vendredi 22 avril 2011

Trente-huitième billet de Carême : Vendredi saint

"Voici votre Roi" (Jean 19, 14)

Nous lisons en ce Vendredi saint la Passion selon saint Jean, qui nous offre quelques développements intéressants sur la personne de Pilate, le procurateur romain, qui seul, à cette époque, avait droit de haute justice en Palestine, qui seul avait pouvoir de vie et de mort et que les Princes des prêtres, les scribes et les anciens saisirent pour faire condamner Jésus.

Il est question d'un Pilatus dans les Annales de Tacite. C'est un personnage de la gentry romaine de l'époque, certainement un juriste et en même temps un politique. Il fait une carrière dans la Haute magistrature romaine et ce poste en Palestine, qu'il va tenir 10 ans d'après Flavius Josèphe, apparaît comme particulièrement exposé. Pilate, à l'évidence, se méfie de ceux qui lui ont envoyé Jésus. Il cherche à comprendre leurs véritables raisons. Il sent qu'il ne s'agit pas d'un condamné ordinaire - sa femme n'a-t-elle pas eu un songe à ce sujet ? - c'est pourquoi il l'interroge lui-même. Le processus juridique suivi en l'occurrence est extraordinaire - que les autorités juives défèrent à sa justice haïe, à sa justice de goy, à sa justice d'Occupation, un prisonnier. Le plus curieux est que le motif de sa condamnation paraît politique : les autorités juives reprochent au Christ de s'être fait roi. Elles tiennent Pilate par là : "Si tu le relâches, tu n'es pas l'ami de César. Quiconque se fait roi s'oppose à César" (19, 12).

De quelle royauté s'agit-il ? Pilate cherche à comprendre, pour excuser, pour absoudre, pour... ne pas avoir ce sang sur les mains. Tout à l'heure, il se les lavera théâtralement ces mains ! Il interroge donc ceux qui lui amènent ce prisonnier ; il n'est pas déçu de son voyage dans les us et coutumes de ce Pays unique. Voici ce qu'il obtient : "Nous avons une loi et selon cette loi il doit mourir car il s'est fait l'égal de Dieu" (19, 7). Étrange royauté ! Le vrai motif des juifs contre Jésus est le blasphème. Il y a une incompatibilité entre la Loi juive sur le blasphème (qui prévoir la lapidation pour le coupable) et la dignité divine revendiquée par Jésus. C'est ce que comprend saint Paul quand il affirme avec force que dans le Christ la foi remplace la loi. Mais n'anticipons pas !

Pilate n'en pouvant plus interroge l'accusé, espérant avoir une clarification de sa bouche. Dans un premier temps, Jésus ne réponds pas un seul mot. Irritation de son juge. "Ne sais-tu pas, dit Pilate le juriste, que j'ai pouvoir de te crucifier et pouvoir de t'absoudre ?". Le Politique est ici naïvement totalitaire. Il peut tout ! il a tout pouvoir. La vie, la mort ne sont rien pour lui. A toutes les époques, la Royauté du Christ rencontrera, dans un choc toujours frontal, la démesure des politiques, leur prétention. Le totalitarisme ne date pas d'aujourd'hui.

Jésus répond, ni pour se défendre lui-même, ni pour s'expliquer. C'est le politique qu'il tacle : "Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut" Saint Paul toujours lui dira au chapitre 13 de l'Épitre aux Romain : "Il n'y a pas de pouvoir, sinon de Dieu". Et il continue, terrible juge de ses juges : "C'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché" (19, 11).

Pilate a de moins en moins envie d'être mêlé à cette affaire. Les Juifs l'instrumentalise, il l'a compris. Ils veulent appliquer leur loi sur le blasphème et ils invoquent la loi de Rome, en disant que celui qui se fait roi ne peut pas être l'ami de César. Pilate va tâcher de leur renvoyer la balle. Il s'adresse donc non pas à la petite élite de ceux qui lui ont livré Jésus, mais à la foule. il le fait dans une mise en scène étonnante. Dans le Lithostrotos, au lieu dit Gabattha en hébreu, il fait asseoir Jésus. La position assise est celle de celui qui possède tranquillement une légitimité. Il dit donc à la foule : "Voici votre Roi", escomptant que la foule ne mettrait pas à mort ce Roi auquel elle avait fait un triomphe dans les rues de Jérusalem quelques jours auparavant. En même temps, de sa part, c'est une sorte de Prophétie involontaire, comme il dira aussi : "Voici l'homme". La foule versatile et qui ne veut pas avoir eu tort a oublié son enthousiasme des jours précédents. Elle s'acharne sur le prisonnier, qui n'a qu'un tort en l'occurrence pour elle , celui d'avoir perdu : "Nous n'avons pas d'autre roi que César".

