samedi 30 octobre 2010

La France comme on écrit un haïku

Article repris de Minute du 6 octobre 2010
L’essentiel de la jeune production littéraire de Michaël Ferrier tourne autour du Japon, où il enseigne la littérature et la culture françaises. Son dernier roman ne déroge pas à la règle : il a lieu à Tokyo. Détail qui a son importance : il raconte un colloque sur l’identité française…

La cérémonie intellectuelle – le colloque – se déroule à l’Université du Centre, entre officiels, mandarins de l’université et vedettes internationales de la pensée, sous la haute autorité du professeur Nezumi. Cela nous vaut une galerie de portraits qui nous montre bien que le mandarinat est le même partout, aussi boursouflé, aussi essoufflé, aussi mesquin à Tokyo qu’à la Sorbonne ou à Harvard. Avec un petit plus pour les universitaires japonais, qui devient sous la plume de Michaël Ferrier un ridicule de plus: la volonté de bien faire ou de montrer que l’on fait bien, pas si fréquente sous nos latitudes universitaires!

Petits fours à gogo. Ambiance moi sie et toute mondialisée. Discours sur la France qui est le même qu’à New York ou à… Paris. Attaque contre la culture française qui n’existe plus, contre la littérature française qui se meurt. Mais je vais laisser parler Michaël Ferrier pour que vous compreniez que ce livre est avant tout une manière de dire, un arrangement de mots pour tenter de dire sa vérité: « Il fluctue le grand professeur, il églogue, il contredanse: adieu à la littérature par-ci, dépérissement de la littérature par-là, épuisement de l’espace littéraire en grandes voûtes solennelles par-dessus toute pensée… décadence partout, déchéance tous azimuts. N’en jetez plus, le corbillard est plein! L‘agonie est en marche, planifiée et comme souhaitée. Toute une phraséologie phraséeuse, vermoulue enfonce la France dans la déploration de sa grandeur perdue. Pourtant chaque trimestre un nouveau livre sur la question: il faut croire que le cadavre bouge encore. »

La France c’est naturel, comme un bon verre de pauillac

Michaël Ferrier est un Français d’Outre-mer, un Français qui n’a pas beaucoup vécu en France, mais dont la France, libre et insolente, constitue l’identité et le français son mode naturel d’expression. Est-ce parce que de loin elle lui apparaît comme un fantôme? Il affirme en tout cas « sa sympathie pour le fantôme », sympathie inconditionnelle, sympathie qui s’adresse à tous les sens du terme « fantôme », aussi bien les revenants, ces Français des anciens jours dont le passé est un présent pour Michaël Ferrier, que les fantômes des mangas japonais, sortes de divinités tutélaires voltigeant dans notre imaginaire, ou encore, de manière plus cryptée, ce « fantôme qu’on laisse entre deux livres dans une bibliothèque pour signifier qu’un volume est emprunté: la France est-elle cette absente toujours là, comme un livre suppléé par son fantôme? Il y a encore un sens au mot “fantôme”: l’harmonique cachée dans le piano qui vibre impromptue et donne de l’épaisseur à une note.

Dans la grande analogie du monde, c’est un peu tout cela la France. Pas la peine de chercher à lui donner « une image pour la télé ». La France? C’est naturel, comme un bon verre de pauillac dit Ferrier, comme un haïku, écrit à la va-vite, ou comme ses amours si légères si pudiques et si ardentes avec Yoko, la présentatrice de l’émission Miroirs de France à la télévision japonaise.

A l’heure des marchés financiers, ce naturel ne pèse pas très lourd. Mais c’est lui aussi qui a ému Michel Houellebecq, plutôt dur à cuire pourtant, dans la conclusion de La Carte et le Territoire. Ce naturel français existe, avec son parler, sous toutes les latitudes. Pas question de faire une différence entre la France et l’outre-mer pour Michaël Ferrier, la distinction lui semble pour le moins « curieuse ». Gageons que comme d’autres que nous connaissons bien, Gollnisch ou Giocanti, c’est au Japon et en japonisant que Ferrier se sent le plus français. Qui a dit qu’il y aurait – ou qu’il y a – un clash des civilisations?

Joël Prieur
Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme, éd. Gallimard, coll. L’infini, 260 pp., 22,50 euros port compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

2 commentaires:

  1. Si un haiku s'écrit vite, ce n'est surtout pas "à la va vite", car il implique de longues pérégrinations( chez Basho, les haikus -ou faut il dire haIkAi, je ne me souviens plus - sont au milieu de journaux de voyages, et seuls la crapulerie éditoriale les isole en recueils purifiés des proses pérégrines ...) (1)
    Ce sont les sommets de concentration d'une attention de tous les instants ... détendue par de longues rasades en chemin..; Joyce( s'inspirant , dit -on de Thomas d'Aquin, mais je n'ai pas vérifié ) appelait cela des "épiphanies"...

    Peut-être en va-t-il aussi de la France, fruit de longue patience...avec de singuliers éclats... Mais entre les agités de la déchéance( qui cependant dit une partie non négligeable de la réalité, allez voir une classe moyenne dans un collège moyen et vous aurez compris et cela fait 20 ans que ça dure sans aucun redressement à l'horizon ) et les agités de la vitesse et du naturel, où retrouverons-nous le long tempo , la cadence pélerine, la rythmique voyageuse qui nous permettra de reprendre voie dans l'Impasse organisée et de reprendre voix entre le mutisme et les parlottes??? l'Affirmation paisible lente ...urge!!!

    A.S. (anti-speed)


    (1) un auteur communiste portugais( Torga, je crois) qui écrivait ainsi des proses entremêlées de vers s'est vu traduit en français...sans les poésies ! toujours la même crapulerie classificatoire bornée)

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  2. Cher A.S,

    la poésie, même surréaliste, ne s'écrit jamais vite, c'est un concentré tamisé. Je ne puis que vous recommander, si vous vous intéressez un peu à moi (et à d'autres auteurs amis que je publie sur ce blog) d'aller faire un tour sur:
    http://wwww.cooperativepoetique.blogspot.com!

    Bien que je ne nous sente pas du même bord, nous avons le même chemin, donc le même port, et j'aime bien lire vos commentaires. En vous, deux veines: la fustigeante et l'évangélisatrice. Mais vous n'êtes pas réductible à ces deux inspirations. témoin, votre inventivité signatoriale. Je suis amphigourique, vous êtes signatorial, tout va bien.

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