samedi 26 mars 2011

Quinzième billet de Carême : samedi de la deuxième semaine

"Père, j'ai péché contre le Ciel et contre vous, je ne suis plus digne d'être appelé votre fils"(Lc 15,18 et 15, 21)

Le Fils prodigue ! Combien de fois n'avons nous pas lu cette parabole... Elle fait partie des trois paraboles de la Miséricorde que vous pouvez lire au chapitre 15 de saint Luc : la brebis perdue, la drachme perdue et celle-ci : le fils prodigue, le fils perdu et retrouvé. Le Christ propose ses paraboles pour expliquer son attitude et se justifier vis-à-vis des Pharisiens, qui murmurent : "Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux".

Dans les trois cas, brebis perdue, drachme perdue, fils perdu par un Père aimant, on peut dire : peu importe que l'on se perde loin du Christ du moment que l'on ne s'entête pas, que l'on ne s'endurcisse pas, que l'on se laisse retrouver par lui. Certains à force de résister à la grâce de Dieu qui les sollicite sans bruit, finissent par se durcir. C'est au bout de cet endurcissement qu'il y a l'esclavage du péché, la révolte et finalement l'enfer. Je le redis ici : en enfer, il n'y a que des volontaires. Mais souvent on se laisse endurcir, sans se rendre compte que l'on a "un coeur de pierre" au lieu d'un coeur de chair".

La seule qualité du fils à papa dont le Christ nous conte l'histoire... ce n'est pas son amour du Bien, ni son respect pour son père ou pour les biens de sa famille, qu'il va dépenser "avec les prostituées", ni sa force de caractère (égale à zéro), ni son discernement dans le choix de ses amis, ni les compétences (il ne sait rien faire) etc. Non : la seule qualité de ce pauvre garçon, c'est qu'il n'a pas tardé à écouter la voix de sa conscience. Encore l'a-t-il fait dans un calcul... assez sordide : "les ouvriers de mon Père sont mieux logés, mieux nourris que moi qui suis son fils".

Ce fils prodigue, c'est "l'homme sans qualité"... Ainsi le Christ lui-même nous le décrit-il, n'hésitant pas à manger avec les cochons, parce qu'il a faim. Où est le respect que n'importe quel être humain se porte à lui-même ? De qualité, pour tout dire, il n'en a qu'une, c'est qu'il SAIT qu'il n'en a pas eu... "Je ne suis plus digne d'être appelé votre fils". Humilité. Vérité. On ne peut rien faire sans cette base. Mais elle est à la portée de tous. il suffit de cesser de se prendre pour le centre du monde.

Ce qui est grave, ce n'est pas le péché... En cela le christianisme n'est pas un moralisme. On a assez reproché au Christ d'avoir dit aux gens pieux de son époque : "Les publicains et les prostitués vous précèderont dans le Royaume des Cieux". Ce qui est grave, c'est le manque de vérité intérieure, l'incapacité où l'on se trouve de se voir tel que l'on est. Les Pharisiens, par exemple : ils respectent la loi à la virgule près. Excellent ! Mais ils le font pour eux-mêmes, ils ont déjà leur récompense. Au dedans, eux aussi ce sont des fils prodigues. Alors pourquoi n'obtiennent-ils pas le même accueil de la part du Père des Cieux. Pourquoi eux se trouvent-ils condamnés ? Ils ont certainement beaucoup plus de qualités que le fils prodigue. Mais ils ne veulent pas se regarder en face. Ils ne se connaissent pas eux-mêmes dans leur nudité. Ils se déplacent avec toutes sortes d'impedimenta qu'ils confondent avec ce qu'ils sont.

En écrivant cela, je pense au témoignage de thierry Bizot, dans son livre Catholique anonyme (on ne retrouve pas cette phrase dans le film Qui a envie d'être aimé que l'on a tiré de son témoignage) : "Moi aussi, je suis un bras cassé. Ce producteur télé, plutôt beau gosse, a tous les signes extérieurs de l'élite. Lorsqu'il se retrouve à une session du Chemin Néocatéchuménal, il regarde les autres, des paumés, des épaves : il se trouve très bien. Cela dure plusieurs séance au cours de la session. il se convertit lorsque enfin il reconnaît : en réalité, ma réussite mise part, moi aussi je suis un bras cassé. Pudeur ? Il ne précise pas pourquoi il a compris cela. Est-ce parce qu'il n'avait pas osé dire à sa femme que le Christ... l'intéressait, le motivait, le assionnait ? Peut-être. Chacun à son secret. Mais tant que l'on ne s'est pas reconnu, en face du Christ comme "un bras cassé"... on n'a avancé à rien.

Enfant sage, premier prix de catéchisme, épouse modèle, cadre entreprenant qui enchaîne les succès... Oui... Et alors ? "Nous sommes tous des bras cassés".

Autre formule, qui a le même sens : les dernières paroles de Mgr Lefebvre, l'évêque de fer. On ne leur a pas fait beaucoup de publicité : "Nous sommes tous ses petits enfants".