Jamais la Royauté de Jésus n'est affirmé aussi clairement qu'au cours de sa Passion, en particulier chez saint Jean. On retrouve le même thème dans l'Apocalypse : c'est l'Agneau immolé qui est digne de recevoir la puissance et la divinité. Nous verrons demain de quelle royauté il s'agit. Chez les synoptiques, la royauté du Messie vient de son titre de fils de David. Mais là, devant Pilate, la lignée davidique du Messie est loin. Parvenu à ce moment terrible de la Passion, la Royauté de Jésus, nous le dirons, n'est plus seulement généalogique et juive. Elle est universelle, comme la vérité qu'il dévoile et dont il est le "témoin fidèle".

2 commentaires:

  1. Est-ce que Pilate sortait de l'ENA ? En tout cas, il savait ouvrir le parapluie tout comme un préfet de la République française ou un Gouverneur général du temps des colonies.

    Moralité de l'histoire : quand on est un "petit" il ne faut pas tomber dans les pattes des puissants, on en sort écrabouillé.

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  2. Cher Monsieur l'abbé,

    Il faut que nos esprits soient décidément faits pour se rencontrer; car en accompagnant la messe du vendredi saint dans ma paroisse, et en écoutant attentivement et aussi pieusement que possible l'Evangile de la passion, tout à coup, me vient cette hypothèse politique qui ne m'avait jamais effleuré: et si Pilate s'était dit qu'on lui amenait là le vrai "roi dynastique des Juifs"au lieu de cet Hérode de pacotille! Pilate est un administrateur de l'empire romain et, parce que cet administration est fondée sur le droit, il n'a pas du tout envie de commettre la forfaiture à laquelle on veut l'associer: tuer le vrai roi des juifs pour éteindre la dynastie et, ainsi, livrer la province à l'anarchie! Qui sait s'il ne pensait pas à mettre Jésus sur le trône dont il aurait renversé Hérode? L'administration romaine est légitimiste. Elle soumet des contrées, mais y rétablit des pouvoirs légitimes, pourvu que ceux-ci soient prêts à pactiser avec l'occupant. Ce légitimisme est comme une forme de piété. Les Juifs, les grecs et les romains ont en commun d'avoir une religion de la loi! Dans cette lecture du dilemme auquel est soumis Pilate, la lignée davidique, quoiqu'en effet jamais directement évoquée par Saint-Jean, est tout le problème. Pilate est terriblement embarrassé par ce qu'on lui fait faire: on lui a tendu un piège, pareil aux mille pièges dans lesquels on a essayé de faire tomber Jésus. Il ne peut pas s'en extirper, mais il ne s'en "lave pas les mains", selon le sens qu'a pris l'expression populaire en se méprenant sur le geste de celui qui en a été à l'origine. Il s'en lave si peu les mains qu'il fait écrire, et en trois langues s'il vous plaît,
    "Ici gît Jésus, le roi des Juifs!"
    On veut lui faire ôter son écriteau, il répond
    "ce que j'ai écrit, je l'ai écrit!"
    Ce qui me donne l'occasion de revenir à une autre discussion que j'ai eue avec un anonyme sur l'oral et l'écrit: Pilate a écrit par défaut, mais il aurait préféré sauver Jésus qu'écrire Son épitaffe! L'ennui, c'est que Jésus se réclame d'un témoignage à la Vérité qu'Il doit rendre, et semble ne faire quasiment aucun cas de la loi. Pilate et Jésus ne parlent pas le même langage, ce qui empêche le procurateur de porter secours au Rédempteur.

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