vendredi 30 janvier 2009

"Recoudre les fils déchirés du filet du Christ"

C'est ainsi que le cardinal Bertone secrétaire d'Etat, caractérise l'objectif du pape Benoît XVI, dans une déclaration faite aujourd'hui même. Et il précise que pour comprendre le dessein du pontificat, "il faut partir du concile Vatican II" et de la double herméneutique qu'il a suscité.

Vatican II "ne peut pas avoir été une assemblée constituante", visant à "changer la constitution de l'Eglise pour en mettre une nouvelle", parce que "la constitution de l'Eglise vient du Christ" et que nous ne saurions la remplacer par un projet d'Eglise, humain trop humain. L'Eglise n'est pas le mouton du Petit Prince, qui se laisserait dessiner, au gré de l'idée du moment. Hiérarchique et monarchique, ce Royaume de Dieu demeure semblable à lui-même et les contre-façons humaines n'ont pas de prise sur lui.

Si l'herméneutique de rupture ne peut avoir aucun succès, il importe pour le bien pastoral de l'Eglise de s'en tenir à l'herméneutique de continuité. Cette continuité se représente d'abord dans le temps, comme une cohérence foncière entre les différents états de l'Eglise. Elle se représente ensuite dans l'espace, et dans un espace toujours plus large, car c'est la Tradition qui seule est capable de regrouper tous les chrétiens. La Tradition est le meilleur moteur de l'oecuménisme raisonnable et efficace. L'élection du Patriarche Cyrille sur le siège de Moscou pourrait bien réserver des surprises à ceux qui croient que Benoît XVI est un conservateur. Il est indéniable que ce pontificat est animé d'un souffle et d'une espérance que l'on n'avait pas senti depuis plusieurs siècles.

Nécessairement court, hélas, étant donné l'âge du Pontife, après le long pontificat de transition que Jean Paul II nous a fait vivre (de Redemptor hominis, première encyclique à Ecclesia de eucharistia, quoi de commun, 25 ans ont passé), le pontificat de Benoît XVI, avec son herméneutique de continuité, pourrait bien changer considérablement le paysage, en surmontant définitivement, au nom de l'Eglise ce que j'appellerais volontiers la tentation socinienne.

Fausto Socin est un Italien qui vit à la fin du XVIème siècle. il est hélas trop peu connu. On peu considérer que, plutôt que Luther et Calvin, c'est lui le véritable père de la modernité chrétienne, c'est lui l'ancêtre des protestants libéraux. Renonçant délibérément à tout ce que la foi peut comporter de mystérieux (à commencer par le Mystère de la Sainte Trinité : un seul Dieu en trois personnes), il réduit le christianisme à une morale de l'amour du prochain et à une foi minimale dans le principe divin, au nom duquel le Christ s'est exprimé. Parmi les plus célèbres adeptes de Socin, le juif christianisant Spinoza n'hésitait pas à écrire que le Christ est la bouche de Dieu (Traité théologico-politique) ; mais il refusait résolument toutes les formes du mystère et toutes les expressions du surnaturel (la prophétie comme les miracles).

La grande hérésie du XXème siècle (le modernisme) succombe à cette tentation : Alfred Loisy, exégète, figure emblématique du modernisme, devient même agnostique tout en demeurant "mystique". C'est un disciple involontaire de Socin, par Renan qui, lui, se rattache explicitement à Spinoza.

Au Concile, toute une frange de l'Eglise, au nom de la foi comme simple expression de la conscience du croyant, a cru trouver une nouvelle forme d'universaliuté et comme un nouveau catholicisme (catholique= universel). Cette perspective est celle que les docteurs du Nouvel Israël ont appelé dans les années Soixante dix "la foi adulte" (par opposition sans doute à la foi de ceux qui acceptent de redevenir comme de petits enfants selon le précepte de l'Evangile, la foi adulte est une foi qui ne s'en laisse pas compter et met en cause tant l'authenticité des miracles que l'infaillibilité des prophéties). On a vraiment cru, dans les années Soixante dix que c'est autour de cette foi adulte que l'on "recoudrait les fils déchirés du filet du Christ". On a pensé que cette "foi adulte", partagé par tous les esprits raisonnables, favoriserait l'oecuménisme et le dialogue interreligieux. On a imaginé que cette foi adulte allait séduire les Etats, en rapprochant la croyance de l'Eglise du noyau laïc sur lequel se construit la vie politique occidentale. On s'est terriblement, on s'est tragiquement trompé. Cette foi adulte est stérile. Elle n'engendre pas dans le Christ. On a voulu "refaire chrétiens nos frères" : peanuts !

Benoît XVI est le premier a prendre acte publiquement de ce ratage dans le discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005. Il est le premier à comprendre que pour "recoudre les fils déchirés du filet du Christ", c'est à l'enseignement du Christ, dans son authenticité fontale qu'il importe de revenir, car c'est cet enseignement, et rien d'autre, qui fera l'unité. Mais l'enseignement du Christ ne nous est accessible que par la tradition qui l'a fait parvenir jusqu'à nous. Des clercs, fatigués de la foi des anciens jours, avaient rêvé d'une assemblée constituante qui, selon l'idée émise semble-t-il par Jean XXIII lui-même d'une "nouvelle Pentecôte", serait pour l'Eglise comme un nouveau commencement. Les papes successifs, sans admettre cette idée, ont sacrifié à cette rhétorique. Benoît XVI lui, entend, dans les quelques années que dureront son Pontificat, donner le coup de barre qui empêchera définitivement la barque dont il a la responsabilité de s'embrocher sur les récifs du socinianisme contemporain. Il le fait à travers des gestes forts, parce qu'il sait bien qu'il ne dispose pas d'un quart de siècle comme son prédécesseur. le premier vise à réaliser l'unité des catholiques, en indiquant à tous que le centre de gravité de leur équilibre spirituel est la Tradition, toujours respectable, en liturgie comme en théologie.

