient se conformer. Pas de modèles préfabriqués. Pas de : "Quand vous avez un doute sur ce qu'il faut faire demandez-vous : est-ce que ma grand mère aurait fait cela ?" [signé : Willy] Chacun des sexes subit un conditionnement culturel et surtout une appropriation psychologique qui dépend de chaque personne, de son tempérament, de son vécu, de ses dons etc. La sexuation est toujours reçue dans une personne qui la reçoit différemment d'une autre.

Ce qui est dramatique dans le féminisme ? Ce n'est pas la volonté qu'ont des femmes de se libérer de rôles qu'elles ne "sentent" plus, qui ne "collent" plus à ce qu'elles sont. Cela, ça me paraît normal. La société évolue, la culture évolue, les garde-fou sociaux tombent. Et chacun ou chacune réagit à cela différemment, selon sa culture. Certaines préfèreront se voiler pour revendiquer leur différence. D'autres joueront le jeu, sans pour autant perdre leur naturel. D'autres y perdront tout et d'abord leur naturel : je parle là des hommes accusés de machisme et qui deviennent des lopettes, Ou des femmes qui veulent absolument qu'on les considère comme étant des hommes comme les autres, qui sacrifient tout à leur carrière et, l'horloge biologique avançant, se font faire un enfant, la quarantaine entamée, dans la plus grande indifférence pour l'étalon : j'ai vu cela.

Mais me direz-vous, quel est le critère qui me dira quel genre d'homme ou quel genre de femme je dois être ?

Le critère n'est pas une idée platonicienne de ce qu'est (ou doit être) un homme ou une femme. Le critère est personnel. Il est celui de votre vocation personnelle. Et dans le cas le plus général, il est celui du couple que vous formez et de son équilibre interne. Il n'y a pas de rôle "par nature" de l'homme et de rôle "par nature" de la femme, mais il y a des rôles à l'intérieur d'un couple donné, où les défauts de l'un sont compensés par les qualités de l'autre (ce qui fait qu'on aime même chez l'autre ses défauts puisque c'est l'occasion de manifester ses qualités).

Exemple entendu plusieurs fois : "Est-ce normal, M. l'abbé, me demande-t-elle, chez nous c'est lui qui fera la cuisine ?". Réponse : c'est normal si cela s'inscrit dans un équilibre général de votre couple. En revanche, s'il fait la cuisine le ménage, les courses, le boulot et que madame condescend simplement à faire un enfant de temps en temps, parce que dans ce domaine on n'a pas encore trouvé moyen de la remplacer, c'est clair que cela ne marchera pas.

Attention : je parle ici des rôles. Je ne nie pas qu'il existe des constantes psychologiques, voire spirituelles - un éternel féminin et un éternel masculin - mais qui se manifestent différamment selon les personnes évidemment. Ici comme ailleurs il faut appliquer la grande lois personnaliste de l'analogie : autre dans les choses [ou dans les sujets] autres.

Certains aiment leurs idées préconçues parce qu'ils ne veulent pas se donner la peine de l'adaptation à l'autre... c'est-à-dire de l'amour. Ce culte des idées préconçus sur l'homme et sur la femme est la ruine du couple, qui ne se conçoit (cette banalité a quelque chose de profond) qu'entre des personnes !

Pour en revenir à cette idée de tutelle obligatoire de la femme par l'homme, elle fait penser à l'interprétation salafiste du Coran, plus qu'au christianisme...

Le christianisme reconnaît et aime les différences naturelles [dans le grec d'Aristote : phusikai] entre les deux sexes, comme exprimant la richesse du Créateur... Mais il soutient que ces différences ne sont pas des différences de deux natures [phusei dirait Aristote]. Les catholiques qui seraient intéressés par une distinction de nature entre les deux sexes, je leur recommande vivement la lecture de Julius Evola. Eh oui ! C'est chez lui que vous trouverez de quoi alimenter votre misogynie. Il y a une métaphysique des sexes chez les païens, un Masculin et un Féminin co-principes du monde, le Yin et le Yang. Pas pour nous autres monothéistes...

Est-ce à dire que la différence sexuelle est sans importance ? Non pas. Elle conditionne des vocations et des personnalités différentes. Mais parce qu'il n'y a pas une nature masculine et une nature féminine, mais simplement une nature humaine dans des hommes et des femmes, il faut ajouter que chaque homme porte une part de féminité et chaque femme a un aspect viril, d'où l'équilibre toujours différent dans chaque couple. Il y a des couples modèles assurément, mais pas de modèle de couples !

