jeudi 10 décembre 2009

Provocation...

Cher Antoine, cher Anonyme et chère lectrice,

Vos textes convergents et différents me ravissent. Quoi de plus stimulant que des réactions à chaud ? Et voici tout de suite une réponse à vos réponses, non pas pour promouvoir (encore moins pour défendre) je ne sais quel dogmatisme, mais pour essayer d'avancer.

Je crois essentiel de dire : "aujourd'hui la chrétienté" et d'arrêter de crier "demain la chrétienté", même si - salva reverentia - c'est le titre d'un livre de Dom Gérard, fondateur du Monastère du Barroux. La chrétienté n'est pas un mythe ou un fantasme de carton pâte. C'est la forme que prend à chaque époque et partout dans le monde, ce Royaume de Dieu qui triomphera dans l'Eternité. Souvenons-nous que la prière que Jésus nous a apprise, nous la prononçons, comme il nous a dit de le faire, à la première personne du pluriel : Notre Père. Chaque fois que nous disons le Notre Père, nous pouvons penser : il y a, par cette prière, un aujourd'hui de la chrétienté, là où je suis priant cette prière. Cette chrétienté n'est pas une communauté formée par l'observance d'une loi, mais une communauté nouvelle suscitée par la foi, construite par l'espérance et vivant de la charité. Communauté religieuse ? Certes, mais les nouveaux réflexes et les nouveaux rapports humains qu'instaurent ces trois vertus, créent une sociabilité renouvelée et transforment les sociétés en y introduisant un développement humain inconnu avant le Christ. C'est ce que j'appelle la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus Christ, non pas un projet politique foireux, mais le présent de notre foi qui construit chaque jour la chrétienté comme une réalité sociale.

Quel rapport tout cela a-t-il avec le travail d'Oskar Freysinger me direz-vous ?

Vous reprochez à son action d'être purement négative. Sans doute. Mais il faut comprendre que l'affirmation et la négation chez lui ont partie liée comme le montre le discours du 1er août 2007 que certains ont pu entendre, où il exalte la croix blanche sur fond rouge qui est le drapeau suisse.

Qu'affirme Freysinger ? Il affirme, dans son discours, la civilisation chrétienne, faite aujourd'hui non seulement d'une attitude intérieure mais de réalisations matérielles qui concrètement ont marqué jusqu'à nos paysages. Ce sont les moines qui ont défriché l'Europe. C'est l'idéal de la responsabilité personnelle qui est à l'origine de la fécondité de cet immense "jardin", dont les terres parfois ont été si longues à produire leur fruit. Tout cela n'est pas du passé (pas encore), c'est du présent. Il ne s'agit pas de "canoniser" des paysages qui évoluent (moi qui vient d'un pays de bocage, je suis le premier à le reconnaître), il s'agit de reconnaître l'harmonie d'une civilisation et de préserver non pas "les pierres" (un peu provocateur je l'avoue), mais enfin la beauté des réalisations existantes, dont on est fier. Il s'agit non seulement de préserver mais d'habiter un patrimoine. Cette harmonie matérielle, on la défend non par fétichisme ou par je ne sais quel culte de l'ancien pour l'ancien, mais parce qu'il est certain qu'une telle harmonie extérieure influence le paysage intérieur et libère l'homme de son orgueil, en donnant des racines à sa vie.

Que critique Freysinger ? S'il a été tellement stigmatisé, c'est parce qu'il met le doigt sur le problème spécifique de l'islam, tel qu'il apparaît dans la simple lecture de ses textes sacrés et tel que vous pourrez en avoir l'illustration si vous parlez à des musulmans de ce qui leur tient à coeur : l'islam n'est pas seulement une religion. La liberté religieuse est garantie aux musulmans suisses qui ont des mosquées. Le minaret demeure le symbole (oh c'est vrai : juste un symbole) de la question que l'islam pose à l'Occident, en mélangeant allègrement le temporel et le spirituel. Que cette question soit publiquement posée, que l'on sorte enfin de la rhétorique des méchants intégristes et des bons musulmans pour reconnaître cette réalité particulière qu'est l'islam, avec les pb que l'islam pose partout de Djakarta à Bruxelles, cela me semble salutaire.

