samedi 28 août 2010

L’Eglise, l’Etat et les Roms - Le ministre de l’agriculture dans les choux

Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010


Bruno Lemaire, ministre de l’agriculture est un jeune politique aux dents longues. Et il n’hésite pas à faire la leçon… au pape lui-même, pour préserver la ligne sarkoziste et les acquis d’un néolibéralisme inquiétant.

Voilà comment, le 22 août, Bruno Lemaire s’en prend sur France 2 aux évêques français, coupables d’avoir parlé en défense des Rom, malgré les ordres d’expulsion qui ont été donnés par le ministère de l’Intérieur: « Je ne fais aucune critique contre l’Église. Je dis simplement qu’il y a, dans notre pays, un principe qui est la séparation totale de l’Église et de l’État. L’Église prend des positions que je n’ai pas à commenter; l’État, lui, est là pour faire respecter la règle de droit ». Une telle déclaration est passionnante parce qu’elle est innocente. Bruno Lemaire, qui s’occupe davantage ces derniers temps du prix du lait et du respect de la Politique Agricole Commune, a sans doute simplement l’impression de proférer une évidence, issue de la correctness ambiante. Séparation totale de l’Eglise et de l’Etat, cela veut dire : à l’Etat son boulot, à l’Eglise le sien, et surtout qu’elle ne sorte pas des limites que lui marquent les consciences individuelles.

Mais que dit la loi en réalité ? Séparation des Eglises et de l’Etat : il s’agit de distinguer deux pouvoirs, un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel. Qui a dit que la ligne de démarcation entre l’Eglise et l’Etat était constituée par les limites de l’intime ou de la conscience personnelle, et que quand l’Eglise sortait de ce périmètre de l’intime, il fallait « s’abstenir vertueusement de tout commentaire », comme si les responsables ecclésiaux qui s’expriment ainsi n’avaient pas à le faire ? Qui a fait de la conscience une barrière infranchissable, une prison pour la foi? Personne. Et surtout pas la loi de 1905, ceci d’ailleurs parce que dès son article 1 l’Etat républicain est présenté comme le garant de la liberté de la conscience. Si l’Etat s’occupe de la liberté de conscience, pourquoi l’Eglise ne devrait-elle pas se préoccuper de tous les problèmes spirituels qui, de plus en plus, dans notre société désagrégée, sont impliqués dans la gestion de la chose publique, en particulier aujourd’hui où tous les domaines de la vie font l’objet de réglementation. Pourquoi l’Eglise n’aurait-elle pas le droit de protéger les Roms, qui, après tout, pour beaucoup sont ses paroissiens, assidus aux grand pèlerinage camarguais des Saintes Maries de la Mer ou tout simplement très nombreux chaque année à Lourdes?

Je dirai pour conclure sur son cas : le néo-libéral Bruno Le Maire est inconsciemment totalitaire. Lorsqu’on cultive la dérégulation sous toutes ses formes, c’est la pagaille. Le rappel à l’ordre qui ne manque pas d’intervenir, après la pagaille, est toujours caricatural. Nous avons là, me semble-t-il, la raison profonde de l’échec et de la déconsidération dont le sarkozisme est aujourd’hui l’objet de la part de tous – et en particulier, dans les sondages, de la part des catholiques, qui étaient 60 % et qui ne sont plus que 40 % à lui faire confiance. On abandonne en douce le modèle républicain, on impose le « laissez faire, laissez passer » au niveau de l’Europe: accord de Schengen, Minitraité, imposé au peuple qui avait dit non, lorsque ce Mini Traité s’appelait Traité de Lisbonne. Tant pis pour le peuple! Idéologiquement, l’idéal devient celui de la mobilité universelle, comme l’explique très bien Michèle Tribalat dans un livre récent1. Les mouvements de population qui en résultent ne manquent pas de créer du désordre. Alors on siffle maladroitement la fin de la récréation, en prenant comme boucs émissaires un groupe de personnes dont l’importance numérique sera toujours marginale dans la société française, parce que l’on ne souhaite pas s’attaquer aux vrais problèmes, qui sont les principes de libre circulation absolue, sur lesquels on a fondé une politique pour la France.

Rien de nouveau sous le soleil. Louis Veuillot écrivait déjà que le libéral est celui qui déteste les conséquences de ce dont il révère les principes. Les néos ? C’est pareil !

Joël Prieur

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1) Michèle Tribalat, Les yeux grands fermés: l’immigration en France, Paris, Denoël, mars 2010.


Le pape a-t-il le droit de parler de fraternité universelle ?

Les évêques n’auraient pas suffi à émouvoir Bruno Lemaire et ses semblables, il y a aussi un petit mot du pape, qui ne cite pas les Roms mais s’applique trop bien à leur cas pour que ces mots ne soient pas volontaires de la part du Souverain pontife. Lors de l’Angelus, le 22 août, Benoît XVI s’est exprimé en français pour dire: « Les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toute nation et de toute langue. Chers parents, puissiez-vous éduquer vos enfants à la fraternité universelle ». Cette petite leçon d’universalisme semblait implicitement adressée aux autorités civiles françaises. Le pape parle non pas de melting-pot obligatoire ou de mixage, de métissage nécessaire, mais de « diversités légitimes ». Ce n’est pas la même chose ! On sait par ailleurs ce qu’il entend par « fraternité »: non pas un leitmotiv laïc et/ou maçonnique, mais ce que saint Pierre voulait dire dans son épître lorsqu’il donnait ce mot d’ordre: « Aimez la Fraternité ». Pour Benoît XVI, qui a signé un de ces premiers livres sur ce sujet, la fraternité signifie toujours d’abord la paternité de Dieu. On n’est pas frères si l’on n’est pas fils du même Père. Le pape fait de la politique? Mais en quoi sort-il de son rôle en disant cela ? Il est clair que la foi doit se communiquer et qu’elle intervient nécessairement dans la sphère publique. Imagine-t-on une foi qui reste enfermée au fond de la conscience ? Ce n’est pas la foi ! le laïcisme, même le laïcisme inconscient de lui-même que développe un ministre de l’UMP aujourd’hui [cf. article ci-dessus] reste l’ennemi de la foi, qu’il détruit avec des raisonnements faux.

J. P.

1 commentaire:

  1. d'accord sur la sottise inconsciente(?)de B.Lemaire , d'accord sur le droit imprescriptible de l'Eglise et du Pape à rappeler nos principes , mais vous évoquez vous-même les désordres et nuisances occasionnés par la dérégulation (Schengen, etc..), alors ne faut-il pas commencer un jour par quelque chose pour y remédier , et la première communauté frappée le paraîtra toujours injustement . D'accord encore sur la fraternité universelle , mais la fraternité , j'en ai l'expérience et je sais qu'elle ne dure guère lorsque l'un des deux "frères" ne fait qu'en tirer profit pour lui-même au détriment de l'autre.

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