Mais qui sait si le pontificat que Malachie appelle "la gloire de l'olivier" ne nous réservera pas d'autres surprises, dans le sens de la Tradition comme ferment de l'unité des chrétiens ? L'élection du Patriarche Cyrille à Moscou, qui de notoriété publique est philo-romain, constitue certainement un signe. Oui : un vrai signe des temps, pour "recoudre les fils déchirés du filet du Christ".

5 commentaires:

  1. Et Benoît XVI dit quoi à tous les cocus comme moi qui ont obéis et subis Vatican II? Est-ce que pour autant "ses" évêques à Benoît XVI vont dire eux-mêmes la messe en latin ou la libéraliser avec bienveillance dans leurs diocèses respectifs?

    Et à ceux de ma famille qui ont quitté l'Eglise (sans pour autant suivre Mgr Lefebvre) irrités d'entendre des "Saint, Saint, Saint est le Seigneur" ou des "je crois en Dieu qui chante et qui fait chanter la Vie" que leur dit Benoît XVI?
    Comment fait-on pour ceux qui sont morts de ce fait sans les sacrements de l'Eglise?

    Je ne comprends rien non plus à ce que fait Benoît XVI en Chine en légitimant l'équivalent des prêtres jureurs de là-bas?

    Aymard.

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  2. Ouais ce que dit Aymard est juste. Monsieur l'abbé, vous qui allez à Rome régulièrement à l'IBP Roma, vous pourriez pas en toucher un mot au Pape ou à son entourage?

    Pour les chinois je ne sais pas, par contre: je ne connais pas la position de BXVI.

    Marc.

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  3. Cher Aymard,
    Merci de la franchise déchirante de votre témoignage. j'aimerais bien que le Père Antoine, curé à Antony à qui j'ai eu affaire cet après midi et qui refuse obstinément, au mépris de la volonté de la famille d'appliquer le Motu proprio, au nom de la coutume de "la comunauté d'Antony" et contre la volonté du pape représentant l'Eglise universelle. Les curés sont en retard de trois guerres. ils en sont resté trop souvent, dans le concret de leur gouvernement, en tout cas face aux laïcs traditionalisants, au bon vieux cléricalisme de la fin du XIXème siècle. Ce n'est pas Benoît XVI, d'un coup de baguette magique, qui peut changer les mentalités et réparer les injustices. Mais ce pape, ce qu'il peut faire, TOUT ce qu'il peut faire, il le fait. Sans peur !
    Si vous saviez comme je comprends votre souffrance de... cocu spirituel... qui a l'impression que son Eglise, cette Eglise à laquelle il voudrait s'unir, s'est prostituée dans des amours qui ne sont pas les siennes (je parle bien sûr de la hiérarchie de l'Eglise, j'évoque son personnel comme disait Maritain qui ne voulait pas que l'on confonde "la personne" de l'Eglise avec "le personnel" qui la gère au long de sa marche dans le temps).
    Tout à fait d'accord avec la laideur du tout à fait classique : saint, saint, saint est le Seigneur, saint... Répété quatre fois pour les besoins de la musique, quand la théologie nous demande, elle, d'adorer trois personnes en un seul Dieu.

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  4. Jean-Paul II un "pontificat de transition" ???
    Si l'on reconnaît encore aujourd'hui l'Eglise comme une autorité à entendre dans le débat actuel philosophique, éthique, déontologique, moral etc, c'est bien grâce à ce grand Pape qui a su s'affirmer sur la scène mondiale comme une des premières voix qui comptent ! C'est un Pape de rupture et non pas "de transition "! Un Pape qui le premier a réussi à s'affirmer de facto comme une autorité religieuse du monde et pratiquement être reconnu comme tel, restituant à l'Eglise la 1ère place qui lui revenait sur la scène internationale.
    Benoît XVI est bien entendu son digne successeur, avec son style qui lui est propre (un "management" plutôt interne, l'externe ayant été fait par son vénéré prédecesseur)

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  5. Commentaire assez juste supra, je corrigerais un mot : JPII pas un Pape "de rupture", mais plutôt en relief, d'une grande importance, de l'envergure, et qui a marqué l'époque, un de ces derniers "géants", certainement pas de transition. C'est d'ailleurs probablement ce qu'a voulu dire le post précédent.

    Revenant à BXVI et cette récente affaire de la levée des excommunications, un excellent article sur zenith.org : la lettre ouverte de Mgr Simon : " « Lettre ouverte à ceux qui veulent bien réfléchir... », Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont et vice-président de la conférence épiscopale française, demande: Qui avait intérêt à salir la réputation du Pape ? "

    Très intéressant; je ne sais pas si possible de poster un lien ici, à tout hasard :
    http://www.zenit.org/article-20056?l=french

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