Quant aux motivations des électeurs... on peut à ce moment là parler des motivation de ceux qui ont voté contre Freysinger. Je ne suis pas sûr qu'elles soient toujours tellement nobles.

Cher Antoine, vous dites que le royaume est essentiellement intérieur. Non, parce que l'homme n'est pas pure intériorité. Nous ne pouvons pas comme les Allemands réduire la civilisation à la Kultur.

Un point très important cependant, que vous soulevez indirectement : la chrétienté n'est pas une idéologie, elle est un élan. Elle n'est pas un ensemble de recettes ou de lois particulières, concernant l'alimentation ou la façon de se vêtir. La seule loi du Christ, dit saint Thomas, c'est la charité et par conséquent, sans la loi naturelle, qui est la même pour tous, chrétiens et non chrétiens, il n'y a pas de chrétienté. Exemple ? Quand Justinien, empereur chrétien s'il en fut, a voulu donner une loi à son empire, il a été chercher le droit romain et Cicéron, non pas une loi confessionnel mais ce que l'on appelait déjà le droit naturel... C'était sa manière d'être laïc.

Dans toute chrétienté, il y a une forme de laïcité. D'ailleurs, si l'on y réfléchit, c'est la chrétienté qui a inventé la laïcité. Les lois auxquelles les citoyens sont soumis, dans une société chrétienne, sont les lois de la nature et pas les lois de l'Ecriture. La foi reste toujours un acte personnel (je ne suis pas sûr que Freysiinger ait une foi très orthodoxe). En tant qu'acte personnel, la foi n'est pas soumise à la loi. Il y a bien sûr toutes sortes d'excès au cours de l'histoire, le baptême des Saxons etc., mais les principes sont ceux là, comme Pie XII le rappelait en 1957, en mettant en avant "une saine et légitime laïcité".

J'espère vous avoir montré qu'il y a aussi une saine et légitime provocation, celle qui appelle à chercher plus haut ou... plus profond. Je n'oublie pas le premier anonyme, dont le texte mérite, très bientôt, une réponse argumentée, mais je vais dîner, il est l'heure.

9 commentaires:

  1. Me permettez-vous, Père et chers ami(e)s, de mettre mon grain de sel, de l'extérieur. "Tradi." de coeur et de conviction mais sans être au fait de toutes les querelles de chapelle, j'étais un peu éberlué, tout à l'heure, de constater la véhémence des reproches faits au Père de Tanoüarn dont il m'avait semblé avoir parfaitement compris l'intention, en nous entretenant, si amicalement, comme de coutume, de ce Monsieur Freysinger (dont j'ai appris l'existence, grâce au Métablog) pour lequel il a d'ailleurs exprimé quelques réserves, si vous le relisez bien.

    Oûtre que le Père, comme le dit Laurent, dans un autre fil "dit TOUJOURS des trucs très intéressants"...lol...je pense qu'il a eu parfaitement raison de souligner l'aspect positif, pragmatique de Freysinger.
    A propos de toutes ces questions à présent si cruciales pour nous, concernant l'Islam, temporel et spirituel, les minarets etc., Il m'est revenu en mémoire (pardon d'être très peu qualifié pour développer ce point) toute une théorie proprement islamique, centrée sur "la terre d'Islam" mais il faut savoir qu'une mosquée, par exemple, est déjà, dans l'esprit des Musulmans, considérée comme un territoire sacré, partie intégrante de "la terre d'Islam".
    On m'a rapporté que même le domicile privé, pour un croyant, y est quasiment assimilé.

    C'est dire combien nous sommes peu préparés à être confrontés à ces réalités et combien la question de la construction des mosquées et autres lieux de prière et de culte associés, est une question centrale, je dirais presque: capitale!
    Dans cette perspective, pourquoi ne pas regarder Freysinger, comme un acteur positif, dans ce débat si important, quelles que soient les réserves que tout-un-chacun a parfaitement le droit de formuler, sans pour autant le disqualifier.