Est-ce que nous sommes tous des fils prodigues ? Sans doute pas. Mais le fils prodigue a un avantage, par rapport aux fils sans problémes, qui sont "bien sous tous rapports", économes, fidèles, travailleurs etc. Ils sont obligés de casser l'armure plus vite. Ils ne peuvent pas se réfugier dans la haute opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. Ils ne peuvent pas s'enfermer dans leur "idéal du moi". Ils doivent d'urgence se remettre en cause, mettre bas le masque qui ne les cache plus. Les gens biens, eux, parce que tout va bien pour eux, ils peuvent porter le masque jusqu'au bout et passer à côté de leur destinée.

Nous ne sommes pas des fils prodigues ? Nous ressemblons davantage au fils aîné de la parabole ? Faisons au moins un effort de simplicité. "Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?" demande saint Paul. "Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ?". C'est le premier réflexe du fils prodigue. il reçoit son héritage, ce capital que le père avait amassé avec amour pour ses enfants et... il le cnsomme. il le consume. Il fait comme si il ne l'avait pas reçu. même si nos qualités sont grandes, ne nous comportons pas comme si nous ne les avions pas reçues. Ne faisons pas comme si nous n'avions aucun compte à rendre. D'une certaine façon, nous sommes tous des fils prodigues.

Le fils aîné, lorsqu'il critique la bonté de son père qui a organisé la fête pour le prodigue, que fait-il ? Il revendique un droit sur son père, le droit de juger de sa bonté... N'est-ce pas une attitude égocentrique ? N'est-ce pas dans un ordre purement moral, quelque chose qui analogiquement ressemble à ce qu'a fait le fils prodigue dans sa vie quotidienne ? Le Fils aîné fait comme si l'argent du Père était déjà le sien, mais... différence avec le prodigue... lui n'a pas conscience de cette captation d'héritage.

Que lui dit le Père ? On fait toujours attention à la bonté, à la sollicitude du Père envers son cadet, le prodigue. Mais on ne remarque pas la délicatesse du Père envers cet aîné trop sûr de lui. Le Père exauce son fils aîné, encore plus que son cadet. il va à la rencontre de ses voeux intimes d'aîné fidèle. Et il les dévoile, ces voeux, et il rassure son aîné qui, lui, a sans doute craint une nouvelle compétition pour un deuxième héritage donné trop libéralement au prodigue qui n'a plus rien.

Voyez le Père, dans les entrailels de sa Bonté. Il s'écrie : "Toi mon enfant..." Notez la tendresse et continuons : "Toi mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi". Le Fils aîné a fait comme si il pouvait décider lui de la manière de dépenser l'argent. Eh bien ! Avec une infinie miséricorde, le Père le conforte dans sa fidélité, en soulignant qu'elle ne sera jamais oubliée.

On pense à saint Paul, écrivant aux Romains, à propos des juifs, qui sont "nos frères aînés" : "les dons de Dieu sont sans repentance". "Tout ce qui est à moi est à toi".

Le Christ ne nous dit pas si le frère aîné a, lui aussi, été touché de la bonté de son Père. Il se contente de nous montrer cette bonté, sans donner de suite à la deuxième partie de l'histoire. Dans l'Ecriture, on sait ce qu'il peut advenir de deux frères en rivalité. C'est l'histoire de Jacob, subtilisant à Esaü son droit d'aînesse. C'est la terrible histoire de Caïn tuant Abel.

Que nous apprend-elle ? A d'autres endroits et en d'autres contextes, par dépit, par jalousie, le frère aîné entre en rivalité, il veut se croire supérieur, par ce que les Latins appellent la "superbia", la volonté de l'emporter, d'être "super" et supérieur à l'autre. Ce genre de rivalité peut faire du jaloux un tueur, c'est l'histoire de Caïn.

je pense avoir montré combien, que ce soit pour le fils prodigue ou pour le frère aîné, la vertu essentielle, sans laquelle rien n'est possible, c'est l'inverse de la superbia : l'humilité, c'est-à-dire la vérité avec la simplicité. Nous voulons allé à Dieu par l'excellence de toutes les vertus. Nous oublions que le seul moteur de notre vie spirituelle, c'est l'humilité. Seul moteur ? Parce que sans lui, il n'y a pas de charité véritable.

Personne parmi nous, fils prodigue ou frère aîné, ne peut faire l'économie de cette phrase que le pauvre cadet, mangeant dans la bauge avec les cochons, avait soigneusement préparée et qu'il se répétait comme nous devons nous la répéter à nous-même : "Père, j'ai péché contre le Ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être appelé votre fils".

Ce Domine non sum dignus, il n'est jamais facultatif lorsqu'on s'approche de Dieu.

3 commentaires:

  1. Vous avez raison, mon Père, le christ ne lève pas un coin du voile sur la deuxième partie de l'histoire. Comme si Dieu par le christ ne voulait pas à nouveau "manquer une éducation" et suggérer malgré Lui l'hommicide, il ne redit pas à caïn, le fils aîné:
    "Le péché est tapi dans l'ombre de tes intentions."
    Mais l'histoire a plutôt démontré en Jacob, et plus tard en l'Eglise, qui représente ce fils prodigue, cherché aux marges de la paternité biologique, que le cadet profite souvent de se sentir aimé d'un amour si prodigue qu'il s'imagine avoir tous les droits, et c'est lui qui capte l'héritage, ne laissant rien au fils aîné, se montrant même un frère ingrat, ce dont l'aîné, on le comprend, conçoit pour lui de la rancoeur.