"Soyez viriles, mes filles !" demandait la Mère Thérèse à ses carmélites. Elle était sérieuse ! Il doit falloir une bonne dose de virilité pour être carmélite. Mais que veut dire la virilité chez une femme ? Le sens de l'Absolu, du don total sans état d'âme. Je crois qu'un homme n'y arriverait pas sans une bonne dose de féminité !

dimanche 5 juin 2011

Summorum Pontificum concerne *aussi* la discipline

la lettre en anglais - cliquez
dessus pour l'afficher en grand
NéoAthanase signale sur le FC cette lettre de la commission Ecclesia Dei, qui dit que NON, les filles ne sont pas admises au service de l'autel dans les messes selon la forme extraordinaire du rite, et qui justifie sa position par l'article 28 de la récente instruction Universae Ecclesiae. Lequel article stipule qu' 
"en vertu de son caractère de loi spéciale, le Motu Proprio Summorum Pontificum déroge, dans son domaine propre, aux mesures législatives sur les rites sacrés prises depuis 1962 et incompatibles avec les rubriques des livres liturgiques en vigueur en 1962"
En vertu de quoi, nous dit la commission Ecclesia Dei, la lettre circulaire  de 1994 (Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements), qui autorise les filles au service de l'autel, ne s'applique pas.

Jusqu'à maintenant, ce qui était concédé, c'était l'usage des livres anciens, mais la discipline actuelle s'appliquait. Pour théoriques qu'ils soient, la pratique de la Communion dans la main, ou le recours à des filles de choeur, auraient par exemple été possibles, à une messe tridentine. Tel n'est plus le cas, de par cet article 28, qui n'a guère été commenté lors de la publication d'Universae Ecclesiae.

vendredi 3 juin 2011

Ascension : fête de la... dualité chrétienne

Un peu de retard, pour fêter l’Ascension. Qu'importe ! Nous sommes liturgiquement dans les restes de l'octave de cette fête [octave : période de huit jours après les grandes fêtes, parce qu'il faut bien se temps là pour "réaliser" ce qui se passe]. Nous pouvons méditer sur ce Mystère jusqu'à la Pentecôte.

Il apparaît paradoxal de prime abord de fêter l'Ascension. L'Ascension est la fête de notre... séparation d'avec le Christ. Jamais plus nous ne le verrons sur nos chemins. Jamais personne ne pourra plus se vanter d'avoir parlé avec lui, d'avoir mangé avec lui, d'avoir vu son visage... C'est fini. Il est monté au Ciel et il est assis à la droite de Dieu.

En même temps, on peut dire à l'inverse que, lors de l'Ascension, le Christ est allé nous préparer une place auprès du Père, car il y a dans la maison du Père, des places, nombreuses. L'ascension représente ce moment au cours duquel le Christ mène à bien sa mission qui est de faire de nous, pauvres animaux pas très raisonnables, des fils et des filles de Dieu. Comment s'y prend-il ? En ennoblissant nos esprits au contact du sien. En s'adressant à la plus noble part de nous-mêmes. Nos esprits peuvent être corrompus à force de Moitrinerie. Le Christ les élève par sa bonne nouvelle, par sa science nouvelle, par sa charité nouvelle. Il nous donne la vie du Ciel, de fils et de filles auprès de Dieu.

De sorte que par le Christ, nous pouvons dire avec saint Paul : "Notre vie est dans le ciel". Le mot latin est pour "vie" est "conversatio" : nous sommes tournés vers le Ciel, nous passons notre temps à désirer le Ciel. L'Ascension du Christ est la nôtre, comme est nôtre par la foi tout son mystère.

Est-ce à dire que nous n'avons plus de vie terrestre ? Au contraire ! Dans la vie terrestre le moindre détail compte puisqu'il peut nous valoir la vie éternelle. La moindre attitude, le moindre acte, la moindre oeuvre. Souvenez-vous de la parabole des talents. il ne suffit pas de garder soigneusement son talent pour le rendre au Maître, il faut le faire fructifier.

On peut dire que le chrétien a vraiment... une double vie ! Et cela non pas par les arrangements extrêmement compliqués avec la réalité que tentent ceux dont on dit dans le monde qu'ils ont une double vie. Si nous avons une double vie, c'est par le don de Dieu.

C'est de cette dualité que naît la liberté chrétienne. On peut caractériser cette liberté de deux manières : d'une part elle est faite d'un élan vers l'infini, qui fait relativiser tout le fini [c'est à travers cet élan que saint Thomas démontre la liberté humaine supérieure à tous les attachements relatifs] ; d'autre part, selon la logique de l'incarnation et du mérite, elle investit le fini d'une aura qui est celle de l'infini : le moindre événement peut être un signe de Dieu ; le moindre objet d'amour un reflet de l'amour infini etc.