    P.S. pour Antoine: cher Antoine, vous vous proclamez "paysan"...j'aimerais bien visiter votre (vaste) bibliothèque...ah!ah!ah! Attention, hein! ce n'est pas une critique: vos posts sont super intéressants!

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  2. Cher M. l'Abbé, loin de moi l'idée de vous faire des reproches véhéments (pas d'inquiétude, Thierry) ! Ces reproches, je les fais très ouvertement à la FSSPX qui a déformé des milliers d'esprits et qui a surfé sur un courant AF pour entretenir une contestation souvent bien éloignée des préoccupations spirituelles même si c'était en s'en déguisant...

    Je ne partage franchement pas votre analyse : certes, la construction matérielle et artistique de la chrétienté des temps passés a permis l'élévation des âmes et des coeurs vers Dieu... Concedo...
    Mais que ce soit le seul modèle possible pour transmettre le beau et par là accéder au Vrai : nego ! et c'est pourtant l'argument que vous donnez l'impression de développer en estimant que l'Islam s'opposerait à notre culture et limiterait, AINSI, le développement de la foi... Certes, pour tendre vers le haut, il faut de fortes racines, mais nos racines, c'est le Christ, pas les paysages et les pierres du passé... Et il me semble que nous sommes capables de bâtir chrétiennement et au quotidien une civilisation d'aujourd'hui afin de sous tendre une vie spirituelle et d'attendre l'avènement ! Et c'est cette vie qui est le royaume, ce n'est pas moi qui le dit, c'est le Christ lui-même : le Royaume de Dieu est au dedans de vous" (vous rajoutez à mon propos un "essentiellement" qui n'y est pas, d'ailleurs ! le Christ dit que le royaume "est" sans aucun adverbe.)

    En d'autres termes, il me semble que nous confondons les principes et leur application. Oui, les principes chrétiens bien appliqués ont donné les abbayes, les cathédrales, St Louis et l'Ave Verum de Mozart... Mais on a vraiment l'impression à écouter Freysinger et à vous lire, qu'il serait plus important de garder tout ça au nom des principes que cela représente et mon propos, c'est de dire qu'il faut en revenir aux principes eux-mêmes ! Pourrat disait que ce qui comptait, ce n'était pas de conserver la vieille paysannerie sur laquelle s'était établie la civilisation, mais de garder les valeurs qui avaient fait cette paysannerie : l'amour du travail bien fait, le sens de l'effort, la solidarité, le partage... pour faire la civilisation d'aujourd'hui et de demain.

    Cette confusion donne une profonde incohérence à votre raisonnement : vous rejetez l'Islam parce que cette religion confondrait "allègrement le temporel et le spirituel" et que les minarets s'opposeraient à notre culture... Mais en mélangeant catholicisme et culture, ne confondez vous pas temporel et spirituel ? Si l'on s'en tient au concret, la mezquita de Cordou ou la mosquée bleue d'Istambul valent peut-être le Mont Saint Michel ?!
    Et pour combattre cette confusion, vous en arrivez à appeler Pie XII à la rescousse en faisant appel à "une saine et légitime laïcité" que vous combattiez d'arrache-pied dans votre analyse de Dignitatis Humanae...

    En réalité, nous faisons du sentiment : la chrétienté, c'est beau, l'Islam, c'est pas beau... Ben, non, désolé, ce n'est pas comme cela que l'on raisonne car en raisonnant avec ses sens on finit par raisonner avec ses pieds...

    Revenons-en aux principes : l'Islam est une religion fausse car elle s'oppose à la loi naturelle : elle nie la liberté individuelle, elle nie le droit de la famille, gravement et notamment, et c'est en cela qu'elle s'oppose à l'avènement du Royaume sur un plan religieux, et au respect des femmes, des enfants et de la liberté humaine sur un strict plan civil.

    Dans notre société déboussolée et dépouvue de loi naturelle, il ne nous reste plus que les référendums sur les minarets pour l'exprimer, mais pouvons-nous nous satisfaire d'en être réduits à nous exprimer avec nos pieds alors que c'est la Splendeur de la face du Christ qui en est ainsi voilée ? Je pense que des catholiques devraient faire l'effort de décryptages plus spirituels et plus profonds, voilà pourquoi j'ai réagi à votre précédent post qui ne replaçait pas, à mon avis, le sujet au seul niveau qui nous intéresse : Dieu.

