mardi 17 novembre 2009

Heureux ceux qui pleurent...

Comme le souligne Cajétan dans son Commentaire de saint Matthieu, c'est la plus déroutante des Béatitudes. Et de citer l'Ecclésiastique au chapitre 30 : "Il n'y a aucune utilité à la tristesse".

Dimanche dernier, j'ai proposé un Commentaire assez classique de cette Béatitude. Assez classique par la force des choses ou la soudaine faiblesse de mes sources. Le livre de Dom Jacques Dupont sur les Béatitudes : 268 pages. Rien sur le sens de la troisième Béatitude. La Théologie morale du Nouveau Testament du Père Ceslas Spicq : rien non plus. Je fais donc un mixte des classiques, saint Thomas, saint Augustin... et l'inévitable Cajétan, très précieux en l'espèce une fois de plus.

Je souligne que ce qui rend triste, c'est le mal, que la conscience du mal était à la fois la conscience du péché (en nous ou autour de nous précise saint Thomas opportunément) et la conscience de la mort, le deuil de la vie. J'appelle à la rescousse saint Augustin qui insiste sur le fait que la Béatitude des larmes doit être rapprochée du don spirituel de science. Autant lorsqu'il rapproche la Béatitude des pauvres du don de crainte et la béatitude des doux du don de piété, saint Augustin me paraît un peu "forcer" le sens de son propre rapprochement, autant là le rapprochement s'impose. Il y a une science du mal, qui, en chacun de nous prélude à la bonne nouvelle du salut. Comment pourrions nous demander d'être sauvés si nous n'avons pas la science de tout ce qui nous manque pour cela. Cette science du mal, nous l'acquerrons plus facilement en regardant autour de nous qu'en nous regardant nous mêmes. Nous sommes mauvais juges de nous mêmes, soit que nous nous jugions trop bien soit que nous nous jugions trop mal. Il est si difficile de pleurer ses péchés avec autre chose que des larmes de crocodile. Mais autour de nous... Non pas tant chez nos voisins parce que nos voisins et nous, nous sommes trop liés pour être objectifs...

Mais le spectacle de l'histoire humaine est une extraordinaire introduction à ce don de science qui provoque les larmes... et la Béatitude. L'histoire humaine est un gigantesque gâchis qui, comme nous en a prévenu le Christ, nous présente une apocalypse à chaque génération : "Cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli". Et c'est ce spectacle terrible de la puissance du mal dans l'histoire (voyez aussi dans la Bible l'histoire du peuple juif, avec les deux génocides qui y sont programmés, celui de Pharaon et celui de Cyrius dans le Livre d'Esther, et toutes les occasions manquées qui nous sont racontées), c'est cette lucidité que nous acquerrons au spectacle des horreurs de l'histoire qui nous sauvera de notre infatuation et nous permettra de recevoir le salut. Non comme un dû, mais comme ce sans quoi nous ne serons jamais que des animaux pas très raisonnables.

En développant ces perspectives tragiques... et salutaires, j'ai simplement oublié une autre forme de larmes qui produit aussi le salut, les larmes de l'émotion, les larmes qui nous transportent, les larmes qui expriment souvent... ce qui nous reste de vérité et de réceptivité au bien. Car le bien nous émeut autant que le mal nous effraie. Je pense aux larmes que l'on verse devant quelque chose de vraiment beau ou devant une prouesse vraiment belle. Celui qui nous inspire ces larmes là c'est toujours le Christ et ce mystérieux ressort au fond de nous même qui échappe à tout calcul et va spontanément au bien qui n'est pas lui, comme l'a noté saint Augustin avant Kant, oui ce ressort qui va de lui-même à plus grand que lui.

Sans ces larmes de l'émotion vraie, il n'y a pas de dépassement de soi et donc pas de vrai christianisme. En ce sens, oui, heureux ceux qui pleurent car c'est le Christ qui pleure en eux. La Vierge Marie est la reine de ces larmes-là.

1 commentaire:

  1. Votre chronique m'a inspiré ceci:

    BIENHEUREUSES LARMES

    « Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés »
    Car Dieu apaisera, leurs craintes et leurs alarmes
    Et Il adoucira, leurs plaies coagulées.
    Ils seront consolés ceux qui versent des larmes !

    Mais les pleurs ne sont pas, toujours, que de tristesse.
    La maman qui sourit à la frimousse blonde,
    A les yeux embrumés de gouttes de tendresse
    Qui se mêlent à la joie d’avoir été féconde.

    Et ces pleurs de joie vraie le jour des retrouvailles…
    Après tant de frayeurs, d’horrible temps qui passe,
    Pouvoir enfin serrer le fruit de ses entrailles
    Sur son vieux cœur meurtri par le doute et l’angoisse.

    Les larmes qui me serrent la gorge d’émotion
    Au son d’un violon, au chant d’une chorale
    A l’appel du clairon, à la vue d’une toile,
    Font partie elles aussi de la bénédiction.

    Ces larmes par avance, tiennent Votre promesse,
    Vous qui avez, Seigneur, pris notre humanité.
    Ces larmes qui surpassent notre animalité
    Signent Votre présence et font notre noblesse.

    Semetipsum
    Mardi 17 novembre 2009

    http://semetipsum.web.officelive.com/BienheureusesLarmes.aspx

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