samedi 9 avril 2011

Vingt septième billet de Carême : samedi de la quatrième semaine

"Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père" (Jean 8, 20)

Dans cette simple phrase, le Christ nous emmène, d'un coup d'aile, au coeur du Mystère de Dieu. Dans l'Evangile de saint Matthieu, on trouve la même idée, exprimée de façon non polémique : "Personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler" (Matth. 11, 27).

Dans ces deux phrases, il faut souligner que c'est le Mystère du Fils qui nous fait connaître le Mystère du Père et non l'inverse. Nous n'avons pas connu le Père avant que le Fils nous enseigne à dire : "Notre Père"...

C'est qu'il y a deux manières de comprendre la Paternité de Dieu, la chrétienne et celle qui a cours jusque dans le Polythéisme antique voire dans le néoplatonisme de Proclus où l'on parle facilement du Père des dieux ou d'un dieu Père pour introduire une sorte d'unité entre les forces divines par remontée à un Principe unique. Comme disait déjà Plotin au IIIème siècle, justifiant le polythéisme des Grecs : "La multitude des dieux n'empêche pas mais manifeste la gloire du Principe". La Paternité de Dieu renverrait ainsi simplement à l'existence d'un Principe, l'Un, le Bien ou quelque autre Nom que l'on veuille lui donner.

Toute autre est la perspective chrétienne : "En arché èn ho logos". Au commencement, ce n'est pas le Père qu'on trouve, c'est le Logos ou, comme on dit en latin, le Verbe. Dans la Pensée grecque, de façon au fond purement logique, la paternité divine est la figure des commencements. Dans la Pensée chrétienne, c'est le Fils, Unique engendré, Monogénès, qui est au Commencement de la Révélation. On retrouve cette idée provocatrice jusque dans l'ordre que propose le Christ à notre méditation : "Personne ne connaît le Fils". "Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père". Le Mystère du Fils n'est pas antérieur au Mystère du Père, mais il nous le fait connaître, il nous le manifeste. Il est antérieur pour nous.

Sortons de la perspective grecque païenne. Elle est ancienne. Venons-en à aujourd'hui. Trop souvent, trop facilement, nous imaginons que le Père est le dieu commun à tous les hommes et que, nous les chrétiens, nous avons un autre Dieu, un peu encombrant il faut bien le dire, qui serait le Fils. Juifs, musulmans, chrétiens, nous pourrions tous prier le Père... en attendant de prier le Fils. Et après tout.... le Fils attendra. Le Saint Esprit itou.

Nous ne nous rendons pas compte de cette idée simple qu'il n'y a pas de Père sans un Fils. La Paternité de Dieu, de manière nécessaire, nous est révélée à travers son Fils. Qui nie le Fils nie le Père. Ce n'est pas un hasard si les musulmans refusent de parler de la paternité de Dieu. C'est, disent ils, que Dieu n'a pas de fils. Logique. Quant à nous... nous ne le sommes pas.

Dans l'Ancien Testament, de même, l'invocation à Dieu Père est rarissime, elle est souvent tardive et inspirée des Grecs. Seul le Fils invoque le Père et Il nous enseigne à le faire. C'est que seul Il le connaît. La Paternité du Père n'est pas une manière vaguement figurative de dire l'Origine, comme chez Proclus, ni une manière vaguement cavalière de se débarrasser du Fils comme chez nous. Elle indique une qualité d'amour toute particulière et une relation unique, non seulement la relation du Créateur à la créature ou de l'Origine à ce qui provient de l'Origine, mais une relation d'amour, c'est-à-dire de choix, d'échange, de fusion sans confusion.

Ce que le Fils a révélé à qui il veut ? Cet amour justement que l'on appelle élection ou choix. Ce que le Fils a révélé ? C'est qu'en Lui et comme Lui nous devenons des fils et des filles du Père. C'est le début de l'Epître aux Ephésiens qui nous livre quelque chose de ce Mystère : "Bénis soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus Christ. Ne nous a-t-il pas élu en lui dès avant la création du monde pour être saints et sans tache à ses yeux ? Ne nous a-t-il pas prédestinés à devenir ses enfants adoptifs par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de sa grâce magnifique, dont il nous a gratifié dans le Bien aimé" (Eph. 1, 3-5).