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  3. PS : que l'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de débats hargneux, bien au contraire ! Si je m'exprime ici, c'est que je pense le faire avec des gens capables de me comprendre et de me faire évoluer dans ma réflexion ! Et les envois électroniques ne laissent malheureusement pas passer les mouvements d'amitiés qui accompagnent leur rédaction !

    Sinon, pour Thierry, ma bibliothèque est essentiellement constituée d'une cave à fromages où j'affine ma production en méditant sur la création, les fins de l'homme et l'importance du Don...

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  4. Si des lois ont été données par Dieu, pourquoi leur préférer des lois "naturelles" ? Si le "naturel" est plus conforme à la volonté divine que ce qui est dit avoir été commandé par Dieu, c'est que la loi qui est dite être venue de Dieu est en fait venue du Diable. Mais cette conclusion, qui pourrait nous convenir appliquée à la Charia, deviendrait absolument impie appliquée à la Torah. Il semble donc que le problème de l'islamisation de la culture européenne doive nous obliger à reconsidérer le problème de la "déjudaïsation" du christianisme. Il n'est pas évident, en effet, que la PERMISSION d'abandonner des lois qui se trouvaient, pour diverses raisons, très difficiles à observer dans le monde païen où l'Eglise primitive a connu ses meilleurs succès, ait été une OBLIGATION de les abandonner. En tout cas, il paraîtrait plus religieux de préférer du divin à de l'humain que du "naturel" à ce que personne n'osera appeler du satanique ou du CONTRE NATURE. Si le "naturel" doit prévaloir sur ce que l'on croit être du faussement divin (du sacré qui n'en est pas), alors il devient du sacré. Et nous ne pouvons tout de même pas sacraliser des coutumes juste parce qu'elles sont licites et très anciennes - ce qui est d'ailleurs faux ou douteux pour bien des usages menacés par l'islamisation.
    De ce que les hommes ne soient pas sauvés par la loi, il ne résulte pas que les hommes puissent vivre sans lois. Et comme la loi d'Amour ne peut interdire que ce qui est contre l'Amour, il faudrait établir que la loi islamique est opposée à l'Amour pour justifier que l'on veuille la repousser. Or pourrait-on démontrer qu'il y avait moins de sévérité et de cruauté dans la loi de l'Ancien Testament, qui est exposée dans des livres que nous tenons pour inspirés, ou dans les lois de la chrétienté médiévale, qui prétendaient se fonder sur la "loi naturelle" ou, en tout cas, n'être pas en opposition avec la loi du Christ ?
    Bref, nous avons une loi naturelle qui est censée convenir à tous les hommes, indépendamment de leur religion, mais qui, en fait, ne convient pas aux Musulmans, parce qu'ils ont une loi qu'ils considèrent comme divine et universelle et que, pour cette raison, ils voudraient nous imposer pour notre propre bien. Donc, face à leur charia, se dresse une charia naturelle et laïque, dont l'auteur n'est pas Dieu, une "Nature" divinisée. Et en fin de compte, c'est l'Eglise qui a le privilège de dire ce qu'est réellement cette loi naturelle que tous les hommes sont censés trouver gravée dans leur conscience… et que visiblement tant d'hommes ne trouvent pas ou comprennent de travers ! Je me demande donc si tout ne serait pas plus simple si nous prenions parti, carrément, pour une "charia" chrétienne, quitte à restaurer des réglementations judaïques qui auraient l'avantage d'avoir une origine biblique sans être plus difficiles à opposer à l'Islam qu'une création juridique qui avait été au départ une concession à un paganisme dominant, qui avait la saveur du civilisé et du "naturel", et qui, dans le moment présent, n'a plus, pour se justifier, qu'une vox populi incontrôlable et dont il est facile de prévoir le noyautage par la propagande islamiste...