    Malheureusement, de se sentir aimé ne donne pas toutes les qualités ultérieures à l'enfant prodigues. Mais cela lui procure des qualités antérieures, soit qu'il ait de tout temps été le chouchou de son Père, soit qu'il ait mieux compris le coeur de celui-ci, la seconde hypothèse pouvant expliquer la première.

    Le fils prodigue a demandé à son père la part d'héritage qui lui revenait, et choisit de vivre comme quelqu'un qui n'est pas sûr de pouvoir en profiter dans une autre vie. Il investit ses espérances de jouissance dans cette vie-ci. Le fils aîné, dont la fidélité est inscrite dans les cieux, s'économise pour la vie future. Le fils prodigue s'ennuie ferme au royaume de son Père: il aspire à un "ailleurs", à des lointains; il est déjà happé vers le ciel, qui n'est peut-être que le ciel de gagarine ou des oiseaux. Le fils aîné aspire à la vie éternelle, mais avec convoitise: il amasse pour elle. Il n'est attiré vers aucun ciel, il est attiré par la passion de demeurer, de durer, de s'accrocher, de ne pas se perdre, ni lui, ni son identité, ni sa stabilité. Si fils aîné et fils prodigue s'ennuient au Royaume de leur Père, du moins le fils prodigue a remarqué quelque chose qui a échappé à son frère: c'est combien était bon ce père, combien on était bien traité par lui:
    'Tant d'ouvriers chez mon père ont du pain en abondance..." Le fils aîné, au contraire, est dans une récrimination, qui ne date pas du retour du fils prodigue:
    "Il y a tant d'années que je suis à ton service (....) et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis."
    Le Père aurait pu lui répondre:
    "Mais, mon fils, tu ne me l'as pas demandé. Je te croyais heureux ici, je croyais que tu ne manquais de rien."
    Le Père n'a pas fait attention, parce qu'entre le fils aîné et le père, un obstacle s'était dressé: celui de la peur, la peur qui coupe les vannes de la communication; la peur qui fait que, si quelqu'un reçoit un regard de travers, il est capable de vous poignarder. Le Père était loin d'en être là avec le fils aîné : ils croyait qu'ils étaient sur la même longueur d'onde, mais le fils aîné avait la même peur de son Père que celui qui n'avait reçu qu'un talent.

    Il y en a un, le fils prodigue, celui qui s'est éloigné, qui savait que tous les biens de son Père étaient à sa disposition depuis le commencement; et puis un autre, le fils aîné, qui ignorait que son Père était bon. Cela rendait son service servile, cela eût pu pousser le Père à s'attacher davantage au fils cadet.

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  2. Pas sûr que Musil se retrouverait dans ce type d"homme sans qualité"...
    Pas sûr que Dieu finalement ne préfère pas les fidèles qui n'ont pas (gravement) péché( Ste Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face ...et tant d'autres. Il faudrait quand même le dire, car sinon, on retombe dans cette ambiance sans héroïsme, sans "perfectionnisme", sans ambition ou du fait qu'on sera pardonné on peut vivre n'importe comment... Car il n'y a pas que les prodigues et les pharisiens, il y a aussi les serviteurs fidèles , simples et vrais et à toute épreuve.Pourquoi les passer à la trappe? Parce qu'ils ne donnent prise à aucune littérature?

    Enfin, dans un monde( j'y comprends l'Eglise ouverte au monde comme une "ville ouverte") de confusion majuscule , il est bien difficile de revenir chez son Père: car la bauge étrangère ou le râtelier paternel offrent les mêmes OGM ou les mêmes bio...Cela fait une grande difficulté.
    A moins que je n'exagère cette difficulté et que cela soit ma force d'endurcissement ...

    Si nous n'étions pas en Carême (où j'essaie de faire moins long!) , je vous écrirai une parabole de mon époque(et de mon épopée intime)... cela donnerai en gros..."Un père avait deux fils. Un beau jour, il leur dit : mes enfants, vous êtes désormais grands et forts, il vous faut reprendre les traditions de notre saint Père Abraham : vous allez donc quitter le nid douillet où vous vous prélassez et amollissez sans fruit ,et partir partout dans le monde chercher les traces de notre ancêtre...(...) la conclusion serait : les fils ne sont jamais revenus ..(perdus corps et biens? prospérant en terre étrangère? on ne sait..)

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  3. Là est bien le problème :entre "se tailler une place au soleil" ou vivre aux crochets de la société, et essayer de se voir tel qu'on est dans le miroir du matin, l'humilité est difficile à trouver. Faut-il beaucoup d'épreuves pour que la vérité nous rattrape?
    Merci, Monsieur l'abbé, pour votre commentaire.
    Willy

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