La morale chrétienne est donc fondée sur un paradoxe, que j'ai trouvé formulé magnifiquement dans la Vie de M. Pascal par Gilberte Périer sa soeur. Elle note que Pascal était à la fois infiniment tendre, qu'il marquait une grande "tendresse" (c'est le mot qu'elle emploie) envers ses amis mais aussi envers les pauvres. Mais, qu'en même temps, il voulait n'être attaché à rien, puisque seul Dieu lui apparaissait comme digne d'attachement. Ce mélange de "tendresse" et de "détachement" chez Blaise Pascal me semble la meilleure approximation de la synthèse morale chrétienne... dont on voit qu'elle est essentiellement libre.

mercredi 1 juin 2011

Il faut tout dire à Dieu

Merci à tous ceux qui ont répondu au message de détresse publié à la suite du dernier post. Je crois que ce qui manque le plus à une femme lorsque l'homme qu'elle a aimé devient violent et tourne cette violence contre elle, ce sont des mots de vraie consolation et si possible une amitié, qui permette de vider un sac trop lourd à porter et de vérifier, dans le regard d'un autre, que non on n'est pas nul, que l'on fait ce qu'il faut sous le regard de Dieu et qu'aucun sacrifice n'est jamais perdu.

Le langage du sacrifice est dur à entendre aujourd'hui. Mais dans certaines circonstances, forcément douloureuses, douloureuses quoi qu'on fasse, c'est ce langage qu'il faut réussir à se tenir à soi-même pour dominer les circonstances. Vous connaissez le mot de Bernanos, dans plusieurs de ses lettres à ses proches : "Je suis dans la main de Dieu. Va-t-il serrer ?"

Le plus urgent : ne pas craquer. Faire face. Et pour cela : que l'Esprit saint s'unisse à notre esprit pour le renforcer. J'avoue que je ne crois pas beaucoup dans les organisations (qui font ce qu'elles peuvent, mais de l'extérieur). Je crois au grand allié de tous nos combats, je crois au Saint Esprit, je crois qu'il y a un dialogue permannent avec lui (qu'on l'appelle de ce nom ou d'un autre peu importe) et qu'il ne faut jamais rompre ce dialogue intérieur, sous peine de se retrouver dans une solitude irrémédiable. La société actuelle agit comme une gigantesque centrifugeuse, qui nous plaque à la surface de nous-mêmes. Nous avons à l'intérieur de nous des richesses insoupçonnées. Pour les entretenir, pour les redécouvrir ? il faut parler à l'hôte intérieur. Voyez (ou allez voir) dans The tree of life, le jeune Jack, qui doit être un double de Terrence Malick. il veut tuer son père, tellement est lourde la chape de silence et d'obéissance dont s'entoure ce père abusif (et animé par ailleurs des meilleurs intentions du monde). Mais ce jeune Jack, même animé des pires intentions, il prie. Il dialogue sans cesse avec Dieu, jusqu'à lui dire à un moment : "Tue-le ! Tue-le !" Les bonnes âmes crieront au sacrilège. Elles n'ont rien compris. Le Saint Esprit n'a pas peur de nos injustice, de nos ordures, petites ou grandes. Pas même de nos haines. Mais il ne faut pas rompre le dialogue avec lui et ne pas craindre de le ré-ouvrir. Comment ? mettez-vous à genoux. Dans une église peut-être, c'est souvent plus facile. Offrez-vous ! Au moment où vous vous donnez vous-même à Dieu, il se donne à vous, avec son esprit [son intelligence, sa vision de l'existence], sa force [pour compenser votre faiblesse] et sa puissance sur les événements, qui tourneront en votre faveur.

J'ai rencontré ce soir quelqu'un qui m'a expliqué qu'il sortait d'une passe extrêmement difficile (je ne préciserais pas davantage). Il pensait n'avoir que quelques jours à vivre. Il a redécouvert Dieu, il s'est remis à lui parler... Je me suis permis de lui dire : les Eglises vont mal et certains croient que leur rôle est terminé. Mais Dieu est au fond du coeur de l'homme. Ce n'est pas la raison discursive qui le découvre, c'est la compréhension intuitive du Mystère du monde, auquel renvoie le mystère de notre naissance et de notre destinée. Le mystère de notre mort... Tellement logique, attendue, cette mort, et tellement scandaleuse. A la fois naturelle et antinaturelle.

Est-ce qu'on fait dans le subjectivisme en affirmant que Dieu est au fond du coeur de l'homme ? L'Evangile nous le dit : "Le Royaume de Dieu est à l'intérieur de vous".