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  5. Cher anonyme de 13.33, vous basez votre raisonnement sur une méconnaissance de la notion de loi naturelle. Contrairement à ce que vous pensez, la loi naturelle n'a rien à voir avec les lois de la nature ! Il s'agit d'une notion précise de philosophie, de droit et de théologie qui vise la loi non écrite (par opposition au droit positif) inscrite par Dieu dans le coeur de chaque homme et que chaque homme peut trouver simplement en suivant sa conscience droite. La loi naturelle est condensée dans le décalogue.

    Il me semble nécessaire de s'entendre sur les notions et les concepts avant de débattre au risque d'évoquer de faux sujets et de créer de la confusion.

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  6. De la part de : premier anonyme du fil précédent sur Freysinger:

    La "loi naturelle" n'est certes pas celle du "bon sauvage" !
    Naturel, c'est ce qui est propre à l'HOMME en tant que créature à l'image de Dieu, réflètant cette idée de l'homme (dans le sens des idées de Platon) conçue par Dieu, avant qu'il ne crée l'homme en chair et en os.
    Dieu a insoufflé à Adam et Eve et à l'ensemble de l'humanité potentielle cette idée de l'homme, cette "loi" qui naturellement traduit l'essence de l'humain = la loi naturelle.

    Antoine a déjà expliqué en gros la même chose supra en d'autres mots.

    Merci à M.l'Abbé d'avoir pris le temps de revenir sur nos commentaires, je lirai avec intérêt la suite de la réponse, car je ne suis toujours pas trop convaincu par ces interprétations entretenant la peur dans l'homme.

    Je pense qu'un chrétien a une foi dans le Christ et cette foi c'est aussi la confiance, l'abandon, l'espérance.

    N'ayez pas peur ! dit JPII (après St Jean je crois ?), avancez dans l'eau profonde ! (ceci du Christ lui-même); pourquoi le tradiland est toujours transi de peur ? Quelle vie est-ce à entretenir en permanence des angoisses ? Où est la confiance dans le Christ ? Sur les images de la Vierge Noire de Czestochowa en Pologne il est écrit "je suis avec toi, je me souviens (dans le sens je ne t'oublie pas), je veille". Marie veille, pourquoi tant de crainte?

    Pourquoi toutes ces peurs ? On a l'impression souvent que les tradis accordent plus de confiance au diable (le mal présent et à venir leur semble certain, c'est l'apocalypse now!) qu'à DIEU, d'où leurs peurs et leur mal-être permanent, toujours à se plaindre, à critiquer, l'Eglise, les évêques, les "étrangers", l'Europe, le présent, l'avenir, les Papes, que sais-je....comme c'est pénible. Quelle triste vie.

    La Verité rend libre, pourquoi cet assujetissement à la peur ?

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  7. « C’est la Chrétienté qui a inventé la laïcité », dites-vous judicieusement, Monsieur l’abbé. Ce faisant, en émancipant la cité de sa vieille sacralité, la Chrétienté a aussi créé le mouvement de l’Histoire. Pour le meilleur, quand celle-ci, brisant les vieux modèles sclérosés, permet de rapprocher les sociétés du modèle du Christ. Pour le pire, quand elle prétend avancer en roue libre. Depuis lors, la civilisation ne saurait plus être un long fleuve tranquille, bercée par l’illusion d’une immanence immuable, à l’ombre de temples éternels. Une aventure, telle est la civilisation chrétienne ! Précisément parce qu’elle est n’est pas encore pleinement chrétienne. Aventure semée d’embûches que nous ne devons pas refuser au motif que la cité de Dieu, que nous visons, n’est pas la cité de l’homme.