Tel est le sens de l'élection d'Israël. Tel est le sens de la prédestination qui a fait couler tant d'encre, parce que, depuis Calvin et Luther on a cherché à inventer une prédestination au mal. La prédestination et l'élection sont deux faces du mystère de la Paternité de Dieu, qui s'accomplit en tout chrétien, quelle que soit son origine ethnique. Si nous le voulons, nous sommes aimés de Dieu car nous devenons, par greffe, dans le Fils ineffable, dans le Bien aimé comme dit saint Paul, des bien aimé(e)s du Père.

Prions-nous vraiment le Père ? Nous adressons nous à Dieu comme à notre Père ? Nous sentons nous vraiment des fils aimés de Dieu comme dit encore saint Paul ? Dans un très beau petit livre intitulé Qui est le Dieu des chrétiens (éd. Salavator), Mgr Batut explique : "Lorsque la paternité de Dieu s'étendra à d'autres que le Christ, cette extension ne pourra jamais s'entendre autrement que comme une greffe, comme une inclusion dans le Christ, qui ne remet pas en question l'unicité du Christ".

2 commentaires:

  1. Je suis d'accord, mais c'est bien difficile à comprendre. Jésus a dit qu'il était venu pour les simples d'esprit (c'est à dire pour l'homme de la rue), pas pour les savants. La petite Sainte Thérèse elle même ne s'y rerouverait plus. Faites nous une religion pour les gens simples. Cessez de jouer le Femmes savantes (la sympathie de Molière le portait plutôt vers les servantes qui avaient du bon sens comme Dorine).

    RépondreSupprimer
  2. La condition de l'adopté, c'est celle de l'enfant abandonné dès l'origine. La chair, pour autant que je puis en saisir la nature profonde, c'est l'abandon originel. L'adoption divine greffée sur le Bien-aimé du Père, c'est Dieu Qui abonde l'abandon. Reste que le Mystère de la filiation, celui qui nous est révélé le premier, ne nous est pas si facile à comprendre:. moins pourquoi c'est par génération non spontanée que nous arrivons au monde, que pourquoi la filiation, d'après l'Hébreu, nous indique un Mystère de fléchage. Notre vie semble être fléchée par notre filiation. Fléchée, notre vie est dirigée, prédestinée, même si c'est pour l'amour et positivement. Fils, nous sommes la cible d'une volonté qui nous rappelle, non seulement que la vie nous dépasse, mais qu'il n'y a pas de liberté si nous refusons de reconnaître ce dépassement et de nous insérer dans le Plan de celui qui a une volonté sur nous, Volonté Qui, a priori, nous paraît antinomique de Son amour. Car autant pouvons-nous finalement accéder à ce qu'aimer soit vouloir dans l'ordre de la persévérance en ce qui nous concerne; autant, de prime abord, nous ne concevons pas que l'expression de l'Amour dont nous sommes l'objet soit une volonté Qui semble nous priver de toute latitude. A moins que nous prenions le problème à l'envers: si, de notre côté, aimer, c'est vouloir, étant entendu que nous sommes incapables d'aimer Dieu qu'Il ne nous ait Aimés le Premier; sans avoir l'outrecuidance de nous figurer que nous serions en mesure de peser l'amour de dieu, nous pouvons nous rendre compte qu'être aimés, c'est être voulus, comme on dit (et comme il se vérifie) qu'il ne saurait y avoir d'enfant heureux que désiré, indépendamment de la terminologie du "projet parental". Eh bien, si être aimé, c'est être voulu, nous qui ne saurions commencer par aimer dieu que nous ne nous en soyons sentis aimés, voilà que sa volonté nous devient plus qu'acceptable: une véritable bénédiction!

    RépondreSupprimer