Je voulais aussi vous parler de saint Thomas d'Aquin sur ce sujet. J'ai le bonheur de donner un cours sur la Somme théologique, chaque lundi soir au Centre Saint Paul, avec des personnes de toutes formations. Cette année était au programme la Première Partie de la Deuxième Partie sur les principes généraux de la vie morale. Nous en étions à la Question 106, sur la loi nouvelle, la loi de l'Evangile. Saint Thomas d'Aquin se demandait : "Est-ce que la loi nouvelle est une loi écrite ?". Réponse : non. La loi nouvelle est écrite dans nos coeurs. Nos coeurs sont les parchemins sur lesquels elle est profondément gravée. Il y a comme disait Tertullien "un témoignage de l'âme naturellement chrétienne". Pour que ce témoignage soit rendu, que faire ? Peut-être juste redécouvrir qu"'on a une âme, c'est-à-dire recommencer à parler avec Dieu, le prendre à témoin, l'inviter dans tous nos débats intérieurs.

J'ai rencontré une autre personne ce soir, qui se reconnaîtra sans doute en lisant ce texte et qui me disait combien elle avait pu aider l'Eglise, et très concrètement sa paroisse, en donnant aux enfants son expérience d'entrepreneur chrétien et sa culture de littéraire impénitent. Mais, me dit-il, l'Eglise, quand même ! Cela me faisait l'effet d'un sectarisme. Il a hésité sur ce mot. Je lui ai suggéré "cléricalisme", en insistant sur le fait que les prêtres avaient forcément des réflexes de boutiquier et qu'ils voulaient leurs ouailles à l'abri. Réflexe sécuritaire bien compréhensible !

Comme il insistait sur le doute, je lui ai répondu que la foi et le doute font bon ménage. C'est l'absence de doute, le matérialisme bétonné, la foi athée qui s'oppose à la foi chrétienne. Mais pas le doute ! Son doute sur la résurrection a mené saint Thomas apôtre, jusqu'aux Indes !

A partir de là, je me suis permis (ce qui ne se fait pas dans les dîners en ville j'en ai conscience) de lui parler de la Question 106 de la Somme théologique : la foi est un élan personnel suscité, en chacun, par le Saint Esprit. La Loi nouvelle n'est pas une loi écrite... Ou plutôt, comme le précise saint Thomas, elle l'est secondairement ("secundario") à titre de préparation ("dispositive"). Qu'apportent les prêtres ? Qu'apporte l'Eglise ? Non pas une gestion des âmes. Non pas une autorité sur les âmes. Le rôle de l'Eglise est de mettre à la disposition des fidèles les formes liturgiques, théologiques, catéchétiques, qui lui permettront d'avancer droit.

C'est dans cette perspective que l'on voit le drame d'un certain esprit du Concile qui, suite au discours introductif de Jean XXIII, distingue le fond et la forme du message chrétien, en méprisant les formes, considérées comme purement accidentelles par rapport au fond. Le problème, c'est que à considérer ces formes comme accidentelles, l'Eglise qui en était la gardienne attitrée, a perdu sa raison d'être, avec à la clé, parfois, la tentation de gérer "le fond".

Plus que jamais, il faut répéter cette phrase lumineuse de Félix Ravaisson : "Tout le christianisme n'est qu'une préparation". Préparation à quoi ? A la rencontre personnelle avec Dieu, dont parle la Question 106. Préparation à ce que les thomistes appellent encore : la grâce efficace. Le mystère de cette rencontre, l'Eglise peut le préparer. Elle ne peut pas le produire. C'est à chacun de se prendre en charge devant Dieu. Et pour cela d'abord, encore une fois : ne jamais rompre le contact. On peut tout dire à Dieu... même des horreurs, si on le prie, jusque dans le péché, jusque dans la révolte et l'incompréhension... Peu importe. Si on s'adresse à lui, il ne nous laissera pas tomber.

C'est tout le message de the tree of life, message que l'on ne trouve pas chez Bernanos, que l'on découvre peut-être dans les Frères Karamazov de Dostoievski, lors de la rencontre entre Aliocha et le starets Zossime : si tu ne romps pas le dialogue avec Dieu, Dieu ne rompra jamais avec toi. Dans le film, le jeune Jack (Hunter McCracken simplement inspiré) s'est révolté contre Dieu. Il a pensé que Dieu pouvait être méchant puisqu'il permettait les choses méchantes. Et en même temps, c'est à travers la conscience qu'il a de son péché qu'il revient à Dieu [voilà justement le thème de Dostoïevski]. Il a péché, comme l'adolescent violent qu'il est... Mais il a conscience de ce péché et il continue à parler à Dieu : "Ne me regarde pas, je ne peux pas te parler !" Il parle à Dieu pour lui dire qu'il ne peut pas lui parler ! Dieu ne rompra jamais avec lui...