    Surtout, la Chrétienté a rendu possible le présent débat sur l’articulation jamais résolue entre temporel et spirituel, politique et charité. A ce titre, le christianisme a ouvert un champ de tensions fécondes, au sein même de la communauté des chrétiens, sur la question de leur rapport au monde. Chose nouvelle. Nous ne sommes pas encore arrivés au port, mais nous savons désormais qu’il existe un port, à la différence des hommes des sociétés antiques. Oui, l’Espérance chrétienne a lancé la civilisation sur de nouvelles voies. Plus de navigation en cercle fermé. Plus de mythe de l’éternel retour, mais une promesse de salut. Mais aussi une source de querelles. Car personne n’est d’accord sur le salut entrevu. On le sait, ce long périple est jalonné des contradictions que symbolise la forme même de la croix. Le Christ l’a proclamé sans détour : « Pensez-vous que je sois venu pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais la division. » (Luc 12, 49-53). Non que le Christ soit un diviseur. Mais sa parole de paix met au jour toutes les divisons intérieures des hommes. Aussi la ligne est-elle difficile à tenir entre les prétendus purs et les démagogues. Elle l’est aussi entre les partisans d’un communautarisme chrétien et les tenants d’une spiritualité hors-sol.

    Nous n’avons donc pas fini d’être divisés sur la manière dont la foi doit s’incarner dans la civilisation. Assumer cette incarnation paraît en tous cas essentiel dans la démarche du chrétien. Dans cette perspective, les combats portant sur les signes de cette incarnation, les clochers plutôt que les minarets, ont toute leur légitimité. Les choses les plus simples portent un témoignage, nous invitant à être témoins à notre tour, à notre manière. Aucune peur, semble-t-il, dans le fait de s’inscrire dans cette longue chaîne des générations. Plutôt du courage, bien souvent. En somme, la vraie tradition, critique comme il se doit.

    Le sens de la liberté des cantons suisses et leur vieille tradition d’autodéfense rendent donc un service louable à la Chrétienté. Freysinger chantre de la civilisation chrétienne ? Oui, Monsieur l’abbé, d’autant plus que «Freysinger » signifie « libre chanteur » en allemand. Chantons-le donc librement : parler de civilisation chrétienne, c’est simplement dire que le christianisme est une religion de l’incarnation ! L’approche de Noël nous le rappelle.

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  8. Il faut écouter et voir Oskar Freysinger interrogé par Guillaume Durand, vidéo diffusée par F de Souche. C'est un véritable bain de jouvence, un retour à l'époque chargée d'espérance où l'abbé GdeT n'avait pas mis les pieds en Afrique et servait de diacre à l'abbé Serralda au Bourget. En ces temps là, on ne dicutait pas la nécessité du retour au Règne Social de NSJC : c'était une évidence qui s'imposait à tous. Depuis, tous les jours que le Bon Dieu fait, je prie pour cette noble et indispensable cause. M l'abbé, vous faites bonne route. Ne vous en laissez pas détourner par de mauvais conseillers, même si les prêtres de la FSSPX eux aussi sont pour, et même si, horresco referens, Mgr W est pour!

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  9. Merci Jean-Vincent, pour cette brillante et belle synthèse, sincèrement !

    Vous avez raison, nous n'avons pas fini de gloser en nous jetant à la figure "que votre volonté soit faite sur la terre" ou a contrario : "mon royame n'est pas de ce monde". C'est un sujet central qui sous tend beaucoup d'oppositions et d'incompréhensions, depuis toujours et surtout maintenant que la soi-disant "conscientisation" des hommes (en réalité la prise de conscience de l'individualité, déformation du personnalisme) atteint des degrés élevés, chacun ayant un avis sur tout...mais là est le fond du débat sur la liberté religieuse, je le crains !

    Encore une fois, je suis d'accord avec vous sur le fait que la civilisation est une concrétisation de la foi... Mais je me rappelle ce que disait Thierry (si je ne trahis pas sa pensée) en expliquant qu'il respectait et éprouvait les symboles de la foi mais qu'il n'avait pas la foi... Et cela renvoie à l'interrogation de NSJC : quand je reviendrai, trouverai-je la foi sur terre ?"

    C'est tout le sens de mes interrogations et de mes commentaires : Il trouvera sûrement tous les vestiges de la civilisation chrétienne que nous aurons défendus avec des référendums et des Freysinger, mais trouvera-t-Il encore la foi ? Bref, la coquille ne sera-t-elle pas vide, en réalité ?

    Voilà ce que je veux dire, mais je ne suis pas certain de me faire comprendre...

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